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L’ère des impérialismes continue : la preuve par Poutine - Par Claude Serfati sur Alencontre

dimanche 15 mai 2022, par Amitié entre les peuples

L’ère des impérialismes continue : la preuve par Poutine

19 avril 2022

Par Claude Serfati sur Alencontre

L’invasion de l’Ukraine par la Russie témoigne de son impérialisme. Mais l’impérialisme est également une structure de l’espace mondial dominé par quelques pays qui s’appuient d’une manière qui leur est propre sur leur puissance économique et leurs capacités militaires. Dans cet espace mondial, l’interaction entre le nouveau cycle de militarisation et le durcissement de la concurrence économique devient plus intense. L’humanité est confrontée, comme dans les conjonctures antérieures de l’impérialisme, aux plus graves dangers.

L’insertion de la Russie dans l’économie mondiale : d’Eltsine à Poutine

La Russie est entrée dans une dynamique capitaliste après la disparition de l’URSS et, dès le début, l’intégration dans le marché mondial a guidé les réformes du gouvernement Eltsine. Le développement d’un ‘capitalisme des oligarques’ a été conçu par des économistes américains et russes et le soutien financier du FMI n’a jamais manqué. Les programmes mis en place à l’initiative du FMI et de la Banque mondiale ont été qualifiés de « thérapie de choc » par Jeffrey Sachs, professeur à Harvard et qui en fut un de ses promoteurs [1]. Dans les pays ex-« socialistes », ces prescriptions se sont traduites par ce que Marx nommait une « accumulation primitive du capital » qui repose sur les méthodes les plus brutales de mise en mouvement de la force de travail.

La classe dominante russe, appelée ‘oligarque’ mais qui est typiquement capitaliste, s’était formée au cours des réformes (la perestroïka) engagée en URSS par Mikhaïl Gorbatchev au cours des années 1980. Elle fut rejointe par les dirigeants des usines qui furent privatisées en application de la ‘thérapie de choc’. A la fin des années 1990, trois ou quatre groupes d’oligarques dominaient l’économie et la politique russe [2]. Ils avaient ancré l’économie russe dans la ‘mondialisation’ après l’adhésion de la Russie au FMI en 1992. Toutefois, les conséquences sociales dramatiques de l’accumulation primitive (baisse de l’espérance de vie, perte de droits sociaux, revenus en baisse, etc.) – dont témoignaient par exemple les grèves des mineurs de charbon en mai 1998, le pillage organisé des ressources naturelles, le défaut de la Russie sur sa dette publique en 1998 et la soumission du gouvernement d’Eltsine à la domination du bloc transatlantique (voir plus loin) – conduisirent à son remplacement par Poutine. La déclaration commune de Bill Clinton et de Boris Eltsine, faite en 1993, affirmant « l’unité au sein de l’aire euro-atlantique de Vancouver à Vladivostok », s’était en fin de compte traduite par un effondrement de la Russie et une expansion de l’OTAN déjà qualifiée d’« inacceptable » dans un document de sécurité nationale publié en 1997 [3].

Vladimir Poutine a procédé à une sérieuse réorganisation/épuration de l’appareil d’Etat russe. Sa politique économique a été reconstruite autour d’un Etat fort et elle a pris appui sur l’appareil militaro-industriel, la définition d’objectifs planifiés et même quelques renationalisations. Un de ses conseillers, qui quitta la Russie en 2013 en désaccord avec lui et qui devint économiste en chef de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), rappelle que l’objectif des réformes des années 2000 était une amélioration radicale du climat des affaires afin d’attirer les investissements étrangers [4]. En 2011, la Russie adhéra à l’OMC.

Vladimir Poutine a donc maintenu l’objectif d’intégration de la Russie dans la mondialisation. Il n’avait nullement l’intention de revenir à une sorte de construction du ‘capitalisme dans un seul pays’, pour paraphraser la vision de Staline. En 2008, un des plus influents groupes de réflexion (Think tanks) américains s’en félicitait et soulignait que « la Russie est intrinsèquement une composante de la communauté internationale et elle utilise son intégration économique [dans le monde, C.S.] afin de permettre à son économie d’atteindre ses objectifs ». [5] En 2019, la Banque mondiale classait encore la Russie au 31e rang dans son classement des pays selon la facilité d’y faire des affaires, soit un rang devant la France [6]… Depuis 2003, ce rapport annuel, fondé sur 41 critères et conçu par des économistes néoclassiques réputés, a servi à justifier la nécessité des mesures de déréglementation et de privatisation des infrastructures et services publics jusqu’à ce que le scandale éclate : certains classements étaient truqués sous pression de gouvernements (la Russie n’était toutefois pas incriminée). Misère ! Le FMI ne s’est pas appliqué à lui-même et à ses dirigeants les recommandations de bonne gouvernance qu’il impose aux peuples.

Les grands groupes eux-mêmes appréciaient les ambitions économiques de Poutine, ainsi que le déclare l’ancien PDG de BP (huitième groupe mondial) : « Loin d’être considéré comme un apprenti-dictateur, Poutine était vu comme le grand réformateur, celui qui donnerait un bon coup de balai dans les écuries. » [7] Et pour ne pas faire une longue litanie, on citera pour finir le PDG de BlackRock, premier fonds d’investissement mondial : « Au début des années 1990, l’insertion de la Russie dans le système financier mondial fut saluée [et ensuite] elle est devenue connectée au marché mondial des capitaux et fortement liée à l’Europe occidentale. » [8]

En somme, le gouvernement Poutine a complètement endossé l’expansion du capitalisme en Russie et son intégration dans le marché mondial, mais sous condition du maintien d’un contrôle étroit de son économie et de la population.

La politique économique a rencontré des succès pendant quelques années. Le PIB et les revenus des ménages ont augmenté, les investissements étrangers ont afflué, les recettes tirées des exportations ont progressé. Cette embellie économique a disparu à la fin des années 2000. La forte croissance du PIB (+7% par an entre 1999 et 2008) a laissé place à une quasi-stagnation : entre 2009 et 2020, le taux de croissance du PIB n’a pas dépassé 1% par an. En fait, la période de forte croissance a résulté de l’accumulation massive de la rente pétrolière et gazière : entre 1999 et 2008 la production de pétrole et de gaz a quintuplé et leur prix a plus que doublé au cours de la même période. Faute de diversification industrielle d’ampleur, l’économie et les finances publiques demeurent aujourd’hui étroitement dépendantes de la rente pétrolière et gazière. Ainsi, en 2018, la part du secteur pétrolier et gazier a été de 39% dans la production industrielle, de 63% dans les exportations, et de 36% dans les recettes budgétaires de l’Etat russe (source : OCDE). Cette addiction à la rente est d’autant plus dangereuse que les prix de ces ressources naturelles et leurs évolutions sont amplifiées sur les marchés de commodités (matières premières et denrées agricoles) largement dominés par des logiques financières.

Les investissements directs du reste du monde en Russie (IDE entrants, IDEe) et de la Russie vers le reste du monde (IDE sortants, IDEs) qui procèdent par rachat d’entreprises (les fusions-acquisitions) et par la construction de nouveaux sites de production sont soigneusement scrutés par les économistes, car ils sont emblématiques de l’internationalisation du capital. Le graphique 1 confirme les trois périodes concernant les IDEe et les IDEs de la Russie : de 1991 à 2000, leur effondrement sous le mandat d’Eltsine, leur forte croissance entre 2000 et 2008 et depuis 2008 leur tendance baissière, en dépit d’une l’embellie momentanée (2016-2018).

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