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L’actualité de La Commune de Paris et l’altermondialisme - Gustave Massiah

mardi 4 mai 2021, par Amitié entre les peuples

L’actualité de La Commune de Paris et l’altermondialisme

Gustave Massiah - mars 2021 (Version complète)

source : https://www.cahiersdusocialisme.org/lactualite-de-la-commune-de-paris-et-laltermondialisme/

1.
La Commune de Paris est un moment d’universel

C’est un moment auquel on revient, qui donne du sens et auquel on redonne un sens. C’est un moment qui crée de l’inattendu et qui révèle des nouveaux possibles, une bifurcation de l’Histoire. Pour le comprendre, il faut revenir à son histoire et à ses conséquences immédiates. On redécouvre à chaque fois sa signification par rapport aux questions nouvelles qui se posent pour construire l’avenir.

Il faut évidemment tenir compte de la situation particulière de la France et de Paris en 1870. Et rappeler l’histoire de cet événement et sa densité spécifique particulière. Pour la comprendre, il faut resituer La Commune de Paris dans la suite des révolutions depuis 1789 et 1793, et puis celles de 1830 et 1848. Il faut aussi la resituer par rapport aux révolutions suivantes ; la révolution soviétique de 1917, la révolution chinoise, la décolonisation, les années 1968, les mouvements des places. La Commune les éclaire, et celles qui la suivent approfondissent son sens et ses apports.

Les leçons de la Commune sont toujours d’une grande actualité. Nous les relirons à partir des questions qui se posent dans la situation présente, du point de vue du renouvellement de l’altermondialisme. La Commune de Paris confirme l’entrée dans l’Histoire et la centralité de la classe ouvrière. Elle est naturellement internationaliste dans le prolongement de la 1re internationale. Elle est révolutionnaire, créatrice de radicalité, créative et festive malgré la violence des combats et de la répression. Elle renouvelle le débat sur la stratégie révolutionnaire, l’Etat et la répression. Elle va mettre en évidence la question essentielle des pouvoirs et de la démocratie. La Commune de Paris apporte sa contribution à la nouvelle chaîne de révolutions, celles de l’émancipation sociale, écologique, démocratique et géopolitique, celle des droits humains et des droits et de la libération des peuples.

L’œuvre de la commune contredit l’affirmation de tous les pouvoirs qui prétendent qu’il n’y a pas d’alternatives. Il y a des alternatives ! Un autre monde est possible et nécessaire ! L’Histoire peut être lue comme une suite de périodes plutôt linéaires interrompues par des crises ou comme une série de crises, de révolutions, alternant avec des périodes maîtrisées. La Commune s’inscrit dans une chaîne de révolutions qui donne un sens à l’Histoire. Les périodes révolutionnaires sont des périodes terribles, pendant lesquelles se succèdent les moments d’enthousiasme et de fêtes et les massacres comme l’a montré la semaine sanglante. Une révolution prend son sens dans la chaîne des révolutions et la capacité de rebondir après les défaites. La Commune de Paris a été écrasée ; par rapport à tout ce qu’elle a révélé, peut-on pour autant dire que ce fut un échec ?

2.
Un événement spécifique d’une extraordinaire densité

La Commune de Paris est une extraordinaire insurrection du peuple de Paris. Elle ne va durer que 72 jours, du 18 mars au 21 mai 1871 et connaîtra la répression féroce de la semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871. Les causes de la Commune sont à la fois sociales et politiques. Les couches populaires parisiennes, les ouvriers, les artisans et les petits commerçant vivent dans des conditions très difficiles ; la pauvreté est souvent extrême et le temps de travail est autour de onze heures par jour. La situation politique est dramatique. Le Second Empire de Napoléon III s’est effondré à la suite de la défaite dans la guerre contre la Prusse et l’empire allemand est proclamé à Versailles le 18 janvier 1871. La population parisienne qui a subi un siège très dur depuis septembre 1870 n’accepte pas la capitulation. Elle s’enrôle massivement dans la Garde Nationale et élit ses officiers. La nouvelle Assemblée Nationale élue, majoritairement monarchiste, et le gouvernement, dirigé par Thiers, fuient Paris qui est, pour eux, « la capitale de l’idée révolutionnaire » ; ils s’installent à Versailles et s’entendent avec Bismarck pour écraser l’insurrection.

Le 17 mars 1871, Thiers envoie la troupe reprendre à Paris 227 canons qui étaient entreposées à Montmartre et Belleville ; les parisiens s’y opposent et fraternisent avec les soldats ; les quartiers populaires se couvrent de barricades. Le Comité Central de la Garde Nationale appelle à la vigilance. Les élections municipales ont lieu le 26 mars 1871. Le Conseil de la Commune doit comprendre 92 membres. Sur les 78 élus qui siègeront effectivement après la démission des modérés, 33 sont des ouvriers, surtout de la métallurgie et du bâtiment et des artisans des métiers traditionnels. Ils forment avec la petite bourgeoisie intellectuelle un bloc social majoritaire.

Pour la première fois dans l’Histoire, on peut parler d’un gouvernement ouvrier. Il comprend toutes les tendances politiques républicaines socialistes et anarchistes : les jacobins, centralisateurs ; les radicaux, partisans de l’autonomie municipale ; les blanquistes, avant-gardistes ; les collectivistes, membres de l’AIT (Association Internationale des Travailleurs) ; les proudhoniens ; les indépendants. Une majorité donnera la priorité au politique par rapport au social par rapport à une minorité qui défendra les mesures sociales et anti-autoritaires. Ils voteront tous les mesures sociales et mèneront le combat commun contre les Versaillais. Comme dans toutes les périodes révolutionnaires, il règne une extraordinaire effervescence politique, rythmées par de nombreuses élections. Des clubs passionnés écoutent les orateurs, discutent et font pression sur les élus. Plus de 70 nouveaux journaux sont créés pendant les 72 jours de la Commune.

Dès le 29 mars 1871, le Conseil de la Commune gouverne Paris jusqu’au 20 mai, à travers dix commissions : exécutive, militaire, subsistances, finances, justice, sûreté générale, travail, industrie et échanges, services publics et enseignement. Une intense activité législative est engagée. Le premier décret de la Commune décide la suppression de l’armée et de la police, principaux agents de la répression au service de l’ordre bourgeois. Ils sont remplacés par le peuple en armes.

La Commune prend un certain nombre de mesures symboliques (destruction de la colonne Vendôme, adoption du drapeau rouge et du calendrier républicain). Les mesures adoptées sont surtout sociales et font face à l’urgence (remise des loyers non payés, suspensions des poursuites pour les échéances non payées, report des règlements des dettes et des échéances, …). Les logements vacants sont réquisitionnés, une pension est versée aux blessés et aux veuves, des orphelinats sont créés. Les cantines municipales distribuent du pain et des repas.

Les mesures d’urgence traduisent de nouvelles orientations. Les ateliers abandonnés sont réquisitionnés et remis à des coopératives ouvrières après indemnisation des propriétaires ; l’encadrement est élu par les salariés. Le travail de nuit dans les boulangeries est interdit. Les amendes patronales et retenues sur salaires sont interdites. Des conseils de direction doivent être élus tous les quinze jours dans les ateliers.

Les élus sont contrôlés et discutés, leur mandat est impératif. La citoyenneté est ouverte aux étrangers. Un des premiers mouvements féminins de masse est créé ; il réclame le droit au travail et l’égalité des salaires. La commune reconnaît l’union libre. Les femmes se battent contre les versaillais sur les barricades. La liberté de la presse est affirmée et une totale liberté est laissée pour la fondation d’un journal. La Commune décrète la séparation de l’Eglise catholique et de l’Etat, la suppression du budget des cultes et la sécularisation des biens des congrégations religieuses.

La commune prévoit l’élection au suffrage universel des fonctionnaires, y compris dans la justice et l’enseignement, l’instauration d’un traitement maximum et l’interdiction du cumul. Elle abolit le serment politique et professionnel. Le mariage libre par consentement mutuel est reconnu. Les perquisitions et réquisitions sans mandat sont interdits. L’enseignement est laïcisé et l’enseignement confessionnel est interdit. Une commission exclusivement composée de femmes est formée pour réfléchir sur l’instruction des filles. Quelques municipalités d’arrondissement, rendent l’école gratuite et laïque. L’égalité de traitement entre hommes et femmes est décidée dans l’enseignement.

Parallèlement à la Commune de Paris, des soulèvements et des insurrections auront lieu dans plus de quinze villes en France, avec des tentatives assez brèves de constitution de Communes, notamment celles de Lyon et de Marseille qui précéderont Paris.

L’activité législative très intense de La Commune de Paris est suivie par un début de mise en œuvre. Dès sa victoire, le gouvernement de Thiers abolira toutes les mesures. Certaines réapparaitrons souvent longtemps après. Leur seul énoncé démontre la cohérence et la novation d’un programme de gouvernement ouvrier en rupture avec l’ordre bourgeois dominant.

Cette activité considérable de la Commune est d’autant plus remarquable que la préoccupation constante a été de résister à l’offensive menée par les « versaillais », par les troupes du gouvernement de Thiers. Bismarck a libéré les prisonniers pour renforcer cette armée. Dès le 21 mars, les Versaillais organisent le second siège de Paris. Les combats sont très violents. On compte quelques exécutions des otages et de très nombreuses destructions. Malgré une résistance héroïque, la Commune est vaincue. La Semaine Sanglante débute avec l’entrée des troupes versaillaises dans Paris le 21 mai pour s’achever par les derniers combats au cimetière du Père Lachaise le 28 mai. La répression contre les partisans de la Commune est impitoyable et féroce. Paris compte plusieurs charniers avec des milliers de morts et de fusillés.

Cette répression va se prolonger. Dès les premiers jours de juin 1871, des conseils de guerre qui vont siéger pendant quatre ans, continuent à ordonner des exécutions. Les communards qui n’ont pas réussi à s’échapper ou à s’exiler sont condamnés aux travaux forcés et déportés au bagne en Nouvelle Calédonie. Il faudra attendre 1880 pour que Gambetta fasse voter une amnistie à l’Assemblée Nationale. Et ce n’est qu’en 2016 que l’Assemblée nationale « proclame la réhabilitation des victimes de la Commune de Paris de 1871 ».

3.
La Commune de Paris s’inscrit dans une chaîne de révolutions

La Commune s’inscrit dans une chaîne de révolutions. Elle en prolonge certaines, celles de 1789, de 1793, de 1830 et de 1848. Elle en annonce d’autres, celles de 1905 et 1917, en Russie, celle des épisodes de la révolution chinoise de 1917 à 1967, celle des années 1968, l’altermondialisme et la révolution des places à partir de 2011. Chacune de ces révolutions ouvre de nouveaux possibles et des chemins non prévus. En retour, chacune de ces révolutions renouvelle et permet de nouvelles compréhensions de ce que ne finit pas de porter la Commune.

La référence à la révolution de 1789 reste une référence largement revendiquée. Les acteurs de la Commune se considèrent comme les héritiers du peuple de Paris qui s’est soulevé en 1789. La majorité formée des jacobins et des blanquistes se sent plus proche des montagnards de 1793 et parmi les mesures symboliques, ils adopteront le calendrier républicain. Ils considèrent qu’avec Thermidor puis le directoire, on a vu la victoire de la bourgeoisie et avec le Consulat en 1799 puis l’Empire, on a retrouvé un régime monarchiste.

La révolution de Juillet, celle des Trois Glorieuses, du 27 au 29 juillet 1830, renouera avec la révolution française de 1789. Les parisiens dressent des barricades dans les rues, et affrontent les forces armées. L’insurrection tourne à la révolution populaire et le peuple parisien occupe l’Hôtel de Ville. Mais le 30 et 31 juillet, la bourgeoisie reprend la main par rapport à la révolution populaire, elle acte l’élimination de Charles X mais met en place une monarchie plus bourgeoise avec Louis Philippe. Les Trois Glorieuses débouchent, en France, sur la fondation d’un nouveau régime, la monarchie de Juillet, qui conforte l’association aux affaires publiques de la bourgeoisie industrielle et financière ; le capital financier l’emporte sur le capital foncier. Pour la première fois depuis les années 1790, une vague de révolutions populaires, annonciatrice du printemps des peuples de 1848, traverse l’Europe.

La révolution française de 1848, succède à la Révolution de 1789 et aux Trois Glorieuses de 1830. Une nouvelle insurrection parisienne a lieu du 22 au 25 février 1848. Des mouvements insurrectionnels d’inspiration libérale ou démocratique tentent de mettre fin aux régimes absolutistes en Europe, en France, mais aussi en Allemagne, Autriche, Hongrie, Italie. Dans un premier temps, les principales revendications réformatrices se résument à la reconnaissance des libertés fondamentales, des libertés de réunion et de la presse. On voit s’affirmer des exigences nationales et unitaires, qui revendiquent le respect des minorités opprimées par le pouvoir central et la mise en avant du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme un fondement de l’idéal démocratique. Une seconde vague de revendications, plus radicales, va mettre en avant des réformes démocratiques et sociales.

L’aspect social dans les révolutions de 1848, a été partout présent. L’insurrection est surtout populaire et urbaine, elle entraîne la petite bourgeoisie et même une partie de la bourgeoisie. À Paris en 1848, les conditions d’existence (misère et famine, durée et dureté du travail, conditions d’hygiène et de santé) sont très difficiles. La grande industrie a été rejetée en périphérie urbaine. Les contradictions s’aiguisent, avec l’épidémie de choléra, et avec les crises financières et morales et la multiplication des scandales. Des associations ouvrières, regroupant les travailleurs des différents statuts, se multiplient. Marx et Engels publient, en février 1848, le Manifeste du Parti Communiste.

L’année 1848 marque le point culminant et la fin du Printemps des peuples. La Deuxième République est proclamée par les révolutionnaires parisiens. La situation va se retourner en faveur des forces de la réaction de septembre 1848 à mai 1849. Cette révolution sera suivie par les Journées de Juin réprimées dans le sang avec des milliers de morts. Le 2 décembre 1851, un coup d’Etat, inaugure le Second Empire de Napoléon III. La révolution populaire a été vaincue et un nouveau régime monarchique s’impose.

En 1870 le peuple de Paris défend la République du 4 septembre qui a renversé le Second empire ; il refuse de reconnaître le gouvernement de Thiers appuyé par les prussiens et une assemblée dirigée par des monarchistes. Les ouvriers et le peuple parisien refusent de se laisser une fois de plus voler la victoire comme cela s’est passé en 1830 et en 1848. Ainsi, la révolution de la Commune de Paris hérite des révolutions précédentes et les prolonge. Particulièrement dans ce cas, une partie des révolutionnaires de la Commune de Paris avaient participé à la révolution de 1848 et en avaient tiré des leçons.

La Commune de Paris va avoir un impact considérable sur les révolutions qui vont suivre, à partir des traces dans l’imaginaire des peuples et des révolutionnaires. Le lien avec les révolutions qui se réclament du socialisme vont être considérables. Il va passer par les internationales et d’abord par l’Association Internationale des Travailleurs, la 1re Internationale, qui a été créée en 1864 et qui a soutenu et participé à La Commune. Marx glorifie les ouvriers parisiens qui sont « montés à l’assaut du ciel » ; il écrira que « L’Histoire ne connaît pas d’exemple aussi grand ! »

Lénine, comme Marx et Engels, s’appuie sur l’expérience du mouvement ouvrier, notamment la révolution de juin 1848 et la Commune de Paris. La liaison avec les Révolutions de 1905 et 1917 est très forte. Lénine et les révolutionnaires russes, reprendront les réflexions de Marx dans la Guerre Civile en France ; la Commune de Paris est une référence essentielle. « C’est en ce sens que la Commune est immortelle ! » écrira Lénine. Elle sert de référence dans le débat qui divise les courants révolutionnaires entre 1905 et 1917.

Dès 1919, les communistes chinois se sont référés à l’expérience de la Commune de Paris pour faire progresser la révolution chinoise. En 1937, Mao Zedong dans « De la contradiction » écrit : « Pourquoi […] en 1871 la Commune de Paris aboutit-elle à l’échec ? […] Cela ne s’explique que par les conditions concrètes de cette époque ». Il rajoutera plus tard : la Commune de Paris « fut le premier pouvoir instauré par le prolétariat dans le monde. … Manquant de maturité, le prolétariat français ne s’attacha pas à s’unir aux masses paysannes, ses alliées… » En 1967, pendant la Révolution Culturelle, la commune populaire de Shanghai, pendant vingt jours, s’est réclamée du modèle de la Commune de Paris.

La référence à la Commune est extrêmement forte en mai 1968 à Paris. Le peuple parisien se soulève une fois encore et la ville se couvre de barricades. Mais il s’agit d’un mouvement beaucoup plus large, dans le monde ; entre 1965 et 1973, une vague de révolutions met en avant la démocratie sociale et politique. Etienne Balibar cite Immanuel Wallerstein qui fait de 1848 et de 1968 deux moments-clés dans l’histoire du « système-monde capitaliste », qui ont transformé en profondeur la culture politique de toute la société. Pour lui, cette révolution infléchit la trajectoire du siècle et représente une mutation. En premier lieu 68 aurait représenté une mutation dans la forme et les objectifs des « mouvements antisystémiques ». Il s’agirait d’un événement ayant d’emblée un caractère mondial sous la forme d’une chaîne insurrectionnelle qui traverse les frontières. Elle s’étend des Etats-Unis au Mexique, du Japon à l’Allemagne, de la France et de l’Italie à Prague et à Varsovie, de Dakar au Caire, à la Palestine, etc. Il faut y rajouter les références à la révolution culturelle chinoise et à l’unité populaire chilienne.

A travers l’altermondialisme et les mouvements de 2011, les printemps arabes, les indignés, les occupy, les carrés rouges, les taksims ; une nouvelle génération construit par ses exigences et son inventivité, une nouvelle culture politique. Elle expérimente de nouvelles formes d’organisation à travers la maîtrise des réseaux numériques et sociaux, l’affirmation de l’auto-organisation et de l’horizontalité. Elle tente de redéfinir, dans les différentes situations, des formes d’autonomie entre les mouvements et les instances politiques. Elle recherche des manières de lier l’individuel et le collectif. Dans le prolongement de la Commune et en passant par les mouvements des années 1968, l’engagement dans un mouvement relie les pratiques et les théories et redéfinit le collectif. Les rapports entre les mouvements sont fondés sur l’égalité et le respect de la diversité. L’engagement conduit naturellement à une réflexion sur la radicalité.

Une révolution est un événement au sens fort du terme : une rupture ; il éclaire les tendances profondes ; il ouvre de nouveaux possibles. Dans la succession des révolutions, il y a des continuités, des évolutions, des ruptures, des références au révolutions précédentes. Une révolution s’inscrit dans une chaîne de révolutions qui construisent le chemin de l’émancipation. Chaque révolution crée de l’inattendu qui prolonge, renouvelle et réinvente ; à partir de radicalités qui rendent visibles des chemins inexplorés.

C’est pourquoi, on ne peut pas parler de l’échec d’une révolution sans l’inscrire dans un processus. Peut-on parler d’échec de la Commune ? Peut-on imaginer qu’un seul événement se traduise par un changement complet, capable de conclure l’Histoire. Certes la Commune s’est terminée par une répression féroce et sanglante ; mais avec tout ce qu’elle a révélé, inventé, projeté, elle a révélé les nouveaux possibles sur les chemins de l’émancipation.

Le chemin de l’émancipation n’est pas linéaire et chaque étape révèle des nouveaux possibles. La Commune de Paris n’y a pas manqué. D’une révolution à une autre dans cette chaîne de révolutions, il y a des changements profonds. Ce ne sont plus les mêmes classes sociales, les mêmes alliances de classes et les luttes de classes prennent de nouvelles formes. Dans le cas des insurrections parisiennes successives et répétées, l’unité de lieu met encore plus en lumière l’évolution des classes sociales et les mutations des alliances de classe et des luttes des classes.

Les classes dominantes poursuivent leur domination et la renouvelle. Les contradictions évoluent. Les couches populaires résistent et luttent contre l’exploitation et l’oppression. La nature des classes populaires et les blocs sociaux changent. Et le projet social et politique doit être renouvelé au-delà du refus et de la résistance

4. L’actualité des leçons de la Commune de Paris

Tout événement majeur, et La Commune de Paris en fut un considérable, permet d’interroger les nouvelles situations. La Commune, dès son avènement bouleverse les conceptions et les représentations. Nous repartirons de la Commune et des leçons de la Commune pour nous interroger sur la situation actuelle, ses contradictions et ses perspectives. Nous allons présenter à partir de La Commune et de ses suites quelques réflexions sur l’évolution et le nécessaire renouvellement de l’altermondialisme.

Nous aborderons la question des classes sociales et du bloc social ; la question de l’internationale ; la radicalité révolutionnaire ; la stratégie révolutionnaire et la question de l’Etat ; la démocratie ; les nouvelles étapes de l’émancipation.

La Commune confirme l’entrée dans l’Histoire et la centralité de la classe ouvrière

La Commune affirme le caractère central de la classe ouvrière et d’un bloc social antagonique du capitalisme et de la bourgeoisie. La décantation sociale se poursuit à partir de 1789, et se confirme en 1830 et 1848. La prise de conscience, la détermination et les formes d’organisation cheminent à partir de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), la Première Internationale. L’AIT a mis en avant une nouvelle approche, une conception entièrement nouvelle. Elle s’appuie sur une analyse des classes sociales et ambitionne de construire le prolétariat en tant qu’acteur politique conscient et organisé. L’AIT a été capable de se dépasser de s’élever à l’échelle d’une histoire en train de se faire. Elle a permis à la classe ouvrière de se définir comme un acteur de cette Histoire et de contribuer à la changer.

Selon l’AIT, c’est le prolétariat qui peut et doit mener la lutte contre le capital et c’est autour de cette classe que doivent se construire les alliances. Certes, l’AIT n’ignore pas la complexité des sociétés et l’existence d’autres classes et couches sociales. Pour construire l’alliance de classes, l’AIT, et surtout Marx et Engels, mettent en avant l’idée que le prolétariat, dans sa lutte pour son émancipation, est porteur de l’émancipation de toute la société. La Commune démontre la capacité de la classe ouvrière à résister et à construire un bloc social porteur d’un nouveau projet de société.

La classe ouvrière se transforme en fonction de l’évolution du capitalisme et de sa capacité à se définir en tant qu’acteur historique et à prendre en charge sa conscience de classe. Il faut insister sur la rapidité de cette évolution par rapport à la bourgeoisie qui a mis plusieurs siècles à s’imposer par rapport au féodalisme. La classe ouvrière a changé, à partir des artisans et des métiers, et elle n’arrêtera pas de changer avec la révolution des OS et l’automatisation au 20e siècle. Le bloc social n’est pas une simple addition de classes et de couches sociales, il construit l’évolution de la classe ouvrière avec l’intégration des ouvriers et des artisans. Pendant la Commune, il y a des petits patrons qui participent à l’alliance. C’est l’antagonisme avec le capital dominant et la bourgeoisie dominante qui construit l’alliance et l’unité du bloc social.

L’alliance de classes est sociale et politique. La Commune héritera de la diversité des courants politiques. L’AIT, à travers des débats vigoureux et parfois violents, a tenté de généraliser et d’unifier les mouvements spontanés de la classe ouvrière, mais non de leur prescrire ou de leur imposer un système doctrinal quel qu’il soit. L’AIT a mis en avant la diversité des débats politiques et s’est construite à partir de leurs débats et de leurs affrontements. On y retrouve dès le début, aux côtés des partisans de Marx et Engels, des blanquistes, des proudhoniens, des bakouninistes, des lassalliens, des mazziniens. Dans La Commune on les retrouvera avec aussi des jacobins. La diversité doctrinale n’empêche pas l’unité d’action et la résistance commune contre les versaillais. L’AIT a aussi été un creuset d’unification des différentes formes de mouvements. Elle a regroupé des mouvements divers, des associations, des corporations, des mutualités, des syndicats, des formes primitives de partis. L’AIT a été le creuset d’unification de ces divers mouvements.

L’altermondialisme a hérité et a encore beaucoup à apprendre de la Commune. Comment définir la centralité du mouvement ouvrier, les nouvelles formes de la classe ouvrière et le nouveau bloc social ? L’atermondialisme affirme la centralité des mouvements sociaux. Le débat sur les bases sociales de l’altermondialisme renvoie à l’analyse de la structure des classes dans les sociétés actuelles et à l’échelle mondiale. La lutte des classes ne se réduit pas à l’affrontement entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. La prolétarisation touche aujourd’hui toutes les couches sociales qui ne sont pas dominantes. Il s’agit donc, d’une certaine manière, de définir une manière de construire une alliance des différentes couches dominées qui seraient d’accord pour mener la lutte ensemble pour un autre monde. Le mouvement altermondialiste héritera de la diversité des opinions et des formes de mouvements. Son unité résulte de l’antagonisme avec la mondialisation capitaliste dans sa phase néolibérale. On retrouve le débat sur les formes d’organisation et la définition des orientations. La volonté de construire un espace ouvert, diversifié, facilitant les alliances les plus larges et la nécessité d’un espace d’action, de formes d’organisation plus strictes et de parole politique plus affirmée. Le choix n’est pas entre espace ouvert et espace d’action. Les deux sont nécessaires, il faut savoir comment les articuler.

La Commune est naturellement internationaliste

La 1re Internationale, l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), a contribué à rendre possible la Commune et a été interpellée et bouleversée par la Commune. L’AIT a participé activement à La Commune ; sur les 78 élus qui vont siéger au Conseil de la commune, on comptera 32 internationaux, membres de l’AIT. Ils ne forment pas un bloc et se réfèrent aux différents courants de l’AIT.

La Commune de Paris hérite des formulations de l’AIT qui caractérisaient, à partir des analyses de Marx et d’Engels, le capitalisme comme un système mondial générant une crise structurelle permanente. Par conséquent estimaient-ils, le mouvement anticapitaliste devait être d’emblée international.

La Commune accueillera les étrangers qui joueront un rôle très actif et leur reconnaîtra leurs droits. La Commune reconnaît le principe d’accession à la citoyenneté pour les étrangers. L’AIT était une association implantée dans plusieurs pays ; elle a permis de tenir compte des spécificités des situations et de prendre en compte le mouvement international du capital qui était moins apparent. A travers la première internationale, les révolutionnaires de plusieurs pays ont vécu passionnément la Commune et sa terrible répression. Dès le début, la Commune de Paris a été reconnue comme un des épisodes majeurs des révolutions mondiales.

L’internationalisme a été souvent confondu avec les internationales. La première, l’AIT, sera officiellement créée en 1864. La deuxième internationale, créée en 1889, sera marquée par le débat sur la révolution de 1917 et confrontée à la première guerre mondiale. La troisième internationale créée en 1919 deviendra à partir de la montée au pouvoir de Staline en 1924 un prolongement de l’Etat soviétique. La quatrième internationale, créée en 1938 restera une affirmation oppositionnelle. Les premières et deuxièmes internationales ont été marquées par la publication par Marx et Engels, en 1848 du Manifeste du parti Communiste. Aujourd’hui les internationales sont perçues à partir des questions d’organisation entre partis. La Commune avait amené Marx et Engels à revenir sur plusieurs aspects du Manifeste.

L’altermondialisme est par définition un internationalisme confirmé par le caractère de plus en plus dominant de la lutte contre la mondialisation. Les Forums sociaux mondiaux sont une recherche de nouvelles formes de l’internationalisme plus proches de la 1re Internationale par la diversité des formes qu’elle regroupe que des internationales qui l’ont suivi caractérisées par un monopole des partis d’avant-garde. Le débat est aujourd’hui ouvert dans le mouvement altermondialiste sur les formes du mouvement : faut-il un espace ouvert, divers et multiple ou faut-il un espace d’action plus organisé et plus politique. Il faut probablement les deux, un forum ouvert d’une part, et une internationale plus organisée de l’autre. Là encore, comment construire les deux et quelle articulation entre les deux ?

La Commune est révolutionnaire et naturellement radicale

La Commune est un moment révolutionnaire extraordinaire. Une révolution est un moment de dépassement, d’invention, celui où on monte à l’assaut du ciel. « La plus grande mesure sociale de la Commune était sa propre existence en acte » écrira Karl Marx. C’est un moment de libération, d’émancipation. Tout paraît et devient possible. La légitimité l’emporte sur la légalité. L’Etat et ses institutions, la bureaucratie et la technocratie n’écrasent plus le quotidien. Bien sûr, on sait que l’affrontement avec les forces de l’ordre est inéluctable et la répression sera là ouvrant un espace de violence. Dans le cas de la Commune elle sera terrible. Les révolutions sont créatives et festives. Toutes celles et tous ceux qui ont vécu des moments révolutionnaires, pendant les luttes de libération, les années 1968, les mouvements des places, s’en souviennent. Elles et ils n’oublient pas la répression et les défaites, mais ils gardent le souvenir des dépassements, des moments festifs, des illuminations. Les artistes exprimeront ce moment ; la Commune a été un moment intense de création culturelle et artistique.

L’ouverture des possibles conduit à la radicalité des propositions, au sens du retour à la racine des questions. Il ne s’agit plus d’une théorie, mais d’une situation concrète. Ce ne sont plus les interdits qui l’emportent, c’est la pratique qui impose ses exigences. Les réponses et les propositions des communeuses et des communeux sont naturellement radicales. Leur premier décret décide la suppression de la police et de l’armée et leur remplacement par le peuple en armes. L’enseignement devient gratuit. Les ateliers fermés sont remis aux associations d’ouvriers… Cette radicalité n’est pas une outrance, elle fonctionne comme une évidence. L’altermondialisme sans avoir été capable de se retrouver en position de pouvoir partage avec la commune cette recherche à travers les forums à des moments de libération festifs et créatifs. Il affirme qu’un autre monde est possible et nécessaire.

La Commune renouvelle le débat sur la stratégie révolutionnaire, sur l’Etat et sur la transition

La Commune a bouleversé toutes les manières de penser la Révolution. L’irruption de la classe ouvrière comme acteur autonome et central interpelle directement le mouvement ouvrier. Karl Marx surmonte sa surprise et va démontrer sa capacité à penser en direct l’Histoire en mouvement. Il rédige La guerre civile en France qui paraîtra en mai 1871. Sur l’Etat et le pouvoir, la divergence se poursuit avec les anarchistes et Bakounine qui pense que « l’Etat doit être systématiquement démoli ». Après la Commune, Marx va revenir sur sa conception de la stratégie révolutionnaire en affirmant qu’il ne sera pas suffisant de s’emparer de l’Etat pour transformer la société, mais qu’il faudra le transformer profondément. Il proposera le dépérissement de l’Etat. Ce débat est aujourd’hui central après l’évolution et l’effondrement de ce que Samir Amin appellera le soviétisme et la faillite des capitalismes d’état. La discussion est très bien explicitée par Immanuel Wallerstein qui explique : Cromwell a formalisé la stratégie de la bourgeoisie à partir de la formule « il faut créer un parti, pour conquérir l’Etat, pour changer la société ». Après beaucoup de discussion les internationales ont reconduit l’équation. Aujourd’hui nous voyons qu’un parti créé pour conquérir l’Etat devient parti-Etat avant même d’avoir conquis l’Etat et que l’Etat n’est pas la seule manière de changer la société.

Le débat porte aussi sur la nature de la transition. Le modèle du Grand Soir a été abandonné. La transition est un processus long et contradictoire. Le statut des démarches alternatives a été revalorisé. Elles ne sont pas suffisantes pour changer de société, mais elles peuvent le préparer, comme la bourgeoisie a été capable d’expérimenter et de faire émerger des rapports sociaux capitalistes sous le féodalisme. Les révolutions accélèrent les évolutions, elles ne sont pas alternatives au temps long.

L’altermondialisme est confronté à ces questions. Sur la question de la stratégie révolutionnaire et du rapport à l’Etat, l’offensive du néolibéralisme contre l’intervention sociale des Etats cherchant à les réduire à leurs fonctions régaliennes de police et de répression a montré ses limites. La crise de la pandémie a mis en lumière l’importance des institutions, la nécessaire action publique et le rôle des services publics. La question nouvelle concerne l’hypothèse de l’épuisement du néolibéralisme et peut-être même du capitalisme et de la nature des nouveaux modes de production possibles, peut-être inégalitaires, candidats à la succession du capitalisme. Cette hypothèse est renforcée par un élément nouveau considérable, celui de la crise écologique et notamment climatique.

La Commune a mis en évidence la question de la démocratie

La Commune va réinventer les rapports entre le social et le politique. Elle va complètement bouleverser les conceptions de la démocratie et proposer des pistes qui sont d’une grande actualité. La Commune va mettre en avant une exigence première, celle de la démocratie dans le travail. Elle va affirmer son orientation politique pour l’affranchissement du travail et l’abolition des monopoles, des privilèges, de la bureaucratie. Elle soutiendra les luttes pour la réduction du temps de travail et contre le travail des enfants. Marx définira la Commune comme « un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du Travail. » En s’inspirant des pratiques dans l’AIT, la Commune préfigure l’autogestion avec les ateliers abandonnés remis aux coopératives ouvrières après indemnisation des propriétaires. Un conseil de direction est élu tous les quinze jours dans les ateliers. La démocratie sociale accompagne la démocratie économique avec la réquisition des logements vacants et la baisse des loyers, l’interdiction des amendes et retenues de salaires, l’indication d’un salaire minimum dans les appels d’offres, … La Commune va mettre en avant la démocratie politique. Elle va définir la démocratie directe et l’autogouvernement avec le respect du suffrage universel, le contrôle des élus par la révocabilité, le mandat impératif et la délibération commune. Les fonctionnaires, les juges et les magistrats sont responsables et révocables.

La Commune va jouer un rôle très important dans une avancée de la démocratie par l’émancipation des femmes. Les femmes vont imposer le droit de se battre et de nombreuses femmes, à l’exemple de Louise Michel, joueront un rôle fondamental et reconnu dans les évènements. Ce sera une étape dans la longue lutte des femmes pour l’égalité des droits. La Commune instaure l’égalité des salaires pour les institutrices et les instituteurs. Elle décrète l’accès à l’éducation. Elle reconnaît l’union libre et facilite le divorce, elle interdit la prostitution. La question du droit de vote n’est pas posée. Après la Commune, l’AIT va créer des sections féminines. Engels éclairera l’origine du patriarcat dans les Origines de la famille, de la propriété privée et de l’Etat publié en 1884.

La démocratie joue aussi un rôle dans les alliances de classe. Dès septembre 1871, l’AIT posera la question de l’alliance avec les paysans et adoptera une résolution sur les moyens d’assurer l’adhésion des producteurs agricoles au mouvement du prolétariat industriel. Les Bourses du travail seront créées à partir de 1887 pour faire face à l’interdiction des syndicats ; dans le prolongement de la Commune, la Fédération des bourses du travail créée par Fernand Pelloutier en 1892 servira de support à la CGT naissante et au courant des syndicalistes révolutionnaires.

La Commune met en place une démocratie territoriale qui relie fortement la population, le territoire et les institutions. Le débat est très tranché dans la première internationale. Les courants radicaux du municipalisme trouvent leurs sources dans l’histoire révolutionnaire. La transformation d’une ville capitale en « Commune », les territoires libérés pour contester et réinventer les pouvoirs par rapport aux Etats. La référence part de la Commune de Paris mais ne s’y restreint pas. C’est le cas de Petrograd en 1917, Hambourg en 1923, Barcelone en 1937. Elle s’oppose à une autre approche, « possibiliste », celle du socialisme municipal qui allie une conception locale du socialisme avec la tradition communautaire communale illustrée par les Chartes locales du Moyen Age et les biens communautaires.

Dans les années 1980, des pratiques d’autogouvernement à l’échelle communale vont se dégager. Elles seront explicitées avec le « municipalisme libertaire » de Murray Bookchin, l’expérience zapatiste des Chiapas, l’expérience des budgets participatifs de Porto Alegre, …. Les questions écologiques et démocratiques sont mises en avant. C’est dans ce contexte qu’a émergé, depuis 2011, « le mouvement des places » dans plusieurs villes du monde. Ce mouvement renoue avec les occupations pendant la période 1960-1975, les « mai 68 dans le monde ». En occupant les places, les mouvements réinvestissent le centre des villes. Ils cherchent à se réapproprier les places et à s’installer dans l’espace public. Ce mouvement des places ouvre une nouvelle phase du municipalisme.

L’altermondialisme propose de construire une alliance stratégique entre les institutions locales et les mouvements sociaux et citoyens pour renouveler l’action politique. L’alliance possible avec les acteurs économiques peut concerner les entreprises de l’économie sociale et solidaire, les entreprises municipales, les entreprises publiques, les entreprises locales. Autour du refus du rabattement sur la rationalité dominante « marchandiser, privatiser, financiariser » et de la mise en avant d’une démarche fondée sur le respect des droits fondamentaux.

L’impératif démocratique nécessite une réinvention du politique. La méfiance des citoyens est considérable ; elle remet en cause les formes représentatives et délégatives. La question démocratique concerne toutes les sociétés, à toutes les échelles, locales, nationales, mondiales. Elle concerne aussi les mouvements et le Forum Social Mondial. On retrouve cette question dans l’appréciation des tentatives de gouvernements progressistes. Comment concilier une transformation sociale et écologique radicale avec une démocratie réelle ? Comment définir, dans des périodes de transition difficiles, des rapports démocratiques entre mouvements, partis et gouvernements ? Dans la situation actuelle, les formes du politique sont interpellées.

Immanuel Wallerstein disait au Forum Social Mondial de Detroit : c’est vrai qu’il y a 1% et 99% ; mais 99% ça ne suffit pas pour faire une majorité ! Il est urgent de trouver des modes de coordinations entre les « formes mouvements » et les « formes partis ». Les mouvements doivent définir le rôle politique qu’ils peuvent jouer. Les partis doivent abandonner leur prétention d’organisations d’avant-garde destinées à diriger les mouvements. Ils doivent aussi revoir leur stratégie qui instaure l’Etat en seul acteur du changement. A ces conditions, les partis, en tant que mouvements, peuvent trouver leur place dans les Forums Sociaux Mondiaux.

5.
La Commune de Paris et la nouvelle chaîne des révolutions

La première chaîne de révolutions a mis en rapport le social et le politique. La Commune de Paris renouvelle le social avec la centralité de la classe ouvrière et le bloc social antagonique au capitalisme ; elle renouvelle le politique autour de la question du rôle de l’Etat et de la question fondamentale de la démocratie. La 2e internationale, avec Rosa Luxembourg et Lénine, va élaborer une nouvelle dimension avec la prise en compte de l’impérialisme. L’AIT avait pris en compte la colonisation et les luttes des peuples, Marx et Engels étaient intervenus sur la situation en Irlande et avaient suivi la situation en Inde et dans d’autres pays. La Commune n’avait pas abordé la question de la décolonisation en dehors de l’attention apportée par Louise Michel à a situation du peuple kanak au moment de son séjour au bagne.

La nouvelle chaîne de révolutions va associer, aux formes reconnues du social et du politique, les luttes de libération nationale. L’orientation stratégique pour les droits humains va s’élargir dès 1848 à celle des droits des peuples ; il restait à prendre en compte la décolonisation. La révolution mexicaine de 1905 aura lieu la même année que la révolution ruse qui prépare 1917. Le congrès de Bakou en 1920 va lancer la nouvelle alliance entre les mouvements ouvriers et les mouvements de libération nationale. Cette nouvelle stratégie révolutionnaire progressera et déterminera la décolonisation. A Bandung en 1955, à la rencontre des premiers Etats indépendants, Chou en Lai déclarera : « les états veulent leur indépendance, les nations leur libération, les peuples la révolution ». Après la deuxième guerre mondiale, la décolonisation devient une question essentielle.

A partir de 1980, une nouvelle phase du capitalisme est imposée avec la mondialisation néolibérale. Elle est imposée à travers la crise de la dette et les plans d’ajustement structurel. Le mouvement altermondialiste est le mouvement anti-systémique du néolibéralisme. La crise financière de 2008 montre les limites du néolibéralisme. La bourgeoisie dominante, le capital financier et les entreprises multinationales, imposent un tournant austéritaire (austérité et autoritarisme) et répressif. Les mouvements sont confrontés à la violence des rapports sociaux capitalistes ; la violence des affrontements et la prise de conscience de la radicalité nécessaire pour dépasser le capitalisme redonnent une actualité à la Commune de Paris. Au Forum social de Belém en 2009, les propositions mises en avant sont la socialisation de la finance et les formes d’autogouvernement. Les notions mises en avant sont : les communs, le buen vivir, la démocratisation de la démocratie. Le mouvement paysan, la Via Campesina, se définissant comme travailleur paysan, propose l’agriculture paysanne, le refus des OGM, la souveraineté alimentaire. En 1973, sur le plateau du Larzac Bernard Lambert fondateur du mouvement des paysans travailleurs avait déclaré au nom des 103 paysans du plateau du Larzac, « nous sommes 103000, plus jamais les paysans ne seront des versaillais ». Les mouvements des femmes, écologiques et des peuples autochtones ont mis en avant, au Forum social mondial de Belém, la lutte contre les discriminations et la nécessaire réinvention des rapports entre l’espèce humaine et la Nature.

Le capitalisme en crise est toujours plus offensif. Il cherche à subordonner encore plus le travail par le recours aux nouvelles technologies, notamment le numérique. Il accroît les inégalités, avec les revenus inimaginables des plus riches, d’un côté, la pauvreté et la misère, de l’autre. Il refuse de prendre en compte la crise écologique, notamment l’urgence climatique, renforcée par la crise pandémique. Il résiste à la revendication d’égalité portée par les droits des femmes. Après la première phase de la décolonisation, celle de l’indépendance des Etats, il résiste à la deuxième phase celle de la libération des nations et des peuples. Il refuse de voir que les discriminations et les racismes sont, aujourd’hui, les conséquences meurtrières de la décolonisation inachevée.

La nouvelle chaîne de révolutions définit la nécessaire transformation sociale, contre les inégalités, écologique, pour de nouveaux rapports entre l’espèce humaine et la Nature, démocratique, pour le respect des libertés individuelles et collectives et géopolitique contre les formes de domination. Le nouveau bloc social antagonique du néolibéralisme et du capitalisme est formé par l’alliance des mouvements : le mouvement ouvrier, toujours central, le mouvement paysan des producteurs agricoles comme l’avait défini l’AIT après la commune, le mouvement écologiste, le mouvement des femmes en lutte contre des rapports millénaires, le mouvement contre les discriminations et les racismes et pour la dignité, le mouvement des peuples autochtones.

Bibliographie

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Ludivine Bantigny, La Commune au présent, Ed La Découverte, 2021
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Wikipédia, articles sur La Commune de Paris