Accueil > Altermondialisme > Altermondialisme / Internationalisme > Critiques, résistances et perspectives stratégiques > J Habermas, la complexité et l’horizon borné du capitalisme. C Delarue

J Habermas, la complexité et l’horizon borné du capitalisme. C Delarue

vendredi 18 janvier 2013, par Amitié entre les peuples

J Habermas, la complexité et l’horizon borné du capitalisme.

Ces lignes doivent beaucoup à « Le socialisme et la société complexe » de Phil HEARSE (1).

Jurgen Habermas s’est opposé à la droite à partir d’une position critique du conservatisme. Pour autant Habermas, à la suite de la « chute du mur de Berlin » (1991) surtout, énumère une série de défauts du marxisme orthodoxe qui montre en fait chez lui un abandon de la perspective du socialisme. Ces défauts sont : une critique limité au travail salarié et même surtout au travail industriel, une conception holistique de la société, une conception trop réductionniste sur le rapport entre les structures administratives et les les institutions sociales, une critique trop fonctionnaliste de la démocratie constitutionnelle, le maintien hégélien d’une téléologie avec « l’inévitable socialisme », le maintien en conséquence d’une « connaissance infaillible » au travers du marxisme et d’un sectarisme avant-gardiste, les sociétés complexes ne peuvent se reproduire qu’avec une économie de marché combinée à l’Etat, les sociétés complexes ne peuvent s’auto-gouverner avec des « producteurs associés » fonctionnant en « souveraineté populaire » tel que le marxisme le propose. La charge habermassienne contre le marxisme orthodoxe est donc lourde. Et elle porte contre plusieurs courants historiques. Ce qui a pour conséquence d’effacer le socialisme ou l’éco-socialisme comme perspective contemporaine de la lutte du peuple-classe contre la classe dominante et notamment sa fraction financière la plus prédatrice sous la phase néolibérale du capitalisme.

Sur les rapports de Marx à l’écologie, beaucoup a été dit et écrit depuis chez des néomarxistes ou des altermarxistes pour contrer une tendance « productiviste » du marxisme historique dominant. La libération des force productives peut aisément se transformer sous le capitalisme dominant en force de destruction de la nature et de la planète. Cela ne signifie pas que les forces productives sont mauvaises par nature et doivent être abandonnées ou ignorées.

Sur la démocratie socialiste réduite à l’usine. La démocratie socialiste telle que dessinée aujourd’hui ne se résume ni à l’usine ni au quartier bien que ce soit un aspect important. Cette conception « basiste » se comprenait fort bien du temps de Lénine qui voyait à l’usine les ouvriers s’opposer au patron et « prendre ainsi en main leur destin ». Ils formaient alors une véritable « communauté de destin » à l’image de la nation. Sur ce plan Lénine a relativement suivit Marx. Mais la démocratie socialiste pensée au plan élargi, donc dans une perspective plus vaste que le lieu de production, fait apparaitre l’idée d’un « gouvernement socialiste » . Cette démocratie-là, forte de son contenu de classe, prend elle un autre sens qui se rapporte moins au Marx de la Commune de 1871 qu’à l’expérience de Lénine sur la lutte de classe des ouvriers. Il les voit certes résistants mais aussi peu enclin, eu égard à la division capitaliste du travail, à prendre directement en charge une vaste communauté de destin au niveau de celui de l’URSS.

L’idée d’un nécessaire « gouvernement socialiste » agissant au cœur de l’Etat mais s’appuyant sur un mouvement de masse et de classe - point jamais oublié des marxistes - est toujours sujet de discussion dans les marxismes contemporains. Une branche autogestionnaire (et fédérative au-dessus du niveau des entreprises et des quartiers), s’appuyant plus sur Gramsci que sur Lénine, entend l’admettre que le plus tard possible et avec le moins de délégation-dépossession possible. Mais d’autres estiment qu’un tel gouvernement est nécessaire dans le réel de la lutte des classe et que son refus obstiné peut renvoyer à un abandon de position coupable dans le cours historique de la lutte des classes. On combine ici volontiers Lénine et Gramsci avec d’une part la conquête de l’hégémonie au sein de la société civile et la conquête du pouvoir d’ Etat d’autre part.

Mais dans les deux hypothèses, il s’agit bien de faire reculer l’oligarchie comme couche séparée et opposée au peuple-classe. Pour ce faire il est proposé d’agir sur trois plans : augmenter les droits sociaux et les droits démocratiques ainsi que les mesures écologiques. Nouvelle distinction : Un courant sera attentif à proposer des contre-pouvoirs « de classe » au gouvernement socialiste quand l’autre veillera surtout qu’aucune oligarchie nouvelle remplace la vieille, ce qui est difficile car il n’y a jamais révocation de l’ensemble étant donné la composition politique, administrative et privée-financière. Il s’agira de défendre toujours le droit de grève, le syndicalisme et les droits des travailleurs ainsi que la RTT comme base nécessaire au déploiement d’une citoyenneté « socialiste », une citoyenneté bien différente de sa conception libérale-bourgeoise qui défend surtout l’écrasement de la raison solidaire « classiste » (de classe) et de la raison citoyenne par le travaillisme et le consommationisme. La citoyenneté se résume alors au droit de vote, qui symbolise peu ou prou la démocratie réellement existante pour de nombreux travailleurs.

Sur la conception marxiste de l’histoire. Habermas reprend ici les positions de Karl Poper sur l’histoire téléologique du marxisme qui voit les modes de productions se suivre automatiquement. Mais peu de marxistes acceptent aujourd’hui une telle automaticité qui montre le socialisme comme inévitable. Il n’est qu’une perspective qui prend sens que par la lutte des classes et l’histoire de ces luttes mais il s’agit d’un pari pas d’une nécessité.

Sur la place du marché. Même dans les pays à production capitaliste dominante l’Etat planificateur est intervenu pour contrecarrer le développement inégal et combiné. Simplement il ne l’a pas fait au point de rendre le capitalisme non dominant, au point de réduire suffisamment la place du marché, et de laissé un marché certes toujours présent mais régulé. Une telle régulation limiterait l’orientation exclusive pour le profit capitaliste. Dans une société socialiste le nombre de services publics est très important et ils distribuent massivement de la valeur d’usage pour la transition écologique. Les sociétés coopératives sont aussi très développées pour agir dans la sphère marchande au plan local et national. Il ne parait guère sérieux de penser le socialisme pour un seul pays même si la voie est ouverte sur la construction élargie et continentale. Le socialisme avance avec la transcroissance des luttes d’un pays à un autre, en général des formations sociales proches.

Au final, Jurgen Habermas se moule dans une perspective de « fin de l’histoire » à la Fukushima. Il veut améliorer le système dominant, le rendre plus social tout en le laissant dominant. Une sorte de logique modernisée d’Etat providence mais rapportée à l’Europe.

Christian DELARUE

1) Ce texte, publié il y a 20 ans, dans une revue de la Quatrième Internationale n46 « Marxisme et idéologies nouvelles », n’est pas à ce jour consultable sur le web.

Les principales œuvres de Jurgen HABERMAS .

Théorie et pratique, 1963 et 1971 (recueil d’articles)

La technique et la science comme « idéologie », 1968

Connaissance et intérêt, 1968

Raison et légitimité, 1973

Théorie de l’agir communicationnel, 1981

Morale et communication, 1983

Le discours philosophique de la modernité, 1988

Ethique de la discussion, 1991

Droit et démocratie, 1992