Accueil > Altermondialisme > De l’antimondialisation à l’altermondialisation > Université d’été - ATTAC - CADTM - Mvmt sociaux > Intellectualité démocratique : sur quelques expériences contemporaines Ph (…)

Intellectualité démocratique : sur quelques expériences contemporaines Ph Corcuff

lundi 2 septembre 2013, par Amitié entre les peuples

Université Citoyenne d’Attac, Nîmes, 26-29 juillet 2013

Filière « Rompre avec le capitalisme financier et les politiques néo-libérales »

Atelier CAP10 : « Vers une intellectualité démocratique »
Lundi 29 juillet 2013, 10h45-12h45
Animé par Verveine Angeli
Avec Irène Pereira : « Le syndicalisme d’action directe » et Edwy Plenel « L’expérience Mediapart »

****************************

Intellectualité démocratique : sur quelques expériences contemporaines

Par Philippe Corcuff

Introduction

Je suis à l’initiative de cet atelier et de la notion même d’« intellectualité démocratique ».

Pourquoi cet atelier ? Á cause du croisement de deux constats :

1) Premier constat : celui fait par le sociologue Razmig Keucheyan dans son panorama de la vivacité des nouvelles pensées critiques mondiales publié en 2010 sous le titre Hémisphère gauche (Zones/La Découverte) Je cite Keucheyan : « rares sont les théoriciens critiques actuels en prise avec des processus politiques réels. Dans la plupart des cas, les penseurs dont il est question dans cet ouvrage n’ont pas ou peu de rapports avec des organisations politiques, syndicales ou associatives » (p.90).

2) Second constat, celui que je propose dans mon livre La gauche est-elle en état de mort cérébrale ? (Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2012) : il y a des logiques désintellectualisatrices profondes qui travaillent les organisations de gauche, du PS social-libérale aux gauches critiques et radicales. Désintellectualisatrices, au sens d’un certain décrochage avec des pensées critiques et émancipatrices globalisantes, alors que tendent à dominer deux tendances parallèles à gauche : la pensée technocratique dans la gauche sociale-libérale et la contre-expertise dans les gauches critiques, qui constituent deux modalités assez proches, bien qu’opposées dans leur contenu, de segmentation de la pensée.

Je fais donc l’hypothèse d’un double décrochage : des penseurs critiques vis-à-vis des organisations et des organisations vis-à-vis des pensées critiques.

Pour tenter d’apporter une réponse à ce double décrochage, je propose dans la conclusion de mon livre la notion d’« intellectualité démocratique ». Cette notion vise des espaces pluriels de dialogues, de coopérations, de tensions et de confrontations entre mouvements sociaux, praticiens d’expérimentations alternatives, organisations politiques, intellectuels professionnels, journalisme indépendant, artistes subversifs et citoyens ordinaires, dans la perspective de la production d’idées critiques et émancipatrices globalisantes renouvelées, à partir bien sûr des traditions héritées. La mise en pratique d’une telle intellectualité démocratique suppose d’assumer le caractère hybride de ces espaces entre une logique démocratique et une logique de compétences. Qu’est-ce que cela veut dire ? La logique démocratique est celle de l’espace politique démocratique idéal, basé sur la présupposition idéale « de l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui », selon l’expression du philosophe Jacques Rancière dans La Mésentente (Galilée, 1995). C’est-à-dire que, dans l’espace politique démocratique idéal, chacun devrait avoir de manière égale le droit à la parole et à la décision. En ce sens, Rancière a raison de récuser dans l’espace politique idéalement démocratique la figure du philosophe-roi (Platon ou, aujourd’hui, le roitelet Alain Badiou) ou celle du sociologue-roi (dans certaines tentations que Rancière pointe chez Pierre Bourdieu). La logique des compétences est celle de l’espace des savoirs scientifiques et philosophiques, gouverné par des critères de compétences en discussion dans les différentes disciplines. C’est ce qui fait que (fort heureusement !) n’est pas attribuée la même grandeur philosophique, par exemple, à Michel Foucault et à BHL. C’est au nom d’une telle compétence scientifiquement attestée que Pierre Bourdieu est souvent intervenu légitimement dans l’espace public afin de dévoiler des mécanismes de domination, de démystifier des préjugés sociaux et de dénoncer les idées erronées (au regard des connaissances scientifiques disponibles) diffusées par des « intellectuels médiatiques ». Ici, selon moi, tout à la fois Rancière et Bourdieu ont raison, mais avec une part d’antinomie irréductible dans leurs analyses. C’est pourquoi la tension Bourdieu/Rancière est un fil aujourd’hui précieux, que j’ai traité l’an dernier à Toulouse lors de la précédente université citoyenne d’Attac (voir aussi mon livre Où est passée la critique sociale ?, La Découverte, 2012). C’est dans une « équilibration des contraires » de ce type, pour emprunter une notion au libertaire Pierre-Joseph Proudhon, qu’une nouvelle intellectualité démocratique pourrait se fabriquer à gauche et dans les mouvements sociaux.

Après cette présentation des enjeux de cet atelier, je vais avancer des réflexions sur des expériences pratiques successives auxquelles j’ai participé, qui pourront donner des dimensions plus concrètes à la notion d’intellectualité démocratique, en éclairant certaines difficultés de sa mise en place. La prise en compte de ces difficultés aura ainsi des insertions autobiographiques. Il y aura cinq étapes, et je serais à chaque fois très synthétique.

1 – Le club Merleau-Ponty et la revue Mouvements

Le club de réflexions sociales et politiques Maurice Merleau-Ponty naît en janvier 1995 afin de créer un nouvel espace de pensée critique à gauche. J’en ai été le président les deux premières années. Il va tenter d’associer différents courants de gauche et de lier des milieux universitaires et des milieux militants. Il publiera un livre en 1997 sous le titre La pensée confisquée. Quinze idées qui bloquent le débat public (La Découverte). C’était une critique des idées reçues néolibérales (telles que « On n’a rien sans rien », « La défense des acquis sociaux se fait au détriment des exclus », « On ne peut rien contre la fatalité des faits » ou « La flexibilité est le garant du progrès social », avec des auteurs tels que Alain Caillé, Robert Castel, Jean-Paul Fitoussi, Bruno Latour ou Armand Mattelart). Mais, avant cet ouvrage, il avait été propulsé dans l’espace médiatique, en tant qu’un des pôles de la pétition de soutien aux grévistes lors de l’hiver 1995, dite « pétition Bourdieu ». Le club arrête ses activités courant 1998, car au moment du mouvement des chômeurs de 1997-1998, une partie du club comme moi soutiendra et même participera à ce mouvement et une partie, soutenant le gouvernement Jospin, s’opposera à ce mouvement.

Trois leçons peuvent émerger notamment de cette expérience : 1) la difficulté à faire travailler ensemble de manière durable dans des groupes de travail des universitaires et des militants (on avait par exemple un groupe de travail sur les services publics, co-animé par la sociologue Claudette Lafaye et Francine Bavay, à l’époque une des animatrices du syndicat SUD PTT, mais qui a eu de mal à produire et à fonctionné de manière stable) ; 2) l’écueil des divergences d’orientations politiques qui rendent difficiles de cohabiter sur un temps long pour produire une réflexion de fond ; et 3) la difficulté à fabriquer de manière coopérative de la pensée globalisante au-delà de la phase plus facile de critique de la doxa néolibérale.

Je peux compléter cette expérience par une autre qui l’a suivie, celle de la revue Mouvements, à laquelle j’ai participé de sa création en mars 2002 à mon départ en février 2004. Au départ, dans la tradition des revues politiques de gauche, Mouvements est créé à la croisée de plusieurs courants critiques de gauche pour intervenir intellectuellement dans l’espace public.

Le travers principal que j’y ai observé à l’époque, c’est que le rapport entre le nombre de rédacteurs universitaires (ou doctorants) et le nombre de rédacteurs militants (et il y avait bien sûr des personnes avec les deux casquettes) a été déséquilibré au profit des premiers. La revue, comme nombre de revues de ce type d’ailleurs dans les gauches critiques (comme Multitudes, Vacarme, La Revue des Livres, etc.), est davantage devenue une revue para-universitaire ou intellectualo-centrée, où la tendance à l’entre-soi et aux évidences universitaires devenait plus forte (et davantage excluante pour les non-universitaires).

C’est une des raisons principales pour lesquelles j’ai quitté Mouvements, pour me consacrer à la revue ContreTemps, dont j’ai été un co-fondateur en mai 2001 avec Daniel Bensaïd.

2 – Le cas de la revue ContreTemps

ContreTemps s’est située comme une revue critique inscrite dans le sillage de la LCR, mais indépendante de la LCR, et se voulant alors aux carrefours de différents radicalités intellectuelles, sociales et politiques. Son point fort pour moi, du point de vue de l’expérience de Mouvements, était le lien avec les milieux militants de et proches de la LCR. Les rédacteurs se partageaient entre intellectuels professionnels, militants et être hybrides entre les deux. Cela a permis d’enclencher un travail cumulatif sur plusieurs années participant à renouveler la pensée critique, dans un dialogue entre un marxisme ouvert et d’autres courants : dialogue entre marxisme et sociologie critique, entre marxisme et courants libertaires, entre marxisme et écologie politique, entre marxisme et analyses post-coloniales, entre marxisme et études de genre, etc. Et cet amorce de renouvellement intellectuel s’est effectué dans des liens avec des pratiques militantes de et autour de la LCR. Cela a été possible grâce à la figure de Daniel Bensaïd, qui avait une double autorité militante et intellectuelle. Mais déjà, si on n’y regarde de près, la figure de Bensaïd commençait à être l’arbre qui cachait la forêt, car les liens entre le pôle intellectuel de ContreTemps et les pratiques militantes de la LCR se sont peu à peu distendus. Les relations passaient souvent par Bensaïd lui-même, alors que la définition dominante du militant comme du dirigeant de la LCR se transformait : le militant comme le dirigeant de la LCR se définissait de moins en moins, à la différence de ce qu’avait incarné la LCR dans les années 1970, comme un praticien et comme un théoricien. Bref l’intérêt pour l’activité théorique se perdait dans les rangs militants-dirigeants et le pôle intellectuel de ContreTemps était de plus en plus déphasé par rapport à l’univers militant.

Cela s’est dégradé plus nettement avec la création du NPA et, après la mort de Bensaïd en janvier 2010, la revue, sous ses deux supports papier et web, a décroché plus complètement de l’univers militant. Elle est alors davantage devenue une revue para-universitaire ou intellectualo-centrée comme celles dont j’ai parlé. Certes une grande majorité des rédacteurs demeurent des universitaires et des doctorants par ailleurs militants, mais la pente intellectualo-centrée est en moins en moins contrebalancée par des liens noués avec des activités militantes. Par ailleurs, alors qu’une partie importante des rédacteurs de la revue papier comme de la revue web ont quitté le NPA pour le Front de gauche, il n’y a pas eu d’appel d’air militant de ce côté-là. Le Front de gauche n’a pas marqué d’appétence particulière pour le travail intellectuel, et cela n’a pas permis alors de contrebalancer l’évolution intellectualo-centrée. C’est une de raisons principales pour lesquelles j’ai quitté ContreTemps en octobre 2012.

3 - Les universités populaires alternatives

Dans le sillage de la création de l’Université Populaire de Caen par Michel Onfray en 2002, j’ai participé à la constitution de l’Université Populaire de Lyon en janvier 2005 et de l’Université Critique et Citoyenne de Nîmes en octobre 2011. La force de ce type d’expériences est la diffusion de savoirs critiques à une échelle élargie, bien au-delà du public étudiant, sur la base de la gratuité. Certes, le public venant sur une base volontaire, cela n’efface pas les inégalités sociales antérieures face à l’école. Ainsi l’élargissement du public s’effectue d’abord en direction des couches moyennes du salariat, et de manière plus minoritaire en direction des couches populaires. Par ailleurs, la formule principale utilisée dans ce type de dispositif – le cours ou la conférence d’une heure suivi d’une heure de débat – reste limité d’un point de vue pédagogique, en laissant une fonction de tutelle à l’enseignant. Enfin, la diffusion de savoirs produits ailleurs ne correspond pas à la création coopérative d’idées visée par la notion d’intellectualité démocratique. Cela peut être au mieux un point de départ pour cette création coopérative. C’est une limite, par rapport à l’élaboration intellectuelle, de ce type dispositif de diffusion de savoirs critiques, beaucoup utilisé aussi par Attac.

Toutefois un type de dispositif expérimenté par les universités populaires auxquelles je participe apparaît plus intéressant du double point de vue d’une relation pédagogique moins traditionnelle et plus créative. Il s’agit des ateliers, qui ont d’abord été pratiqués à l’Université Populaire de Narbonne, à l’initiative de Michel Tozzi (universitaire à la retraite, didacticien en philosophie et ancien permanent syndical). Dans ce cadre, j’ai animé, à chaque fois pendant quatre ou cinq séances de deux heures, un groupe d’une vingtaine de personnes, de milieux sociaux, d’âges et de sexes diversifiés, autour des thèmes « Utopies et désenchantement » (Lyon, 2007), « Mémoire et utopie » (Nîmes, 2010) et « Lecture philosophique et sociologique du polar » (Nîmes, 2012). J’ai amené des textes, des exercices ou des chansons pour alimenter les séances, j’ai pu réorienter les discussions en cours de séance, mais je n’étais qu’une ressource et un facilitateur dans un processus à la fois individualisé et collectif de coproduction de questionnements. La parole était distribuée à chaque fois par un des participants, les comptes-rendus étaient rédigés par des participants, ceux-ci étaient amenés à écrire des textes en cours de séance, etc. Je n’ai pas dû occuper plus de 10 % du temps de parole de l’ensemble. On a alors en jeu dans ces cas quelque chose comme une construction coopérative assistée de questions, de savoirs et d’idées. Dans le cas de l’atelier « polars » nîmois, il a continué cette année de manière autogérée sans moi. Á la différence des cours et des conférences, cela ne peut fonctionner qu’à l’échelle de petits groupes.

4 – Le conseil scientifique d’Attac

Je serais rapide sur le fonctionnement du conseil scientifique d’Attac que j’ai intégré en décembre 2002, car c’est davantage connu ici. C’est un lieu de dialogue et de travail en commun entre universitaires, militants et êtres situés entre les deux. Et le fait même d’avoir créé un conseil scientifique dans une association altermondialiste constitue une hybridation intéressante entre logique démocratique et logique de compétences amorçant quelque chose comme une intellectualité démocratique. Je ramasserai quelques tendances freinant toutefois dans son activité l’émergence d’espaces stabilisés d’intellectualité démocratique :

1) La contre-expertise sur les questions économiques d’abord, sur les questions écologiques et géopolitiques ensuite, y est dominante. Et les économistes y sont dominants. Et s’ils sont dominants, ce n’est pas par volonté de dominer le CS, mais parce que la réelle politique d’intégration d’autres disciplines : philosophie, sociologie, anthropologie, histoire, etc. a peu marché, les nouveaux venus d’autres disciplines participant finalement peu à ses travaux à la différence des économistes. Et si la contre-expertise y a beaucoup d’espace, les pensées critiques et émancipatrices globalisantes en ont peu. Une des exceptions a été le cas du livre Le capitalisme contre les individus, publié en 2010 et produit du groupe « individualisme contemporain » du CS créé en février 2005. Le groupe « émancipation » créé en octobre 2010 s’est par contre très vite perdu dans les sables.

2) Le discours dominant dans le CS d’Attac, comme dans le reste de l’association, est le discours démocratique de l’égale compétence à parler et à décider. Mais, dans le domaine de la contre-expertise économique, la pratique dominante est celle de la logique de compétences : les économistes du CS travaillent à telle ou telle contre-expertise en fonction de l’actualité, économistes universitaires et chercheurs mais aussi ceux qui dans le mouvement social ont acquis une expertise dans le domaine économique sans nécessairement avoir les diplômes (c’est un des points forts du CS sur ce plan, par rapport aux expertises « officielles »). Et, en général, peu ou pas de militants qui n’ont pas d’expertise dans le domaine concerné participent à ces groupes de travail. Dans ce cas, il y a donc un fort décalage entre le discours et la pratique, sans que la tension entre logique démocratique et logique de compétences ne soit vraiment reconnue et assumée.

On a quelque chose d’assez différent dans le cas de sujets dits de « de société ». C’était le cas du groupe « individualisme contemporain », qui a mis cinq ans à produire un livre, alors que les économistes vont beaucoup plus vite pour produire leurs textes. Dans le cas de « sujets de société », beaucoup se sentent compétents, au sens où dans une logique démocratique tout citoyen est apte à traiter le sujet. Mais, par contre, on reconnaît mal qu’il puisse y avoir des compétences différenciées sur de tels sujets (compétences sociologiques, philosophiques, historiques, etc.). C’est pourquoi cela dure beaucoup plus de temps pour construire un cadre commun, et comme des personnes entrent ou sortent du groupe au fur et à mesure, cela amène à défaire des choses péniblement acquises au cours les échanges passés et à recommencer, etc. C’est une autre façon de ne pas reconnaître et assumer la tension entre logique démocratique et logique de compétences.

Je conclurai toutefois ce point sur le CS d’Attac par un note positive : c’est vraisemblablement dans le domaine écologique où la tension entre logique démocratique et logique de compétences est le mieux assumé dans Attac en général et dans le CS en particulier.

5 – Une nouvelle aventure : le groupe ETAPE

Je terminerai mon tour d’horizon par une dernière expérience, qui vient juste de débuter. Mais elle s’efforce de prendre en compte les écueils des expériences antérieures.

Il s’agit du groupe ETAPE, créé en juin 2013, et fonctionnant principalement via un séminaire mensuel à Paris. ETAPE signifie Explorations Théoriques Anarchistes Pragmatistes pour l’Emancipation. Cela se situe donc dans l’espace libertaire, mais lié à aucune organisation. Une vingtaine de personnes, de sensibilités anarchistes diverses, organisées et non organisées, mais aussi quelques membres du NPA, un membre du Front de gauche et une militante de Lutte ouvrière, se sont retrouvées lors du premier séminaire. La production du groupe se situe au niveau de la réinterrogation des « logiciels » de la pensée critique et émancipatrice, c’est-à-dire de la formulation même des problèmes et des questions. Cela passe par le cumul d’un travail coopératif sur un temps long dans un groupe relativement restreint. Pour éviter le décrochage des milieux militants face à une domination des milieux universitaires observé dans nombre d’expériences antérieures, on considère qu’il faut qu’au moins 2/3 des participants soient inscrits dans une expérience militante (et que la moitié au moins ne soit pas constituée d’universitaires-militants, ces proportions étant approximatives et expérimentales). L’activité principale de ce type de travail n’est pas de produire lui-même de nouvelles idées et de nouveaux concepts, mais la visée est plus modeste : un travail de transformation d’idées puisées dans les milieux intellectuels professionnels ou dans des pratiques alternatives en les mettant en perspective politiquement, en effectuant un travail de traduction politique et de filtrage à partir d’expériences militantes. La valeur ajoutée principale de ce type de travail consisterait non dans l’invention d’idées, mais dans des transformations politisantes et dans des filtrages militants. Il s’agirait donc d’une transformation secondaire de produits intellectuels.

Le groupe est associé à un nouveau site libertaire internet : Grand Angle (http://www.grand-angle-libertaire.net/). Et donc la création est aussi associée à une mise à disposition plus large des idées discutées et produites, à une diffusion. Pour mieux rendre le travail coopératif et faciliter le cumul collaboratif de ce travail, nous avons imaginé pour l’instant un dispositif principal : 1) un ou plusieurs intervenants écrivent un ou plusieurs textes à l’avance ; 2) le texte n’est pas présenté par son auteur mais par un rapporteur « compréhensif » (qui en présente les points forts à sa manière) et un rapporteur « critique » (sous l’angle de questionnements ou de remarques plus critiques sur le texte) ; 3) l’auteur réagit ; et 4) il y a une discussion générale avec l’ensemble des participants. Lors de la première séance, Irène Pereira a présenté un texte philosophique, j’ai fait le « rapport compréhensif » et un inspecteur du travail, membre du syndicat SUD Travail, a fait le « rapport critique ». Suite au séminaire est proposée à la publication sur Grand Angle une série de textes : le texte de l’intervenant, éventuellement modifié en fonction de la discussion, le rapport « compréhensif » et le rapport « critique » (eux aussi éventuellement modifiées en fonction de la discussion), et puis les textes éventuels proposés par les autres participants au séminaire.

Voilà ce n’est qu’une micro-expérience débutante, dans un cadre très limité, mais qui essaye de tenir compte d’une analyse critique des écueils rencontrés antérieurement. Une de ses faiblesses potentielles est d’être basée sur un petit groupe dont la vie et la pérennité est particulièrement tributaire des relations interpersonnelles et de leurs vicissitudes, ce qui est tendanciellement davantage amorti dans les grands groupes.

L’avenir de l’intellectualité démocratique est à la multiplication des initiatives et des expérimentations pratiques, de tailles diverses, dans différents secteurs de la gauche et des mouvements sociaux, et dans des dispositifs transversaux à ces secteurs.