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Idéologie. Le peuple est très rarement « tout entier » ! C Delarue

lundi 12 octobre 2015, par Amitié entre les peuples

Idéologie. Le peuple est très rarement « tout entier » !

Brièvement revenons à la Constitution « Brejnev » de 1977 car elle fait mention de la notion de « peuple tout entier ». Son préambule indiquait que « les buts de la dictature du prolétariat ayant été atteints, l’état soviétique est devenu l’état du peuple tout entier. » L’article 1 du chapitre premier définissait le rôle de l’URSS en tant qu’état socialiste, comme l’avaient fait les constitutions précédentes : « L’Union des Républiques socialistes soviétiques est un état socialiste pour l’ensemble du peuple, qui exprime la volonté et les intérêts des travailleurs, paysans et de l’intelligentsia, les travailleurs de toutes les nations et les nationalités du pays. » La différence principale est que le gouvernement ne représente plus les seuls travailleurs et paysans. Il a en quelque sorte la prétention à représenter la société toute entière. On a là une proposition idéologique, dogmatique, a-critique.

Masque des dominations internes et monstration d’un « bouc émissaire » extérieur.

Cette modalité globalisante, totalisante, « communautariste » en quelque sorte, d’envisager le peuple sous des dénominations variables très souvent fausses (il y a des exclus) - peuple ethnique, peuple démocratico-citoyen, peuple nation, etc... - vise souvent à montrer (uniquement) un ennemi extérieur et masque aussi, très souvent en outre, l’essentiel à savoir, en interne, en son sein, l’existence d’oppressions, de dominations, d’exploitations diverses. En effet, dans toute société, dans tout peuple il y a des dominants et des dominés et il y a plusieurs rapports sociaux de domination.

Citons, outre les rapports sociaux « classistes » de domination capitaliste capital-travail, ou ceux plus largement économico-politiques entre ceux d’en-haut (la finance, les grands créanciers, globalement le 1%) et ceux d’en-bas (99% du peuple-classe), souvent présentés comme le plus déterminant (principe de hiérarchie d’un certain économisme), le sexisme, l’homophobie, l’intégrisme, le racisme, le spécisme, etc.

Peuple-classe, formule augmentée !

Contre cette conception englobante, la notion de « peuple-classe 99% multicolore et multitextile » a l’avantage conceptuel (augmenté récemment) de montrer d’abord, pour le premier segment - « peuple-classe 99% » -, un rapport économico-social plus qu’un chiffre (qui n’est qu’indicatif puisqu’il arrive d’évoquer un peuple social 90% faisant plus encore l’objet d’attaques).

Ce que ce concept de peuple-classe exprime surtout c’est qu’il existe au-dessus de lui une classe dominante objective et subjective (consciente de soi et de son pouvoir), une classe sociale qui ne cesse de s’activer, par le biais d’appareils divers, d’une part à la domination économique de ceux et celles d’en-bas (inégalités économiques accrues avec des riches très riches et des pauvres très pauvres mais aussi défaut d’appropriation sociale) et d’autre part à la domination oligarchique via la démocratie réellement existante, soit une « démocratie limitée » une démocratie très excessivement représentative, sans empowerment (2).

Le troisième point tient à la prédation contre la nature . On ne saurait accuser pareillement un membre du peuple-classe 99% (ou du peuple social 90%) de participation au dégâts écologiques - ce qui se fait évidemment - à l’instar d’un industriel ou d’un financier qui lui fait (pas tous mais beaucoup) du profit massif par la surexploitation de la nature ou en justifiant un pseudo-capitalisme vert (experts ou ingénieurs à la solde de l’industrie polluante par exemple).

Au plan politique et démocratique, la notion de peuple-classe est l’équivalent de « sans pouvoir » démocratique, étant entendu que le peuple-classe dépossédé n’est pas totalement dépourvu de pouvoirs d’action dans la société civile bien que ces lieux soient très restreints. Il ne s’agit pas ici de pointer - même si c’est globalement vrai - des capacités particulières ou des avantages variables des membres du dernier décile (10% d’en-haut) soit des membres relativement aisés du peuple-classe .

Il s’agit de remarquer qu’il n’y a pas que l’Etat comme lieu de conquêtes de pouvoirs. D’autant qu’en la matière il importe de distinguer, face au capitalisme, une gauche simplement d’alternance (intra-systèmique) d’une gauche d’alternative (extra-systèmique ou contra-systèmique). Il y a aussi une gauche d’empowerment individuel et collectif qui mobilise par en-bas et une gauche plus délégataire qui demande plus un transfert de pouvoir.

Second segment de la formule

Le second segment de la formule - « multicolore et multitextile » - est destiné à soutenir une activité antiraciste et antisexiste. C’est un ajout plus récent qui a son importance en matière de pluralité des dominations et des luttes. Il se combine notamment avec la notion « d’antiracisme relié » qui intègre des considérations sur l’intersectionnalité.

Je précise que je ne parle pas ici comme scientifique ou intellectuel qualifié et reconnu (comme Sébastien Chauvin sur l’intersectionnalité ou Philippe Corcuff du CS d’ATTAC cf son texte sur le PIR) aux prises (seulement) avec des débats analytiques et des références textuelles nombreuses mais d’une part en militant durablement engagé au plus haut niveau dans l’altermondialisme et l’antiracisme et d’autre part en pensant à de possibles débats au sein des associations antiracistes universalistes et notamment le MRAP qui est non seulement « généraliste » (entendez « toutes formes de racisme ») mais aussi membre fondateur d’ATTAC et qui a été aussi en proximité militante (« plateforme dette ») avec le CADTM bien avant la naissance d’ATTAC en 1998.

Christian DELARUE

1) Constitution soviétique de 1977 — Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Constitution_soviétique_de_1977

2) Empowerment est une expression a-politique voire néolibérale signifiant « prise en main » ou « prise en charge par soi-même de ses problèmes » mais employée à gauche dans le sens « d’intervention de ceux d’en-bas et par en-bas dans les affaires de la Cité ».

Documents

sur le peuple-classe

Classe dominante et oligarchie contre peuple souverain et peuple-classe.

http://mouvements.info/classe-dominante-et-oligarchie-contre-peuple-souverain-et-peuple-classe/

Indigènes de la République et convergences des mouvements sociaux - Philippe Corcuff

http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/100715/indigenes-de-la-republique-et-convergences-des-mouvements-sociaux

Addendum

Le terrain de conquête du peuple-classe dans une perspective altermondialiste

La question générale de la conquête de la démocratie par le peuple-classe a déjà été partiellement exposée ici mais il importe sans doute de souligner plus qu’avant la diversité de modalités d’auto-empowerment de ce peuple-classe car il n’y a pas que la conquête du pouvoir d’Etat via les partis politiques, surtout dans une perspective altermondialiste.

Certes cette conquête en vue d’une alternative extra-systèmique a son importance et pas seulement parce qu’elle est réclamée par une fraction de ce peuple-classe mais aussi parce que, pour le moment, elle a échoué - enjeu spécifique - soit par dérive autocratique du pouvoir bureaucratique (stalinisme) soit par intégration à une stratégie de simple alternance intra-systèmique (socialisme des PS).

La conquête de la démocratie par le peuple-classe s’exerce contre contre la finance et le 1% d’en-haut mais pas seulement ! Il y a d’autres enjeux qui poussent à faire reculer d’autres maux comme le racisme et le sexisme ici et maintenant , notamment dans la société civile

Car ce serait par trop réduire le champ d’action de la dite conquête que de limiter ainsi le pouvoir d’agir du peuple-classe. Ce serait oublier les autres enjeux, cruciaux eux aussi, qui cristallisent des rapports sociaux dans la société civile. Evoquons les questions du transport (gratuité des bus, facilitation du vélo, diversité des trains), du logement (bas prix et qualité), des services publics (satisfaction à bas tarif des besoins sociaux), de la nature (alternatiba et transition écologique), de l’alimentation (AMAP), de la finance propre (Nef), des coopératives, d’une alternative partielle à l’élection (tirage au sort), etc.

Sur la critique du « peuple tut entier » lire aussi

Peuple tout entier ou large fraction de peuple contre. Suivi du cas syrien.C Delarue - Amitié entre les peuples
http://amitie-entre-les-peuples.org/Peuple-tout-entier-ou-large

Derrière le peuple, le peuple-classe. C Delarue - Amitié entre les peuples
http://amitie-entre-les-peuples.org/Derriere-le-peuple-le-peuple

PEUPLE TOUT ENTIER : L’effacement de la distinction classe dominante / peuple-classe. C Delarue - Amitié entre les peuples
http://amitie-entre-les-peuples.org/PEUPLE-TOUT-ENTIER-L-effacement-de

« Educ pop » I : Clarifier l’usage d’un mot valise : le peuple. - Amitié entre les peuples
http://amitie-entre-les-peuples.org/Educ-pop-I-Clarifier-l-usage-d-un