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Hypersexualisation ou distance par rapport aux normes et rôles. C Delarue

jeudi 25 septembre 2008, par Amitié entre les peuples

HYPERSEXUALISATION OU DISTANCE PAR RAPPORT AUX NORMES ET RÖLES

Ce texte provient d’une lecture et d’une réaction sur l’hypersexualisation dans un texte sur la prostitution (1) qui a ensuite donné lieu à un rebond en deux points (2 et 3) - qui auraient pu se regrouper sous « une autre sexualité est possible ».

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1 - Ou est la « culture hypersexualisée » ?

 Dans la prostitution.

Richard Poulin mène un combat sérieux et soutenu contre la prostitution (1), y compris contre la prostitution « voulue » ou « choisie ». Ainsi, il engage un débat (bien argumenté selon moi) contre celles qui justifient le « travail du sexe » . Contre Élisabeth Badinter, par exemple, il critique sa conception de la prostitution qui s’intègre dans un « droit chèrement acquis depuis à peine trente ans [qui] appelle le respect de tous : la libre disposition de son corps ». La distinction entre prostitution « libre » et « forcée » lui permet de dénoncer le discours qui prétend que les personnes prostituées sont « les victimes de la logique économique libérale et de la domination masculine propre au patriarcat ». Les qualifier de « victimes » serait admettre l’existence d’une oppression sociale structurelle, ce qui n’est plus le cas : « Le patriarcat [est] agonisant dans nos sociétés. » (2)

Combattre la prostitution mondialisée est une chose parfaitement légitime qu’il faut encourager. Mais en profiter pour stigmatiser l’hypersexualisation (sic) et la liberté sexuelle conquise contre des siècles de pudibonderie l’est moins. Richard Poulin militant de grand mérite dit : Faire « une « carrière » dans la prostitution et la pornographie apparait même comme étant glamour » (1). Autour de moi, y compris chez des personnes non militantes, je n’ai jamais entendu chose pareille. Cela favorise la culpabilisation des femmes « glamour » et au-delà de la séduction libre entre humains réels ( 3).

 Ailleurs ?

Le monde contemporain connait un fort « retour du religieux » qui ne remplit pas les lieux de culte mais qui fait soit l’apologie du voile islamique contre la concupiscence des hommes soit l’apologie de l’absence de relation sexuelle avant le mariage et ce en lien avec la conception du mariage unique et indissoluble. Ainsi le pape est venue en France en septembre 2008 pour empêcher le remariage chrétien (après divorce), favoriser la laïcité « ouverte » et le rite tridentin.

Dans les quartiers et sur internet, certaines - pas toutes - jeunes filles voilées traitent de « pute » (4 ) ou d’autre noms d’oiseaux leurs copines qui portent des mini jupes. Il a fallu organiser des journées de la jupe (5 ) dans les collèges et lycées pour contrecarrer ces pressions normatives et répressives . Bref la sexualisation n’est qu’apparente dans la publicité mais guère dans la vie réelle, sauf pour certaines adolescentes (stigmatisation du string qui dépasse). Ce que l’on voit dans la publicité ne se retrouve pas dans la vie réelle sauf de façon très marginale . La France n’est pas le Brésil !

Dans la sexualisation de la publicité il faut distinguer ce qui participe du normal (publicité pour les sous-vêtements par exemple) de ce qui relève de la reproduction de l’oppression et de la domination (mettre une femme nue pour vendre un objet ou pire la porno-pub).

Cette dialectique incite à passer de l’hypersexualisation publicitaire à la sexualité réelle.

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2 - Jouer de la sexualité pour se rencontrer vraiment.

Sans sous-estimer le poids de la publicité et des normes qu’elle véhicule il faut aussi mesurer le poids du passé patriarcal religieux et du « retour du religieux » le plus strict et rigide. Cet ensemble de logiques contradictoires étant bien considéré, il faut, semble-t-il, alors se méfier tout autant du recul possible de ce qui a pu être conquis comme étant de nouveaux rapports hommes-femmes, notamment en termes d’égalité, de réciprocité, de reconnaissance des désirs de l’autre - sans être dupe des limites de ce qui a été conquis - parmi certaines couches sociales . Une autre sexualité est possible certes mais encore faut-il ne pas l’enfermer de façon répressive sous prétexte de ne pas laisser libre cours aux « bas instincts » (réponse religieuse courante)

 Lutter sur deux fronts !

Il y a jugement de sexualisation que par contraste. Autrement dit la sexualisation de la vie quotidienne se remarque aujourd’hui que par son absence relative dans les pays occidentaux avant 1970 (grosso modo) et dans les pays ou la religion musulmane est dominante. Il faut y voir tout à la fois un mouvement de libéralisation des mœurs contenu par le poids des normes patriarcales et religieuses et un mouvement de récupération capitaliste pour marchandiser des pratiques nouvelles. Comme l’indique Gabriel Birard et Fanny Michel (6) « La valorisation de la jouissance, ou la mise sur place publique de la sexualité, est au cœur des dispositifs marchands ». Donc nous n’en avons pas fini avec l’émancipation loin de là car nous devons lutter désormais contre deux fronts le puritanisme religieux et la marchandisation des corps et de la sexualité.

 Hyper-sexualisation ou machisme !

Mais ici ce qui est à critiquer, notamment dans les vecteurs de communication de masse dont la publicité, c’est moins une hyper sexualisation qu’une « vision machiste de la sexualité, à travers l’exigence de performance sexuelle, la répartition des rôles sexuels, etc. ». On peut certes les relativiser, en jouer sans en être dupe mais les normes sont là. Car à la racine de nos comportement il faut admettre que « nos relations amoureuses, de couple, nos sexualités ne sont pas
naturelles mais déterminées par des conditions matérielles construites pour maintenir un ordre capitaliste et patriarcal. Parmi ces conditions matérielles il faut souligner le poids des normes qui quoique diversifiées structure toujours notre vécu » (5).

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3 ) Un exemple hors des sentiers battus : Entre amour et amitié : une liaison douce

source : chrismondial blogg

Si l’amitié est parfois suspecte dans le cadre du travail, l’amour est lui subversif.. La rencontre amoureuse c’est la peste ! Pour certains philosophes comme Eric Fromm se réclamant de Spinoza, le « tomber amoureux » (6) relève de la passivité non de l’activité . Les frontières et les normes n’existent que pour l’ordre moral et social pas pour les sentiments et plus encore les désirs qui eux sont mouvants. Les mœurs ont évolué contre la rigueur des institutions civiles comme la famille (6 bis ) et religieuses notamment envers la sexualité et cela a favorisé la montée des divorces mais aussi cette porosité des frontières entre amour et amitié. Pourtant passer de l’amour à l’amitié au moment de la rupture n’est pas évident tant dans le couple qu’en dehors. Le lot commun est plutôt fait de haines, d’indifférences, de rejets, donc d’empoisement sur la blessure de la rupture.

 D’amour en amitié

Jacqueline KELEN (7) écrit ceci sur l’amitié : « L’amitié est faite pour durer : entre amis on n’a pas besoin de fêter l’anniversaire de la rencontre, on sait qu’on se verra encore dans cinq ans, dans vingt ans, qu’on »vieillira ensemble« , ô merveille ! » (p49) Si l’on rapproche ce propos (optimiste ?) sur l’amitié de ce que dit Robert MISRAHI de l’amour (8), on observe que les qualités essentielles de l’amour ne sont pas celles de l’amitié. La durée n’est pas la première qualité de l’amour amoureux. Dans l’amour, « l’autre est posé comme digne d’amour, affirmé comme valeur décisive ». Ce qui peut inciter, jusqu’à un certain point, à l’inscrire dans la durèe malgré les aléas du désir charnel. Pour J Kelen, c’est l’amitié qui implique continuité et engagement, qui se nourrit de présence, de témoignages et d’échanges renouvelés. Sinon elle se nomme camaraderie, rencontre de vacances, relations opportuniste ou superficielle (p49).

Chacun des auteurs se fait une haute idée l’un de l’amour, l’autre de l’amitié . Jacqueline KELEN et Robert MISRAHI n’ont pas la même définition de l’amour . Cela demanderait d’ailleurs approfondissement . En deux mots ici, J. Kelen pour valoriser l’amitié généralise abusivement certains défauts des amants et sous prétexte de réalisme n’évoque en somme que l’aventurier comme amant : « L’amant n’a pas pour rôle d’aider ni de consoler ; il ne vous aime ni triste, ni malade, ni laide, ni faiblarde ». Certes, l’amant qui voit que l’autre, non malade, se complait dans la laideur partira (9). Mais bien des amants restent auprès de leur bien aimée quand le sort tourne mal pour elle. Le propos est bien sûr valable en sens inverse pour des amantes . Un sévère mal de dos peut survenir et perdurber la relation amoureuse mais justement permettre un basculement dans une préfiguration de l’amour-amitié.

En attendant disons, que dans la « vraie vie » des éléments de l’un et de l’autre peuvent s’interpénétrer . On peut, alors que l’on vit en amoureux (8), et à partir du sentiment d’admiration et de grande valeur attribuée à l’autre vivement souhaiter vivre vieux en s’engageant donc à maintenir une forte affinité sentimentale avec son amour alors que, replacé dans le temps, l’amour amoureux peut s’effilocher et même connaitre la rupture. L’affinité sentimentale pourra continuer de se vivre soit « en couple » soit « hors du couple » selon les aléas de l’histoire de la rencontre amoureuse. L’affinité sentimentale perdurera que si elle maintenue par reconnaissance de la valeur de l’autre. La valeur de l’autre étant le point commun de l’amour et de l’amitié. Au passage je signale que c’est sur cette notion de valeur importante donnée à l’autre que je rapproche aussi Robert MISRAHI et Jacqueline KELEN malgré leur développements différents voire contradictoires. Je poursuis avec des considérations plus évidentes : Le divorce n’empêche nullement de vivre vieux en amitié. L’on sait aussi, et J. Kelen le développe nécessairement, que l’amitié peut se vivre dans un couple qui ne connait plus les joies de l’amour amoureux . On pense aux couples âgés qui ne souffrent plus de l’absence du désir chez l’autre.

L’amitié dit JK implique continuité et engagement, Aimer quelqu’un sans l’aider, sans le consoler au besoin, n’est pas l’aimer dit-elle. L’indifférence réelle ou feinte ne relève donc pas de l’amitié. Le « restons amis » de celui qui se détache sent l’aumône lâché dans la fuite et s’apparente plus de l’indifférence blessante que de l’amitié .

 Entre amour et amitié : la voie médiane

La séparation peut certes déboucher sur une stricte amitié mais aussi échapper aux vieux démons du dualisme amant ou ami, perdant ou gagnant, l’abandonné ou le fuyard pour choisir un entre-deux sans perdant que certains nomment « l’amitié amoureuse » ou quand la liaison amoureuse est plus rare « la liaison douce ». L’amitié n’est plus alors la menue monnaie de l’amour.

« L’histoire de la littérature française a conservé le témoignage d’une relation entre homme et femme aux frontières de l’amour et de l’amitié, celle du philosophe Diderot et de Louise-Henriette Vollant, surnommée Sophie. Lorsqu’ils se rencontre, en 1754, ils ont la quarantaine. Diderot est marié, père d’une fille, il est déjà célèbre. Pendant une vingtaine d’années, à un rythme irrégulier, il correspondra avec Sophie qu’il appelle »mon amie« , »ma tendre amie« , ma Sophie », « chère amie ». Lui-même signe ses lettres « votre amant et votre ami Diderot » . Ils ne vivront pas ensemble, mais leur « liaison douce » - tel est l’expression de Diderot - est un échange complice, amusé, ironique et tendre, qui compte plus sur les affinités du coeur et de l’intelligence que sur les relations physiques, espacées, improbables. « Les sentiments de tendresse et d’amitié que vous m’avez inspirés font et feront à jamais la partie la plus douce de mon bonheur », écrit Diderot le 2 octobre 1761 à la femme aimée".

Diderot mourra en 1784, quelques mois après Sophie Volland. Plus près de nous, on pense à Cocteau, qui s’éteint le même jour que sa grande amie Edith Piaf : une complicité, un pacte qui franchissent les barrières irrémédiables.

Christian DELARUE

1) Richard Poulin Femmes et fillettes marchandises sexuelles, prostitution
mondialisée et libéralisme

<http://www.europe-solidaire.org/spi...>
ou
http://www.prs12.com/spip.php?article7340

2) Christine Delphy remarque dans son article Richard Poulin - Abolir la prostitution que le débat entre abolitionnistes et néo-réglementaristes ou partisanes de la prostitution comme métier, c’est que si ces derniers et dernières mettent en avant la parole des femmes, il ne s’agit que de celles qui exercent encore, et jamais de celles qui en sont sorties, ni de celles qui souhaitent en sortir. Les deux camps ne parlent jamais des mêmes personnes, ni de la même parole.

Richard Poulin - Abolir la prostitution

http://sisyphe.org/spip.php?article2728

3) Christian Delarue VOILE ISLAMIQUE ET SEDUCTION

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=54555

4) Christian Delarue - Réponse aux « voilées » : Nous sommes tous et toutes des putes !

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=55483

5) Journée de la jupe à Vitré et ailleurs
discussion
PANTALON ET VOILE / SEINS NUS ET JUPE : LE REGARD ET LE RESPECT.*

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=54400

6) Lire « Sexualité, normes … et émancipation » de Gabriel Birard et
Fanny Michel Crit Co déc 2007

7) voir essai Christian Delarue sur le « tomber amoureux » sur le blog chrismondial
http://www.blogg.org/blog-44839.html

1 bis la famille couvre encore malgré cette évolution des moeurs des pratiques diverses de domination et d’oppression, dont le viol . Par ailleurs le maintien dans la famille de couples dont l’un refuse des liens sexuels explique aussi cette évolution à une époque moins austère .

8) Aimer d’amitié. L’amour véritable commence avec l’amitié de Jacqueline KELEN - Robert LAFONT

9) *Libres extraits de « Qui est l’autre ? » (de Robert MISRAHI) par Christian Delarue*

http://rennes-info.org/Libres-extraits-de-Qui-est-l-autre

aussi sur le site Bellaciao

10) Sur un aspect de la valeur liée à la séduction cf *La « mère » et la « putain » Christian Delarue

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=29304

L’hypersexualisation des filles : une angoisse à relativiser

Johanne Angeli