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Histoires animales – La coupe du monde par J-L Picard-Bachelerie

mercredi 21 décembre 2022, par Amitié entre les peuples

Histoires animales – La coupe du monde

Jean-Luc Picard-Bachelerie
Tribune libre diffusée sur Agoravox le 20 décembre 2022

Prologue
Le gnou, animal bovidé de la famille des ongulés est un genre de bestiau qui vit dans la savane. Il se déplace en troupeaux pouvant atteindre le milliard et demi d’individus pour chercher du travail. Pour cela, il y a un rituel : celui de traverser la rivière Mara. Malheureusement, cette traversée est fatale pour beaucoup d’entre eux et des milliers de gnous terminent au fond de l’estomac des crocodiles.
Un jour, les autres animaux lui dirent : “Eh petit gnou ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas en traversant la Mara que tu vas ramener de l’argent à ta famille !
Et le gnou répondit : « Je le sais bien, mais je dois travailler. C’est à moi de m’adapter aux besoins du marché. »

La coupe du monde
Comme tous les 4 ans, une coupe du monde de sport était organisée. C’était pour amuser les colibris qui travaillaient dur avec leurs petits gestes. Certains de ces colibris étaient assez forts pour gagner la coupe du monde et ils gagnaient beaucoup d’argent. Mais vraiment beaucoup d’argent.
Cette fois, les lions avaient décidé d’organiser cette coupe du monde dans un pays qui avait énormément d’argent et qui avait peur d’en manquer un jour, car il ne pourrait plus faire commerce de son pétrole. C’était le pays des crocodiles. Mais, dans ce petit pays, les crocodiles ne faisaient pas de sport et l’herbe n’y poussait pas tellement, car il y faisait très chaud. C’est d’ailleurs pour cela que le sport n’y était pas pratiqué. Mais comme ce pays était très très riche, il avait imaginé qu’avec de la technologie, il allait pouvoir refroidir les stades. Il faut dire que beaucoup des animaux très riches, notamment les vautours, croyaient que la technologie allait éteindre l’incendie qui se propageait dans le monde entier ce qui leur permettait de continuer à faire les imbéciles avec le réchauffement. Mais là, n’est pas le sujet, car en sport, ils avaient décrété qu’il ne fallait pas faire de politique.
Il y avait à travers le monde des travailleurs acharnés, mais qui étaient très pauvres. Ils passaient leur temps à migrer pour chercher du travail et à traverser toutes les rivières Mara du monde entier, là où les attendaient les crocodiles. C’était les gnous.
Et justement, les crocodiles de ce pays plein de pétrole avaient besoin de plus de gnous qu’à l’ordinaire, car cette fois, il fallait en réserver pour le travail. Alors, ils en firent venir plein de ces contrées pauvres que le FMI avait pressurées, pour leur donner du travail et construire les stades. Mais ces animaux riches faisaient peu de cas des droits des animaux et surtout des gnous. En quelques bouchées, ils vous avalaient n’importe quel animal en deux ou trois coups de dents. Et, tandis que les cigales du monde entier chantaient leur désolation de voir la condition de ces malheureux gnous se faire bouffer et l’absurdité d’un tel projet, le monde entier regardait les colibris sportifs s’entraîner avec grand intérêt et former leurs équipes.
Mais il faut bien le dire, les chants des cigales ne faisaient pas reculer les crocodiles. Et des milliers de gnous se faisaient engloutir, à tel point que les crocodiles ne parvenaient plus à les manger. Alors, ils les enterraient dans les stades. Après tout, la terre aride et brûlée par le soleil avait besoin d’humus.
Pourtant, un jour, les lions avec leurs singes serviles en eurent plein le dos d’entendre ces cigales geindre soir et matin et ces fourmis et ces abeilles manifester sous leurs fenêtres. Les lions et les singes ne pouvaient plus dormir tranquillement. Alors, il dirent aux crocodiles de faire un peu plus attention à leurs gnous et d’en bouffer un peu moins. Et de les enterrer mieux. Ça se voyait trop. Les crocodiles s’exécutèrent, car les lions et les singes étaient leurs clients. Désormais, ils ne mangeaient les gnous qu’avec maintes précautions de manière à ce que ça soit plus discret.
Et plus la coupe du monde se rapprochait, plus ceux qui regardaient les colibris sportifs s’entrainer eurent quelques scrupules. Il faut dire que la terre se réchauffait trop rapidement et qu’il fallait enterrer correctement les gnous de manière à ce que le sol des stades soit parfaitement lisse et ne pas venir perturber les matchs. Les crocodiles décidèrent de prémâcher les gnous qu’ils ne parvenaient plus à manger tellement il y en avait de manière à ce qu’ils s’intègrent mieux à la terre et que leurs pattes ne dépassent pas du sol.
Certains animaux allaient jusqu’à vouloir boycotter la coupe du monde. C’était surtout des animaux qui n’en avaient que faire du sport en général. Mais quelques autres étaient sincères. Ils ne regarderaient pas beaucoup la coupe du monde.
Enfin la coupe du monde eut lieu. Les meilleures équipes étaient toutes là. Toutes sauf celles qui étaient moins riches, car elles gâchaient un peu la fête. Il s’agissait des fédérations de colibris noirs.
Et les matchs eurent lieu dans des stades emplis d’animaux très riches qui allaient de stade en stade avec leurs jets. Aucune patte de colibris morts ne dépassa de la pelouse des stades. C’était parfait. La climatisation fonctionnait très bien. Le lion Jupiter déclara : « Cette Coupe du monde, la première organisée dans le monde des crocodiles, témoigne de changements concrets qui sont à l’œuvre. Le pays des crocodiles s’est engagé dans cette voie et doit continuer. Il peut compter sur notre soutien. Cette coupe du monde est vraiment très bien organisée pour nos animaux riches. »
Quelques colibris sportifs eurent un peu mal à la gorge, à cause de la climatisation, mais les matchs eurent lieu normalement. Les lions et les vautours vinrent assister aux matchs avec leurs jets, leurs 4 x 4 et leurs yachts et se réjouissaient de voir une si belle organisation. Vu du ciel, les milliards de lumières présentaient un spectacle nocturne magnifique sur fond de l’embrasement du monde. C’était vraiment extraordinaire.
Le jour de la finale, le lion autoproclamé Jupiter était là pour soutenir ses colibris. Mais son pays ne gagna pas la finale. Il en fut très triste et le meilleur joueur de son équipe aussi. Il alla le consoler devant la terre entière et le prit dans ses bras et lui tint à peu près ce discours : « je suis vraiment très empathique et ça fait bien de consoler les gens tristes comme toi. C’est pourquoi je vais le faire avec les colibris que j’ai précarisés, les colibris étudiants que j’ai affamés, les colibris retraités que j’ai laissé crever, les colibris professeurs et soignants que j’ai abandonnés, les enfants colibris que je laisse dormir dehors. Tiens, je vais même leur donner une prime... Eh, non j’déconne... »
Tout le monde était content. Cette coupe du monde s’était vraiment bien déroulée. Personne n’avait dit un mot plus haut que l’autre. C’était tellement beau que les lions, les singes, les vautours et les crocodiles en conçurent un autre projet. Celui d’organiser une coupe du monde d’hiver dans le pays voisin dans lequel il faisait habituellement 40° jour et nuit. La technologie avait prouvé qu’elle pouvait refroidir des stades en plein air, elle pourrait bien glacer un pays chaud tout entier. Et c’était certain, elle allait sauver le monde du réchauffement généralisé. Et des millions de gnous étaient déjà prêts à venir travailler à ce grand projet pour la plus grande gloire du sport.
Mais, c’était sans compter sur les fourmis et les abeilles. Réunies en conseil, et devant l’urgence climatique, elles en conclurent qu’il fallait stopper le massacre des gnous et arrêter le feu, et que la première des conditions pour y parvenir était qu’il fallait se soulever pour virer les lions et les singes malfaisants qui gouvernaient le monde ainsi que les vautours qui passaient leur temps à réchauffer l’atmosphère de leurs industries de mort. Quant aux crocodiles on continuerait à en faire des sacs !