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Gramsci et le pouvoir hégémonique. T Brugvin

mercredi 5 mai 2010, par Amitié entre les peuples

Gramsci et le pouvoir hégémonique

extrait du livre « Les mécanismes illégaux du pouvoir » de Thierry Brugvin
(sorti en avril 2010 aux éditions thebookedition )

Où réside et qui détient le pouvoir, la puissance et l’autorité dominant ? Pour y répondre, Robert Cox a développé une économie politique critique en prolongeant la pensée d’Antonio Gramsci au plan international. Cox distingue aussi « trois forces fondamentales : les forces matérielles, celle des idées, et celle des institutions. Mais, il n’y en a pas une parmi ces trois qui puisse exercer une action unidirectionnelle, car elles sont en interactions » (Cox 1996 : 96-99). Susan Strange (1196)1 ajoute à la tripartion de Gramsci et de Cox, une quatrième forme d’autorité, la sécurité (militaire, sociale, économique).
En ce qui concerne les forces militaro-policières, celles-ci ne peuvent pas véritablement être considérées comme une 4e force disposant de la même autonomie que les trois forces fondamentales (idées, grandes entreprises, pouvoirs publics).
En effet, elles sont soit sous le pouvoir des Etats (en situation démocratique), soit sous le pouvoir des acteurs économiques privés (milices, armées privées). Dans les situations de coup d’Etat, elles accèdent au gouvernement et elles deviennent donc des pouvoirs publics (même non démocratique).
Nous définirons donc 4 forces dominantes de la gouvernance (et trois types d’acteurs dominants) : les idées, les entreprises transnationales, les pouvoirs publics (Etat et organisations internationales et les forces de sécurité (armée et police). Le 4e acteur est la société civile (au sens de Gramsci), qui luttent contre les 3 autres pour la démocratie.

LES LIMITES ET LA PORTEE DE CETTE RECHERCHE

Les acteurs et les structures, l’économique et le politique : facteurs des carences démocratiques’
Ainsi, si on conjugue une analyse politique et économique, à la fois actionnaliste et déterministe, fondée sur les acteurs et des structures, on parvient à une vision plus complète et plus fine des mécanismes du pouvoir mondial.

L’analyse plus structurelle des mécanismes du capitalisme mondialisé reste, une des fondements des inégalités démocratiques. Cependant, dans la mesure où a déjà largement été développée, en particulier par les marxistes, nous nous limiterons à un simple rappel des points essentiels concernant la mondialisation capitaliste.

Définition de la gouvernance adémocratique et illégale
Il y a un secteur qui est équitable et légal et démocratique (le visage officiel des relations Nord-Sud), cependant, celui-ci est lié à un pouvoir (la gouvernance) global - inégal - illégal, - et adémocratique. La gouvernance globale adémocratique signifie donc le pouvoir (la gouvernance par les entreprises, les pouvoirs publics, l’armée...) inégal, illégal et adémocratique par des acteurs de nationalités multiples visant à perpétuer la domination et l’exploitation économique et politique dans le monde.
On observe dans la réalité, un continuum sans véritable rupture entre les pôles opposés que sont la gouvernance légale et illégale, démocratique et adémocratique, privée et publique. Provisoirement, nous définirons aussi la démocratie comme la participation du plus grand nombre possible d’acteurs légitimes à une décision favorisant l’intérêt général. Nous y reviendrons plus en détails dans la suite.
La gouvernance s’inscrit dans le cadre plus général de la distinction démocratie représentative libérale (anglo-saxonne) et républicaine (française), telles que les définit (Offe : 1997)2. Il s’agit respectivement d’une démocratie fondée sur la participation des corps intermédiaires, versus une démocratie fondée sur la souveraineté populaire par ses représentants élus (ou nommés : les technocrates). La gouvernance, s’inscrit essentiellement du côté de la démocratie libérale, mais plus participative que représentative.
Nous définirons donc la gouvernance comme un processus décisionnel (la décision de créer ou la décision d’appliquer, une règle formelle ou non), par des acteurs de nature multiple (économique (et/ou) militaire, société civile, pouvoir public), réalisé à des niveaux (verticaux et horizontaux) multiples. La gouvernance est donc un processus décisionnel multi-acteurs et multi-niveaux dont “l’action subit les pressions et les contraintes des structures historiques, mais qui ne sont pas déterminées mécaniquement » comme le précise (Cox : 1987).

La gouvernance adémocratique relève (et/ou) :
1- de la gouvernance légale (et/ou) : -non transparente (occulte), par des acteurs non légitimes du fait de leur nature, car non indépendants économiquement, non élus démocratiquement, les décisions sont insuffisamment participatives.
2- de la gouvernance illégale, c’est-à-dire ne respectant pas l’Etat de droit (les lois)
3- de la gouvernance inégale ne permettant pas l’égalité des conditions (Tocqueville), c’est à dire en terme bourdieusien une égalité au niveau du capital économique, social (réseaux, origines....), culturel (connaissance, éducation, temps disponible pour cela...), capital symbolique (diplômes, titres, statuts...) (Bourdieu).
En résumé la gouvernance adémocratique est une gouvernance illégale, (et/ou) non égale, non transparente, par des acteurs non légitimes.

La démocratie ne peut être effective s’il y a notamment, l’inégalité dans la propriété et la gestion de l’appareil économique et financier, (pouvoir capitaliste) ; I’inégalité du temps pour se former et pour militer (Braibant, 2005)3 ; l’inégalité des niveaux d’éducation ; l’inégalité des conditions (de vie et de biens) Tocqueville (1948)4. Cette dernière forme d’inégalité entraîne une inégalité dans se capacité à supporter les conséquences des lois du fait d’inégalité économique et une différence de priorité politique (égalité contre liberté) dans le vote des lois du fait de l’inégalité des conditions de vie (Noberto Bobbio)
En effet l’égalité juridique n’est pas réelle sans l’égalité économique et sociale (conditions de vie, possibilité de mobilité sociale) car l’exploitation économique capitaliste engendre la domination et l’aliénation des travailleurs.

La gouvernance peut être légale mais inégale. Une ne grande partie de ce qui est décrit par FX Verschave, concernant ce qu’il nomme la « Françafrique », relève du légal. Par contre il s’agit de situation légale et en même temps inégale selon les partisans des politiques sociales. Par exemple lorsque Elf-Total va sous payer des ressources, tel le pétrole au Congo-Brazzaville (Verschave, 1999), une partie de ces transactions économiques s’inscrivent dans le champ légal, mais sont inégales.

La gouvernance peut-être légale et adémocratique. A un second niveau, on peut porter l’analyse sur le plan légal et adémocratique. Les dirigeants du G8, tels les présidents français Mitterrand, Chirac ou Sarkozy, ont généralement considéré que la gouvernance nationale et celle des organisations internationales sont légales et démocratiques. Dans une démocratie représentative, les dirigeants sont élus, donc il s’agit d’une démocratie. Cependant, un certain nombre d’auteurs Castoriadis (1996)5, Rosenvallon (1998)6 et d’associations telle Attac estiment qu’une démocratie représentative, si elle est bien légale, n’est pas véritablement démocratique. Sans démocratie participative, les citoyens ne peuvent plus participer aux décisions qu’une fois tous les 5 ans durant le mandat municipal ou présidentiel. De même le suffrage est censitaire au niveau de la Banque Mondiale et du FMI (George, 1994).

La gouvernance illégale représente le non-respect de l’Etat de droit et elle est donc aussi a-démocratique. A un 3e niveau on peut analyser la gouvernance entre les PED et les pays développés sous l’angle de l’illégalité. Le non respect de la loi généralisé signifie l’absence de l’Etat de droit. Nous retiendrons la définition première et minimum de l’Etat de droit, il s’agit d’un système institutionnel dans lequel les pouvoirs publics sont soumis au respect du droit7. Ce n’est donc pas une démocratie parfaite, mais un minimum à atteindre pour pouvoir approfondir les autres dimensions.
L’illégal est un des aspects du adémocratique. Car la démocratie suppose le respect de la légalité, c’est à dire de l’Etat de droit, mais aussi, de la transparence, de la légitimité des représentants, de la participation, etc.
La définition de néo-patrimonialisme de Jean-François Médard, inspirée du patrimonialisme Wébérien, s’en rapproche quelque peu. Une des principales dimensions du ’néo-patrimonialisme’, réside dans l’indifférenciation, la confusion volontaire dans la gestion et l’usage des biens et des intérêts, privés et publics (Médard, 1995 : 325-339)8.
Cette définition de Médard vient aussi souligner que la notion de légalité dépend aussi de la culture d’un pays. Cependant, dans un régime républicain occidental fondé sur le respect de l’état de droit, sur le respect des lois, sur une séparation claire entre les biens publics et privés, les pratiques néo-patrimoniales relèvent de l’illégalité. Les élus du peuple qui s’y adonnent devraient donc être punis par la justice, or c’est rarement le cas et lorsqu’ils sont inculpés, cela donne lieu souvent à des non-lieux ou à des légères peines, qui ne sont mêmes pas systématiquement appliquées. Concernant le procès Elf, quelques semaines après son incarcération, André Tarallo (le monsieur Afrique d’Elf), « en sortait pour raisons médicales » et ne devait plus jamais y retourner. M. Tarallo avait fait appel. Un an plus tard, en mars 2005, le jugement était encore plus sévère : sept ans d’emprisonnement ferme et toujours la même peine d’amende, 2 millions d’euros. Or, cette forte amende n’a toujours pas été acquittée (Robert, 20079).
Le pire est atteint lorsque que la situation est inégale, illégale et adémocratique. C’est le cas lorsqu’un service secret (CIA, DGSE) ou une transnationale finance des mercenaires pour fomenter un coup d’Etat, comme ce fut le cas d’Elf au Congo- Brazzaville (Verschave, 2001).

Précisons tout d’abord qu’il s’agit, dans un premier temps, de présenter une typologie de la gouvernance illégale et adémocratique. Ce n’est donc pas une analyse quantitative de l’étendue de la gouvernance illégale. Cela ne signifie aucunement que les citoyens des PED, n’aient aucune responsabilité et que la dimension illégale de la carence démocratique soit dominante. En effet, pour décrire le pouvoir (effectif) d’une forme de gouvernance illégale et non-démocratique sur la société, il faut être en mesure d’en établir :
 Quel est le nombre et le pourcentage des décisions illégales ?
 Les décisions illégales sont-elles fondamentales ou secondaires ?
 Ces actions sont-elles structurelles ou conjoncturelles ?
 Ces actions sont-elles intentionnelles ou involontaires ? (Quelle est le degré d’intentionnalité des décisions ?)
 Ces actions sont-elles des failles d’un système économique et politique qui peuvent être corrigées, ou inhérentes au système capitaliste (voir à tous les systèmes économiques ou politiques) et donc inamovibles ?

Actions secondaires ou fondamentales, système structuré ou actions conjoncturelles ?
Concernant les pratiques illégales et adémocratiques dans les relations franco-africaines, si on considère que ce n’est pas inhérent à la mondialisation capitaliste et que c’est simplement une faille, une déviance, alors est-elle intentionnelle ou involontaire, fondamentale ou secondaire, conjoncturelle (aléatoire) ou systématique (structurelle) ?
Il ne s’agit donc ni d’en conclure, que les formes d’illégalité, telle la corruption sévissent partout et tout le temps ni à l’inverse d’en conclure que nous n’avons affaire qu’à un phénomène marginal. Les dirigeants politiques et économiques, qui observent le système capitaliste, repèrent les erreurs du système, mais ne les corrigent pas toujours, en particulier lorsque les dysfonctionnements (les injustices) les avantagent. Par exemple, le développement de la sous-traitance contribué à affaiblir le syndicalisme. Il n’a pas été pensé pour cela au début, mais a été utilisé pour cela ensuite.
Une majorité des acteurs appartenant aux classes dominantes ont des intérêts communs. C’est pourquoi, il n’est pas nécessaire qu’ils s’organisent systématiquement et qu’ils se téléphonent, pour fédérer ses intérêts convergents. La gouvernance capitaliste globale fonctionne majoritairement ainsi dans sa dimension légale. Cependant, certains types d’actions illégales tels les coups d’Etats, les élections truquées, elles, sont généralement pensées dès leur origine.
On relève que les pratiques de la françafrique perdurent au moins depuis la décolonisation, donc depuis plus de 50 ans. Pierre Péan, Smith et Glaser, François Xavier Verschave (Françafrique (1999), Noir Silence (2000), ou Noir Chirac (2003)) notamment, montrent à travers leurs différents ouvrages, qu’il y existe un système structuré (durable) concernant certains aspects de la gouvernance illégale (le mercenariat, la corruption, le détournement des matières premières...). Cependant, cela ne signifie pas pour autant, que l’ensemble de la gouvernance de l’Afrique, relève de l’illégalité. ...). Mais un faible nombre d’actions illégales, si elles déterminent l’orientation à long terme d’un politique nationale, deviennent alors fondamentales.

CONCLUSION

Essayons à présent de hiérarchiser les différentes formes de pouvoir qui sont responsables de la situation actuelle de la pauvreté et des inégalités dans le monde. La dimension psychologique, le besoin de pouvoir (Adler), la volonté de pouvoir (Nietzsche) semblent la cause première du fait du déterminisme de l’éducation. En effet, lorsqu’un être humain normal, moyen, se situe dans une situation sociale qui ne limite plus son besoin d’omnipotence (l’enfant roi), alors il tend à se laisser aller à des actions et à prendre des décisions non démocratiques et parfois illégales.
Le déterminisme social, c’est à dire la pression éducative, professionnelle, sociale qui oriente un dirigeant dans ses décisions figure donc aussi comme la cause première (la cause première est donc formée du bipôle en interrelation, qu’est le besoin psychologique de pouvoir et le pouvoir de l’éducation).
La seconde cause qui explique les inégalités sociales relève des déterminismes de la gouvernance économique, financière et idéologique. Gramsci (1975), puis Cox (1996) ont montré l’interaction entre les superstructures et les infrastructures, entre les forces productives et l’idéologie (de l’Etat, de la société civile...). Comme l’a montré Marx, les inégalités sont donc le résultat d’une lutte des classes, de l’exploitation, de la domination et de l’aliénation. Le capitalisme national et mondialisé reste donc la cause dominante, après la dimension psychosociologique, liée au besoin de pouvoir. Par conséquent, c’est autant le pouvoir et les causes politico-idéologiques que le pouvoir et les causes économiques qui peuvent expliquer les inégalités actuelles mondiales et non la seule dimension économique. En particulier, c’est le pouvoir politique des propriétaires des biens économiques (finance et moyens de production), (les capitalistes) qui domine largement le pouvoir politique des dirigeants des pouvoirs publics. Donc, pour reprendre notre typologie il s’agit de la gouvernance économique, financière, idéologique et de la gouvernance par les pouvoirs publics (nationaux et internationaux).
Le troisième niveau du pouvoir ou de la gouvernance regroupe la gouvernance par la violence (policière, militaire...), le pouvoir relationnel (les réseaux) et la gouvernance nationaliste (impérialiste).
La dimension illégale vient donc renforcer les carences de la gouvernance non-démocratique, mais reste finalement secondaire, même si elle semble largement sous-estimée. En effet, les causes premières sont les insuffisances psychologiques (besoin de pouvoir égocentrique), les carences de la démocratie (politique, économique et sociale), puis les causes économiques (le capitalisme économique) et enfin l’illégalité.
De même, si le capitalisme économique et politique peut expliquer la situation mondiale actuelle d’inégalité extrême, le libéralisme (avec sa dérégulation) ne vient que le renforcer, en accentuant encore les tendances vers le non respect des règles de certains des élites (la corruption). Ainsi, si le capitalisme libéral n’est pas la cause première des inégalités, il vient largement renforcer les faiblesses humaines (le besoin compulsif de pouvoir), le manque de démocratie et la tentation de la corruption et de l’illégalité.

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