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Eux-nous : Peuple-classe, contre la désubstancialisation sociale du peuple

mardi 12 juillet 2022, par Amitié entre les peuples

Eux-nous : Peuple-classe, contre la désubstancialisation sociale du peuple

Le peuple-classe comme catégorie socio-politique vient porter remède à un phénomène nommé par Pierre Rosanvallon la désubstancialisation sociale du peuple. Nous l’avions déjà signalé (1). Avec le citoyen sans adjectif, notion abstraite et interclassiste, c’est le social qui disparaît et avec lui les inégalités sociales et le peuple-classe qui subit les politiques de l’oligarchie financière.

Un auteur très connu et apprécié - Dominique Rousseau - a participé à cette désubstancialisation social du peuple dans son livre « Radicaliser la démocratie » (Seuil). Certes l’auteur part d’une critique de la « représentation-écart » et il signale (p21) - chose pas évidente, du fait du terme « continu », au regard de certains débats depuis la sortie du livre au printemps 2015 - que la « démocratie continue n’est pas un aménagement de la démocratie représentative ». Et il explique que la rupture paradigmatique (ce terme est ici de moi) s’opère dans trois principes de légitimité (renvoi ici).

La « démocratie continue » est réellement une autre démocratie que celle actuellement existante (une alterdémocratie) et pas un aménagement aux marges de cette dernière. Il milite - et c’est positif selon nous - pour la « création d’une assemblée sociale délibérative » (p 139) à la place du Conseil économique, social et environnemental - CESE - pour exprimer l’intérêt général. Il n’indique pas si le tirage au sort peut être ici introduit et dans quelle proportion. Il ne fait pas état d’une possible régionalisation des assemblées sociales délibératives. Tout cela reste ouvert. Mais il indique l’introduction ici du peuple-corps social à côté du peuple-corps politique. Il évoque p 148 cette « double identité du peuple » (3). C’est en çà que cette institution est positive. Elle se réclame d’ailleurs de Léon Duguit qui considérait que les groupes sociaux devaient aussi être représentés pour qu’il y ait Constitution.

Pour autant, et malgré cet apport, tout le développement du livre masque le « eux-nous » pour le dire aujourd’hui comme Chantal Mouffe - moins juriste et plus théoricienne en science politique - qui elle s’est employée à (re)théoriser ce clivage à partir du principe de conflictualité. La théorisation de Dominique Rousseau - juriste constitutionnalise - masque elle aussi la forte conflictualité économico-sociale entre l’oligarchie (ou la caste) et le peuple, le peuple entendu ici comme peuple-classe pour bien évoquer le rapport social typique du néolibéralisme. Il ne s’agit pas du peuple ethno-racial ou ethno-religieux (catholique) d’une certaine droite qui veut masquer cette conflictualité avec la finance en mettant en avant une stratégie de divisions et de divers bouc-émissaires (selon les politiques du moment) : le musulman (essentialisé), le fonctionnaire (fainéant et bras cassé), le résidant sans carte nationale d’identité, le chômeur (parasite). L’ethnicisation du social ou l’ethnicisation-racialisation du peuple est une autre forme de désubstancialisation sociale du peuple.

Il procède à cet effacement du « eux-nous » (soit la désubstancialisation sociale du peuple) en deux temps : D’abord il pose un peuple constitutionnel et ensuite il évoque une société d’individus. Le tour est joué. Tous les rapports sociaux disparaissent avec les seuls rapports interindividuels au sein d’un peuple 100 % sans oligarchie.

Remettre en avant ce « eux-nous » effacé ce n’est pas nécessairement adhérer à la totalité de la théorisation de Chantal Mouffe, et ce n’est pas non plus vouloir « construire un populisme de gauche » (cf notre essai in 2). Ce n’est pas non plus écarter les droits humains comme « code politique ». Le critère d’un autre positionnement possible - au plan théorique - serait la présence d’un projet politique émancipateur au sein des forces politiques (partis de gauche), des forces sociales (syndicats) ainsi que les forces « sociétales » (groupes féministes, groupes antiracistes, groupes pour la laïcité, etc.) .

Christian DELARUE

8 DEC 2016

1) in Les « citoyens du peuple-classe » ou le réancrage social du citoyen . C Delarue - Amitié entre les peuples
http://amitie-entre-les-peuples.org/Les-citoyens-du-peuple-classe-ou

2) Construire la démocratie populiste de gauche | Le Club de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/christian-delarue/blog/241116/construire-la-democratie-populiste-de-gauche

3) Cette double identité est historique . J’ai rapporté récemment le propos d’Alain Bergougnioux (dans Le peuple existe-t-il ? - livre collectif ) à ce sujet :

Alain Bergounioux évoquant le rapport de Terra Nova de 2012 (celui fort critiqué) mais aussi quelques ouvrages évoquant le peuple cette année-là (Conan, Rey, Brustier, etc…) remarque effectivement que depuis la Révolution française la notion de peuple conserve deux sens : le peuple citoyen et le peuple social (fraction d’en-bas) . Ce peuple social a continué de vivre, d’être perçu comme tel, malgré la forte tentative de remplacement par la classe sociale, qui a aussi gagné sa force et sa place au XIX ème siècle. En fait, l’ordre des peuples (pour parler comme feu Labica) n’est pas du même ordre que l’ordre des classes. Ce sont deux clivages différents qui se complètent souvent.

Et puisque j’en suis à ce stade je pense qu’il faut distinguer le peuple-classe qui s’affronte à l’oligarchie du peuple social qui ne s’affronte à personne car il est juste évoqué comme un % d’en-bas dans la hiérarchie des revenus, notemment depuis les études sur la stratification sociale (dernier décile des propriétaires, et riches du 1% d’en-haut). C’est deux choses bien différentes (même si il y a recoupement - mis en exergue par les indignés « nous sommes les 99% ») qui méritent des termes différents pour ne pas les confondre.

Lire aussi, datant de 1995, « La double identité du peuple » de Giorgio AGAMBEN in Libération

http://www.liberation.fr/tribune/1995/02/11/la-double-identite-du-peuple_123802

On peut dire certainement que la popularité du « 99% » après la crise de 2007 (Occupy ou Indignés ou altermondialistes) tient à la volonté de sortir de cette « double identité » (soit 100% soit les pauvres - la plèbe au sens étroit) afin d’embrasser un spectre social plus large car cette « double identité » faisait trop le jeu des dominants rendus INVISIBLES. En effet, soit ils étaient inclus dans le grand cercle (le peuple à 100%), soit ils étaient amalgamés avec les couches sociales moyennes (voire plus), avec l’idée sous-jacente de devoir trouver des solutions à la pauvreté et à la misère par des politiques publiques ciblées qui ne mettent pas en cause leur situation de domination économique.