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Etre migrant « en règle », le rapport de dépendance à l’administration et à la police.

vendredi 17 avril 2009, par Amitié entre les peuples

Etre migrant « en règle »,

le rapport de dépendance à l’administration et à la police.

Texte en solidarité avec tous les migrants d’ici et d’ailleurs.

Texte adressé aussi aux étudiant(e)s ou aux militant(e)s qui dans le milieu des années 80 ont vivement appréciés l’ouvrage dont est extrait le passage ci-dessous. Il s’agit de « Etrangers : de quel droit ? de Danièle LOCHAK - PUF 1985 . Le titre du passage reproduit est : »De la précarité à l’insécurité" (p 229 et suiv.) (sans note de renvoi).

NB : L’ouvrage à lire aujourd’hui de Danièle LOCHAK est : « Face aux migrants : Etat de droit ou état de siège ? » aux éditions Textuel 2007.

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Livrés au bon plaisir des autorités, à la merci d’une réglementation fluctuante, jadis assurés de pouvoir demeurer dans le pays d’accueil, constamment surveillés et contrôlés, comment les étrangers n’éprouveraient-ils pas le sentiment de vivre dans l’insécurité permanente ? Sans doute y a-t-il des degrés dans l’insécurité - et l’on ne peut assimiler la situation du clandestin, qui vit hors de la protection des lois, à celle de l’étranger légalement établi, et moins encore à celle de l’immigré installé durablement dans le pays d’accueil dont il a vocation à obtenir à terme la citoyenneté. Mais outre que cette dernière catégorie est numériquement résiduelle, donc peu représentative de la situation de l’immense majorité des migrants à l’époque contemporaine, l’insécurité n’en reste pas moins - avec ses degrés - un élément constitutif du vécu de la condition d’étranger.

Dans ce sentiment d’insécurité, la part respective des éléments subjectifs et objectifs est difficile à discerner, tant ils s’entremêlent étroitement. Il y a certainement, au départ, fait objectif d’une situation juridique précaire et qui reste précaire par-delà les années, quelque ancienne et durable que soit l’installation dans le pays d’accueil : une autorisation de séjour limitée dans le temps, quoique renouvelable ; une autorisation de travail dont on est encore moins sûr d’obtenir le renouvellement, surtout si l’on est au chômage lorsqu’elle arrive à expiration ; enfin valant pour tous, même les moins exposés, les mieux protégés, la menace latente de l’expulsion dont on ne peut jamais faire totalement abstraction, alors même qu’elle ne frappe statistiquement qu’une petite minorité. Déjà ici le subjectif relaie l’objectif.

Cette précarité maintient l’étranger dans une étroite dépendance vis-à-vis de l’administration, puisque son statut est suspendu à chaque instant à ses décisions, qu’il doit passer par elle pour accomplir les moindres faits et gestes de l’existence quotidienne. Cette dépendance est ressentie d’autant plus douloureusement que l’administration, qu’on se plaît à dépeindre comme hautaine, distante et inaccessible, accentue comme à plaisir ses défauts traditionnels lorsqu’elle a affaire aux étrangers : les filles d’attente interminables, l’inhumanité de l’accueil, les humiliations et les tracasseries gratuites, le mépris souvent accentuent le caractère pénible des démarches administratives qu’il faut bien souvent entreprendre si l’on veut être en règle. Etre en règle, obtenir ses papiers : telle est en effet l’obsession de chaque étranger, avec son corollaire, la crainte elle aussi obsessionnelle de ne pas être en règle. Une crainte souvent irraisonnée, et pourtant logique compte tenu de la complexité et des fluctuations de la réglementation applicable, compte tenu aussi des conséquences possibles de la moindre infraction : au mieux la prison, au pire l’éloignement du territoire - ou encore l’un et l’autre.

La crainte d’être refoulé ou expulsé n’est pas non plus imaginaire, même si l’administration l’entretient à dessein par son comportement ; la simple menace, plus que le nombre de mesures effectivement exécutées, suffit à créer une atmosphère d’insécurité permanente, propice à la prudence et à la soumission. En France, en particulier, la multiplication des contrôles sur la voie publique est un des moyens de nature à entretenir le sentiment d’insécurité : présentés comme un instrument de lutte contre l’immigration clandestine, visant uniquement les individus en situation irrégulière, ils n’en ont pas moins pour effet de placer l’ensemble de la population immigrée sous une surveillance policière continue. Traités en suspect et désignés comme
tels au public dont on alimente les sentiments xénophobes, les étrangers vivent ces contrôles discriminatoires et vexatoires, effectués à la tête du client, et sur une base légale souvent fragile de surcroît comme une entrave physique à leur liberté d’aller et venir et une source de danger constant : car une fois appréhendé, l’étranger en situation irrégulière ou seulement présumé tel a peu de chance d’échapper à une mesure d’éloignement du territoire, quelle que soit la durée de sa résidence effective dans le pays et quelque soient les arguments qu’il pourraient invoquer pour sa défense. Il a d’autant moins de chances d’y échapper que la mesure d’éloignement du territoire est généralement, dans cette hypothèse, de nature purement administrative, pour ne pas dire policière, qu’elle n’est entourée d’aucune garantie, et que la procédure est si expéditive qu’elle ne protège même pas contre les erreurs toujours possible de l’administration.

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Fin de citation de « Etrangers : de quel droit ? » de Danièle LOCHAK - PUF p229

Aujourd’hui outre le droit des migrants sur le territoire la recherche porte sur l’existence d’un droit de la migration (1). A l’heure de la libre circulation des marchandises et du capital l’existence de ce droit n’est pas évident. Les juristes du droit des migrants ressemblent aux chercheurs avec la pelle, le filtre et le saut. Ils cherchent leur matière, leur objet de science ! Ils cherchent toujours et encore le droit des migrants comme on cherche de l’or dans le sable. Ils trouvent parfois de l’infra-droit. Cela ressemble à de l’or mais ce n’est pas de l’or.

1.
http://cdim.cerium.ca/Existe-t-il-un-droit-a-la

Christian Delarue

Responsable national antiraciste

St Jacques de la Lande le 17 avril 2009