Accueil > Altermondialisme > Contre l’Emprise de la finance et la crise systémique globale. > Les banques : nationalisation, pôle public, socialisation. > Et si on commençait la démondialisation financière ? F Lordon

Et si on commençait la démondialisation financière ? F Lordon

samedi 6 novembre 2010, par Amitié entre les peuples

Pour soumettre les choix économiques à la délibération politique

Et si on commençait la démondialisation financière ?

Les investisseurs étrangers — au tout premier rang desquels les banques françaises et allemandes— détiennent 70 % de la dette grecque. Une situation qui place la politique du pays sous tutelle des institutions financières, et qui pourrait s’étendre à l’Espagne, à l’Italie ou au Portugal. Il existe pourtant un moyen d’assurer la souveraineté de la délibération politique : renationaliser la dette.
Par Frédéric Lordon

Conformément à la logique éternelle des faux débats, le tumulte de commentaires suscités par la crise grecque prend bien soin de maintenir étanche la séparation entre questions à poser (inoffensives) et questions à ne pas poser (plus gênantes), et notamment celle des façons d’envisager le financement des déficits publics. Interrogation que les traités européens s’efforcent de déclarer forclose : ce financement se fera exclusivement sur les marchés de capitaux, sous la tutelle des investisseurs internationaux, et pas autrement. La simple observation des dégâts qui naissent de l’exposition des finances publiques grecques aux marchés obligataires pourrait pourtant donner l’envie d’explorer des solutions moins désastreuses, comme, par exemple, le recours au financement monétaire des déficits (1).

Elle pourrait également inciter à méditer le cas singulier du Japon, un pays aussi superlativement endetté... qu’il est absent de la chronique des crises de dette souveraine. Car si l’on fait grand cas de la dette grecque, son encours (270 milliards d’euros, soit 113 % du produit intérieur brut [PIB] en 2009, 130 % prévus pour 2010) reste pourtant des plus modestes comparé à celui de la dette japonaise, dont le ratio atteindrait les 200 points de PIB en 2010 — record incontesté parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Comment comprendre que le détenteur de la plus importante dette publique au monde, affligé en outre de la solvabilité apparente la plus dégradée (si on lui donne pour mesure sommaire son ratio sur PIB), soit à ce point ignoré des investisseurs internationaux ?

La réponse, simplissime, est : parce que les investisseurs internationaux ne sont pas les souscripteurs de la dette publique japonaise. Laquelle est détenue à plus de 95 % par les épargnants nationaux. A l’exact inverse des Etats-Unis, le Japon affiche un taux d’épargne des ménages rondelet, largement suffisant pour couvrir les besoins de financement de l’Etat et, au-delà, des entreprises. Aussi les marchés ne sont-ils pas sollicités par la dette publique japonaise — qui s’arrange très bien sans eux — et, par conséquent, n’ont-ils pas la possibilité de soumettre la politique économique du Japon à leurs normes absurdes. Pour que les marchés fassent ingérence en cette matière, il faut qu’ils en aient l’instrument, à savoir les titres de la dette. Pas de détention, pas d’immixtion.

Lire le texte de Frédéric LORDON
sur Le Monde diplomatique mai 2010

http://www.monde-diplomatique.fr/2010/05/LORDON/19137