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Ernst BLOCH : DIGNITE derrière LIBERTE EGALITE FRATERNITE

lundi 27 février 2017, par Amitié entre les peuples

Ernst BLOCH : DIGNITE derrière LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE

Commençons par dire que la laïcité a été omise dans ce livre « Droit naturel et dignité humaine » écrit par Ernst BLOCH en allemand en 1961 mais publié en France qu’en 1976 (chez Payot), un an avant sa mort . On peut considérer en philosophie politique que la laïcité est un grand principe politique alors que la fraternité serait une valeur. Si fraternité signifie en langage moderne solidarité alors elle peut être aussi un principe d’une République sociale. Débat ouvert.

Avant d’arriver au chapitre « Apories et héritage du tricolore : Liberté, Egalité, Fraternité » en page 158 on passe par l’évocation de philosophes et penseurs divers depuis Epicure, Platon, Aristote, Thomas Munzer, Althusius, Hobbes, Grotius, etc jusqu’à Rousseau, Kant, Marx... et, en fin de livre, Thomasius (Christian né en 1655, pas son père Jacob né en 1622) pour le lien entre bonheur humain de tous pour tous et dignité humaine. Aucun de ces auteurs n’évoque la laïcité ou du moins une notion qui pourrait la préparer pour plus tard. Par contre on comprend que la dignité et « Liberté, Egalité, Laïcité, Fraternité » a une histoire, une histoire qui n’est pas que nationale.

 Cette histoire a aussi ses opposants.

Et d’ailleurs remarquons aujourd’hui que ce triptyque n’est pas celui de celles de ceux qui préfèrent « Travail, Famille, Patrie ». Défendre le travail ce n’est pas « faire travailler plus, ceux qui travaillent déjà » (travaillisme), c’est faire en sorte « que chacun puisse participer à la production de l’existence sociale ». Le « féminisme » anti-avortement et pro-famille est douteux, réactionnaire pour le dire nettement. La patrie d’un peuple ethnico-national cache trop souvent de la xénophobie et un manque d’ouverture vers le monde.

Aujourd’hui, il y a aussi ceux qui transforment la République - la Res publica - en République bananière synonyme de corruptions, conflits d’intérêts, collusions, « pantouflages » de certaines élites au sommet de l’Etat . Le service de l’Etat est le service de l’intérêt général ce qui se distingue de satisfaire les intérêts particuliers, surtout ceux puissants, de l’oligarchie. Ce qui s’oppose aussi au fait d’aller, après passage dans l’appareil d’Etat, dans le privé servir la logique de profit, de marchandisation et de privatisation... et revenir.

 Dignité, justice et fraternité sont des valeurs mobilisables par les forces progressistes pour accomplir le triptyque. Un accomplissement sur le très long terme car la République (1) liée à ce triptyque est durablement inachevée . Car on n’échappe pas à l’interprétation des termes en vue d’une République émancipatrice.

Fraternité peut relever d’une conception réductrice de type individuelle-caritative qui se combine fort bien avec liberté des dominants et égalité abstraite. Ce n’est pas la position de E Bloch qui comme J Ziegler plus tard assimile Fraternité à Solidarité dans le cadre dynamique des mouvements collectifs de libération. Ici la liberté « guidant le peuple » est liée à l’égalité.

Egalité. « L’égalité fournit le corpus solide de la révolution » écrit (p 169) Ernst Bloch avec force. Et l’égalité des droits n’est qu’un début dans la dynamique de libération. Pour le dire ici comme Annie Coll (2) « Le principe d’égalité doit pouvoir combattre les inégalités naturelles. C’est la force du droit contre la nature, contre la loi du plus fort ». On a donc pour avancer vers la dignité humaine le couple liberté et égalité et non pas liberté et identité. Contre le concurrentialisme, qui est la « nouvelle raison du monde » néolibéral, l’identité n’est d’aucun secours, la solidarité avec l’égalité est décisive.

A propos de liberté, Bloch évoque certes la liberté de choix comme noyaux dur de la liberté - on ne saurait s’en passer - mais aussi et surtout la libération qui signifie toujours : se libérer d’une contrainte ou d’une oppression. Il parle à cet égard d’une formule que l’on pourrait rappeler plus souvent, sous son nom, la liberté-délivrance. Il écrit page 160 : La « liberté-délivrance » est dans tous les cas délivrance d’une pression, donc de quelque chose qui entravait et niait la marche debout, la tête haute, la tête haute. Il rapproche paradoxalement Kant de cette formule en citant « le rejet par l’homme de la tutelle qu’il s’est lui-même imposé » . Il cite surtout le Marx de la Sainte Famille à propos du statut différent de l’aliénation pour la classe possédante et la classe du prolétariat, pour aboutir à l’idée du citoyen à autodétermination réduite, qui ne saurait sous le règne de la bourgeoisie devenir l’auteur de ses actes.

Concernant la religion, Bloch distingue la liberté éthique et la liberté de religion. Au sein de cette dernière il distingue un mouvement qui refuse la servilité, la « morale d’esclave » et un autre mouvement, à partir de St Paul qui emprunte les voies d’un conservatisme social. A méditer n’est-ce pas !

 Quid des animaux ?

Une dernière remarque à propos de dignité. Concerne-t-elle uniquement les humains ? Que penser de la tuerie animale de masse ou, pour le dire dans un langage moins maximaliste (spéciste), la souffrance animale ? La dignité n’a eu de sens longtemps que pour les hommes, les hommes blancs et chrétiens, puis il y a eu un mouvement progressiste et civilisationnel d’extension de la dignité, comme de l’extension des droits humains, pour les femmes, les hommes colonisés, les migrants, etc avec effectivité de ses droits, inscription dans le réel de la vie. Un mouvement à poursuivre assurément. Droits pour les animaux à construire : on n’en est qu’au début .

Remarque personnelle ici : Etant étudiant en droit à la fin des années 70, j’ai eu à relever en droit commercial-droit artisanal la distinction entre la production verticale (hors sol - en étage) et la production horizontale de viande (au sol - sur champ), la première était industrielle et la seconde artisanale. A l’époque, il n’y avait pas de vidéo comme aujourd’hui ou l’on peut montrer aisément et massivement la barbarie incroyable de l’industrie de la viande. Sans parler de la très mauvaise qualité de la viande sous médicaments ! Sans dire aussi que le carnisme est plus anti-écologique que la voiture. Maintenant tout est accessible. On peut voir et savoir. Sortir de la « culture carniste » est difficile car ce n’est pas une « sous-culture » marginalisée, secondaire. C’est du lourd. C’est plus qu’une culture et une idéologie c’est un SYSTEME donc un ensemble complexe de pratiques réelles, d’idéologies et de culture alimentaire.

Le système carniste mondialisé actuel constitue une sorte de gros SOUS-SYSTEME du SYSTEME CAPITALISTE productiviste et travailliste actuel, que ce soit pour la viande bovine ou le poisson ou autre animal à production de masse.
Il n’est donc pas qu’une idéologie pro-viande même si cette idéologie est réelle et forte du fait des lobbies. Le sous-système carniste existe de part ses pratiques réelles et matérielles et humaines et ce à une échelle de masse ! Ce n’est plus une production artisanale ou paysanne !

Outre la souffrance animale, cela produit de la mauvaise alimentation (eu égard à divers facteurs dont les saloperies diverses injectées dont les médicaments ) et in fine des problèmes de santé car nous sommes passés de deux morceaux de viande par semaine (maxi souvent moins) tant avant guerre qu’après guerre (la seconde GM) à un morceau de viande par jour voir beaucoup plus dans les années 70-80.

Christian DELARUE

1) La République inachevée - Le site de Daniel Bensaïd
http://danielbensaid.org/La-Republique-inachevee

2) page 41 de « Pour en finir avec le loup libéral » Annie Coll Ed L’Harmattan janvier 2016 - Préface Yvon Quiniou.