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Du SOCIAL au POLICIER : Textes sur les mutations au sein de l’Etat et de la société.

dimanche 18 mai 2008, par Amitié entre les peuples

La remise en application de la loi du 3 avril 1955 sur l’Etat d’urgence est symptomatique d’une évolution et même d’une longue mutation concernant le rôle de l’Etat. Les réformes de l’Etat se succèdent pour transformer les services publics, les Administrations et les fonctions publiques. Parallèlement à cette casse de l’Etat social s’instaure un Etat policier connu sous le d’Etat sécuritaire qui donne un rôle nouveau et accentué de la fonction pénale et policière.

Voici une première explication, non sur sur la crise de l’Etat Providence ou sur la fin de l’Etat social mais sur la différenciation théorique Etat / régime politique (I) . Pour cela je reproduis tel quel un passage d’un livre de Nicolas Bénies . Ensuite, pour entrer plus dans le sujet, c’est chez Alain Bertho que je vais puiser un historique de l’évolution vers un régime d’exception (II) . L’article complet est paru dans Variations printemps 2005 . Une troisième partie, personnelle, fera le lien avec l’international (III). Il complétera un de mes textes sur les « trois mondes » (site yonne.lautre) (IV) .

I - DIFFERENCIATION ETAT / REGIME POLITIQUE.
Nicolas BENIES in L’ Après libéralisme (PEC La Brèche 1988 p 30 et 31)

Dans les faits la politique d’austérité est contradictoire avec la nécessité pour le régime politique d’apparaître légitime aux yeux de la grande masse des citoyens . Les nécessités de l’accumulation obligent l’Etat à remettre en cause les conquêtes de la classe ouvrière, et donc à ne plus apparaitre comme l’arbitre entre les classes . C’est pourtant l’intérêts des régimes politiques.

La différenciation Etat / régime politique est issue de l’analyse de Marx dans le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte qui montre que le régime politique incarnant l’Etat à un moment donné peut se constituer contre la bourgeoisie et s’appuyer sur la classe moyenne. C’est la quintessence de cet adage : « La bourgeoisie règne mais ne gouverne pas »(1), du moins le plus souvent. La bourgeoisie délègue ses pouvoirs politiques pour conserver l’essentiel : les rapports de production capitalistes. Ainsi, et Marx en fait une brillante démonstration le régime politique apparait au-dessus des classes alors que la nature de l’Etat reste capitaliste.

Cette analyse eminamment dialectique a été souvent mal perçue, beaucoup d’auteurs ont cru discerner deux définitions de l’Etat (2), alors que Marx part de la définition abstraite de l’Etat, « capitaliste collectif en idée », pour appréhender le régime politique qui représente la forme de l’existence de l’Etat. Il s’agit donc de deux niveaux d’abstraction différents, mais qui ne se conçoivent pas l’un sans l’autre.

Ce qui permet de comprendre que la politique étatique qui correspond aux nécessités de l’accumulation du capital, de sa valorisation, prime sur les nécessités de la légitimation. Car pour apparaître légitime, un gouvernement doit pouvoir satisfaire quelques revendications des travailleurs (« le grain à moudre » pour parler comme les dirigeants syndicaux réformistes) et, plus généralement, être perçu comme le garant des acquis, par l’intermédiaire de lois et donc du développement du droit, en particulier du droit du travail. Toutes choses qui expliquent l’abandon des politiques de relance keynésiennes, adéquates à la longue période décroissante mais qui ne répondent plus aux nécessités de l’accumulation en période de crise. Et aussi ce que les politologues appellent « l’usure des équipes au pouvoir », qui provient directement de la mise en oeuvre de la politique d’austérité, conduisant aux attaques répétées cotre le niveau de vie et les conditions de travail de la majorité de la population. Ce n’est que pendant la période dite de prospérité (les « Trente Glorieuses », qui n’ont pas duré trente ans et n’ont pas été glorieuses, sinon pour l’accumulation capitaliste) que les impératifs de l’accumulation et de la légitimation ont pu coïncider.

II - LA BANLIEUE DANS LA GUERRE GLOBALE
d’Alain BERTHO in Barbaries, résurgences, résistances - Revue « Variations » printemps 2005 . Ici juste une trame incitant à lire le texte.

Voici longtemps que le processus qui conduit à faire du nom de « banlieue » le nom d’une vraie guerre sociale est engagé . Il y a bientôt vingt ans maintenant que la problématique du désordre a envahi l’espace du discours social . Alain Bertho en décrit les étapes :

1) De l’Etat social à l’Etat d’exception

La première étape est celle audébut des nnées quatre-vingt de la « découverte » que les tensions sociales contemporaines sont productrices de nouveaux désordres . (cf Minguettes 1981) . Des dispositifs expérimentaux, localisés et contractuels se mettent alors en place pour prendre le nom de « politique de la ville ». Un social d’intervention et d’exception s’instlle sans ambition ni dispositif d’ensemble. Les exclus sortent du droit commun et entrent dans des dispositifs particuliers et conditionnels. Ces derniers sont vite rendus responsables de leur propre malheur et même rapidement soupçonnés d’être potentiellement coupables du malheur des autres. La différence et la disqualification sociale semblent considérées comme des maladies transmissibles. Le rejet se substitue à la solidarité. Après la stigmatisation vient la pénalisation.

2) De l’exception sociale à l’exception policière

Le tournant sécuritaire est franchi en 1997 avec une compréhension qui écarte l’explication sociologique des phénomènes au profit d’une analyse en terme de responsabilité donc de répression. La logique sécuritaire n’est pas « police partout » mais hiérarchisation des actions de cette police : la sécurité quotidienne avant toute chose, la vitre cassée avant la délinquance financière, l’ordre « en public » avant « l’ordre public ».
La « nouvelle raison pénale » née à New York est celle de « la tolérance zéro ». Et la question n’est pas la masse ou la gravité des délits mais le niveau de leur visibilité. Il s’agit moins de faire baisser la criminalité dans son ensemble que de faire baiss er le niveau d’inquiétude de « l’opinion ». Les premiers visés sont les aliens, les étrangers et considérés comme tels. Sont concernés les sans papiers (qu’il ne s’agit pas « d’intégrer », ce discours n’est pas fait pour eux !)

3) Logiques de normalisation

De proche en proche c’est toute la vie sociale qui est concerné. L’ultime étape, celle d’aujourd’hui, est celle du traitement policier de la question sociale, de la criminalisation des comportements hors normes et des incivilités. C’est là que l’on passe de la problématique du désordre à l’anormalité . Le glissement de la notion de délinquance à celle d’incivilité est lourd : l’incivilité est une infraction à la norme pas à la loi et au délit. On va passer de la stigmatisation des actes à la stigmatisation des personnes. Ainsi, les « inemployables » relève non d’un stage qualifiant mais d’une mise aux normes du « savoir être » de l’entreprise.


III - UNE SOCIETE DISCIPLINAIRE.

Le tournant sécuritaire de la campagne de 2002 n’a pas trouvé une solution « de gauche » portant sur la sécurité de l’emploi et de meilleures conditions de travail pour tous et toutes . Bien au contraire le racisme, le mépris des RMIstes et des fainéants s’est développé dans certains milieux populaires, sous l’influence des discours de la droite . Aujourd’hui cela débouche sur une solution de type bonapartiste ou un démagogue prend appui sur une fraction du peuple pour satisfaire les intérêts des dominants (1) en soumettant le peuple et le salariat. N. SARKOZY va oeuvrer à former une société d’individus assujettis par le pouvoir politique comme par les dirigeants d’entreprise. Il s’agit de soumettre, de faire plier, de faire « courber l’échine », d’avoir des travailleurs dociles en entreprise et ayant « peur du gendarme » dans les quartiers. D’ou l’émergence des résistances, d’ou la nécessité d’aller au-delà sur un projet émancipateur et rassembleur .

A - LA SOCIETE DISCIPLINAIRE « HORS TRAVAIL », DANS LES QUARTIERS.

l’exemple du projet de loi « prévention de la délinquance »

1 - Qu’est-ce qu’une société disciplinaire ?

Une société disciplinaire ce n’est pas le fascisme ni l’Etat policier même si l’on y tend.
C’est une société qui pratique le contrôle social (1), donc une société qui restreint la liberté d’aller et de venir en accroissant le dispositif pénal et les pouvoirs de police.
C’est une société qui pénalise les problèmes sociaux, qui pénalise aussi bien les pauvres que les immigrés.
C’est une société qui ne sait plus distinguer la prévention de la répression.

Elle se met en place avec l’aval des masses (2) obsédées par la peur de l’autre et sensible au discours sécuritaire des libéraux impuissants à répondre à l’insécurité économique crée par les licenciements. En effet, au lieu de chercher une réponse économique et sociale protectrice qui s’attaquent directement aux inégalités et au chômage les artisants de la société disciplinaire choisissent au contraire les solutions économiques et sociales néolibérales qui précisément accroissent le chômage et l’exclusion . Il ne reste alors que la répression, l’exclusion et l’enfermement voire l’élimination : que la « racaille crève » ! Vive l’eugénisme !

2 - Danger, le pire est qu’ils n’ont pas d’autres solutions : il n’y a que la fuite en avant !

La société disciplinaire met la justice et les agents des services publics sous les ordres des maires et des préfets pour faciliter les opérations de police. Fondamentalement le coeur et la raison chavire car il « faut punir les individus et non pas rechercher les causes sociales ou psychologiques de leurs difficultés ».

C’est cette ignorance volontaire des causes sociales de la délinquance qui constitue une régression considérable . Nul ne pense qu’il faut abolir les prisons. C’est tout au autre chose que de penser que la prison est la solution ! La société disciplinaire est une société carcérale ou la police et la justice enferme aisément car la prévention n’existe plus comme remplacée par tout un discours sociobiologisant et fataliste sur la délinquance . Ici l’histoire n’indique-t-elle pas qu’elle peut mener au pire. D’autres peuvent ici prolonger mon propos.

B - AU TRAVAIL : LA GENERALISATION DE LA VIEILLE « DISCIPLINE D’USINE »

Extrait d’un texte de Philippe ZARIFFIAN (3) :

Ce qui frappe d’abord, dans toute une série d’emplois, c’est la perdurance de dispositifs disciplinaires de type taylorien, à savoir : disciplinarisation des opérations de travail, contrôle direct du temps, contrôle de la présence du salarié à son poste au sein du temps dit « effectif », contrôle des mouvements du corps. Néanmoins, la technologie informatique apporte du nouveau, non sur la visée, mais sur les moyens, dans tous les emplois pour lesquels l’ordinateur devient un outil central de travail. Plusieurs points sont à noter à ce sujet :

 un affinement considérable du contrôle de chaque acte de travail et de sa durée, grâce à la précision des relevés d’informations, - le fait que c’est le salarié lui-même qui déclenche les informations de contrôle, tout simplement parce que l’ordinateur ou le terminal qu’il utilise est en même temps son moyen obligatoire de travail, structuré selon des procédures précises. Le salarié ne peut faire autrement que de déclencher ces opérations de contrôle (qu’il ne connaîtra pas nécessairement),

 cela engendre, pour la direction, une forte économie de personnel de contrôle, en particulier du côté de la hiérarchie directe, donc une économie en salaire et en facteurs de tension sociale, malgré, en contrepartie, un investissement dans le système d’information et son exploitation,

 enfin, et surtout, la technologie informatique utilisée offre une occasion, probablement sans équivalent historique, de développer un pouvoir disciplinaire qui porte à la fois sur chaque individu et sur des ensembles de population (ce que Foucault considérait comme impossible). Par exemple : l’occupation du temps de travail de chaque salarié peut être contrôlée, mais on peut aussi, à partir des mêmes données de base, établir des statistiques qui permettront, pour une population donnée (de guichetiers à La Poste par exemple) de réélaborer les normes standards de travail et de calculer les effectifs « nécessaires » (de chaque bureau de Poste) avec une extrême précision, à des fractions d’individus près. On assiste donc à un affinement considérable de la disciplinarisation, le « moule » étant défini et suivi avec une précision inédite.

Christian Delarue

1) L’unité dans la clarté
Face à une droite dure construisons l’unité sur des exigences claires.
Sur Bellaciao et Europe sans frontières

2 ) Lire : Surveiller et Punir :
l’exemple du projet de loi « prévention de la délinquance »
Texte de l’intervention de Evelyne Sire-Marin,
magistrat, coprésidente de la fondation Copernic
et membre du Syndicat de la magistrature
au colloque du 17 juin 2006
« pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans »*.


publié dans COPERNIC FLASH
le 13 Septembre 2006 (en version pdf)
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3) « Masse » car toutes les classes et couches sociales peuvent connaitre ces craintes y compris les ouvriers et employés. Mais comme pour le racisme, ce sont les élites adeptes du néolibéralisme qui alimentent ces craintes.

4) Des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle Zarifian
http://perso.orange.fr/philippe.zarifian/page111.htm