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Désobéir aux traités pour refondre l’Europe - P Khalfa

jeudi 6 mars 2014, par Amitié entre les peuples

Désobéir aux traités pour refonder l’Europe

par Pierre KHALFA

Face au constat que l’Union européenne est un carcan pour les peuples, certains proposent une sortie de l’euro qui permettrait de procéder à des dévaluations compétitives et d’éviter ainsi la « dévaluation interne » opérée par la baisse de la masse salariale.

Cette solution est d’abord économiquement hasardeuse. La dévaluation de la nouvelle monnaie ne résoudrait pas le problème de la compétitivité de l’économie française qui est avant tout un problème de compétitivité-hors-prix. Elle entraînerait immédiatement un alourdissement équivalent de l’encours de la dette déjà accumulé, aggravant d’autant les charges d’intérêts. Le fait que la majeure partie de la dette publique française soit sous contrat de droit français n’y changera rien, sauf à prendre des mesures unilatérales qui reviendraient à annuler tout ou partie de la dette… ce qui est possible sans sortir de l’euro. Une dévaluation monétaire ne nous protègerait pas de la dévaluation interne car il faudrait alors lutter pour « défendre nos exportations ». De plus, la dévaluation serait porteuse d’inflation découlant de la hausse des prix des produits importés. Cela explique qu’historiquement les dévaluations se sont toujours accompagnées de politiques d’austérité. Enfin, la spéculation probable contre la monnaie risque d’entretenir un cycle dévaluation-inflation-dévaluation.

Économiquement hasardeuse, une sortie de l’euro s’avère aussi politiquement nocive. Une stratégie de dévaluation compétitive, qui vise à gagner des parts de marché contre les autres pays, engendrerait une spirale de politiques économiques non coopératives. Loin d’induire plus de solidarité entre les peuples, elle se traduirait par encore plus de concurrence, de dumping social et fiscal avec pour conséquence une aggravation des tensions xénophobes et nationalistes dans une situation où, partout en Europe, l’extrême droite a le vent en poupe. La sortie de l’euro ne peut être un projet progressiste et s’avère un mirage dangereux.

Alors que faire ? Aucun changement substantiel n’aura lieu sans ouvrir une crise majeure en Europe. Un gouvernement de gauche devrait prendre un certain nombre de mesures unilatérales en expliquant qu’elles ont vocation à être étendues à l’échelle européenne. Ces mesures seraient coopératives en ce sens qu’elles ne sont dirigées contre aucun pays, contrairement aux dévaluations compétitives, mais contre une logique économique et politique. Plus nombreux seraient les pays les adoptant, plus grande serait leur efficacité. C’est donc au nom d’une autre conception de l’Europe qu’un gouvernement de gauche devrait mettre en œuvre des mesures qui rompent avec la construction actuelle de l’Europe. Ainsi par exemple, un gouvernement de gauche pourrait, sans sortir de l’euro, enjoindre à sa banque centrale de financer les investissements publics nécessaires par de la création monétaire. Fondamentalement, il s’agit d’engager un processus de désobéissance aux traités et par là même, un bras de fer avec les institutions européennes.

Une telle attitude montrerait concrètement qu’il existe des alternatives aux politiques néolibérales. Elle mettrait les gouvernements européens au pied du mur, les confronterait à leur opinion publique et serait un encouragement pour les citoyen-nes à se mobiliser. Un discours résolument pro-européen, tourné vers la démocratie, la justice sociale et environnementale, trouverait un écho considérable auprès des autres peuples européens.L’issue de ce bras de fer n’est pas donnée d’avance, tout dépendra des rapports de forces qui seront construits à l’échelle européenne. La désobéissance aux traités européens peut être conçue, non comme l’amorce d’un éclatement des solidarités, mais au contraire comme un outil pour accélérer l’émergence d’une communauté politique européenne.

Point de vue paru dans « Marianne » n°880 du 28 février au 6 mars

http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-khalfa/030314/desobeir-aux-traites-pour-refonder-l-europe?onglet