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De quoi le populisme est-il le nom ?

mardi 12 juillet 2022, par Amitié entre les peuples

De quoi le populisme est-il le nom ?

Le Comptoir- 14 avril 2022
https://comptoir.org/2022/04/14/de-quoi-le-populisme-est-il-le-nom/

L’Europe serait en proie à un péril populiste, faisant peser une menace sans précédent sur la démocratie, en témoigne la percée des partis « europhobes » aux dernières élections européennes. [1] En janvier 2018, devant le Bundestag, François de Rugy, alors Président de l’Assemblée nationale, résumait cette crainte : « Le populisme et les mouvements nationalistes menacent toutes les nations européennes […] Ce courant suit le refus et la négation des étrangers et ensuite des autres. Il disloquera les sociétés et réduira finalement en poudre la démocratie. » Pour comprendre ce qu’est le populisme il importe de s’interroger, loin des polémiques, sur les caractéristiques du « populisme de droite » incarné par les partis « europhobes » ; sur les origines historiques du populisme ; appréhender, enfin, ce que recouvre cette « inflation sémantique ». [2]

Depuis la chute de l’URSS et la « fin de l’histoire », l’horizon s’annonçait radieux : le monde libre l’avait emporté, et avec lui la promesse d’un monde universellement démocratique. Mais c’était sans compter sur cette gangrène d’un autre âge, un mal qu’on croyait oublié : le populisme, manifestation d’un peuple infantile et sauvage, d’un peuple qui vote « mal » (référendums de 2005 et 2008) [3] et qui éprouve un penchant pour les dirigeants autoritaires.

En effet le terme « populisme » tire son nom du mot « populus » – le peuple. Depuis la fin de la guerre froide, ce qui menace la démocratie ne serait donc plus le totalitarisme, mais le peuple lui-même. En somme, le populisme s’apparenterait à un nouveau fascisme. D’ailleurs, le parallèle n’est jamais très loin, comme l’illustre une fois encore François de Rugy lors d’une passe d’armes avec le député François Ruffin : « L’écologie populaire, ce n’est pas l’écologie populiste. M. Ruffin franchit une nouvelle fois les bornes. […]. Vous savez à qui il me fait penser ? À un fasciste. » [4]Marronnier journalistique, le péril populiste est décliné à tort et à travers, il ne se passe pas un jour sans que l’élite médiatico-politique ne s’en inquiète. [5] Du Brexit à l’élection de Donald Trump, en passant par les Gilets Jaunes, le populisme serait responsable de tous les maux. Aussi nous pouvons nous demander :

En quoi le terme « populisme » est-il plus dangereux que les populistes eux-mêmes, pour les pays de l’UE, et pour la démocratie en général ?

L’actualité du populisme

Si populismes de gauche et de droite sont semblables par leur rhétorique anti-establishment (le peuple contre l’élite), ils diffèrent par leur structure. Le populisme de gauche est binaire, quand celui de droite est ternaire : « Le populisme de gauche défend le peuple contre une élite ou l’establishment. C’est une politique verticale où le bas et le milieu se liguent contre le haut. Les populistes de droite défendent le peuple contre une élite qu’ils accusent de protéger un troisième groupe constitué d’immigrés, de musulmans, de militants noirs. » [6]

Par ailleurs, ces deux mouvements s’opposent par leurs idées. Si le populisme de gauche plaide pour une radicalisation de la démocratie en y réintégrant son sujet constituant, le peuple, le populisme de droite est autoritaire et teinté d’un fort conservatisme social, quand ses différentes revendications sont pensées sur une base ethno-nationale : nationalisation du Welfare (aides sociales réservées aux nationaux), rempart contre l’immigration…[7]

Enfin, populismes de gauche et de droite se fondent sur une acception différente du peuple : si, à gauche, le peuple fait référence au demos et au peuple actif (révolutionnaire, républicain), à droite il est construit dans son opposition à des boucs-émissaires (les étrangers) et imaginé comme un tout homogène, incarné par un leader autoritaire.

Après avoir fait un rapide inventaire des caractéristiques du populisme de droite, il convient de se pencher sur les expériences historiques du populisme, afin de comprendre en quoi le populisme des partis « europhobes » diffère de celui des origines.

Les expériences historiques du populisme

Les différentes expériences historiques reconnues comme populistes, et validées comme tel aussi bien par les historiens, que par les acteurs des mouvements eux-mêmes, sont au nombre de trois.[8]

À la fin du XIXe siècle, le narodnitchestvo, mouvement d’intellectuels russes déclassés, souhaite soulever la paysannerie contre l’autocratie tsariste. Fascinés par l’organisation des moujiks, véritable « démocratie des producteurs », ils souhaitent l’étendre à toute la Russie, pour en faire la base d’une société meilleure et authentiquement démocratique.

À la même période aux États-Unis, des fermiers ruinés protestent contre la transformation intensive de l’agriculture sous l’influence des grands trusts industriels, ainsi que la financiarisation croissante de l’économie américaine, conséquence de la montée en puissance de Wall Street. Ils fondent un parti, People’s Party (Le Parti Populiste), auquel viennent s’agréger des ouvriers syndiqués, ainsi que des militantes féministes défendant le droit de vote des femmes. Le People’s Party participera aux élections présidentielles de 1892 et 1896, doté d’un programme qui proposait, entre autres, la nationalisation des chemins de fer et de la poste, le droit de vote des femmes, l’élection directe du Sénat, ou encore la mise en place d’un impôt progressif. Après deux échecs électoraux, le parti finira par imploser.

La dernière séquence populiste intervient en Amérique latine à la suite de la crise de 1929. Entre les années 1930 et 1960, de nombreux régimes issus de la tradition populiste arrivent au pouvoir partout en Amérique latine, à l’instar du péronisme argentin (1945-1954), du gétulisme brésilien (1930-1945) ou encore cardénisme mexicain (1934-1940). Ces différents mouvements élargissent les droits sociaux (État-Providence), civiques (droit de vote des femmes) et culturels (programmes de démocratisation des arts et de la culture). Finalement, les différents régimes sont balayés par les dictatures militaires, ou ploient sous le poids de leurs contradictions économiques.

Les analystes du phénomène populiste évaluent celui-ci à l’aune de son actualité (la montée des partis d’extrême droite partout en Europe). Seulement, au regard des développements précédents, il convient de s’interroger sur ce qui permet de ramener dos à dos populismes de gauche et de droite, et de faire l’analogie entre Podemos et Donald Trump, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, comme n’hésitent pas à le faire les médias.[9]

Cachez ce peuple…

L’inflation sémantique que subit le terme « populisme » est sans doute à rechercher dans la volonté des élites de préserver le statu quo. En utilisant le terme populisme on stigmatise la contestation, on cherche à préserver un certain type de démocratie (représentative), « le plus mauvais système à l’exception de tous les autres », de la conflictualité sociale, et plus spécifiquement de la conflictualité populaire. En somme, il convient de protéger le peuple contre lui-même.

Derrière l’usage du mot « populisme » se cache en réalité l’une des plus redoutables formes de mépris pour la démocratie. Comme l’explique Jacques Rancière dans La haine de la démocratie la démocratie n’est pas le pouvoir du peuple (demos kratos) ni même d’une majorité, mais le pouvoir de n’importe qui. Finalement, tout un chacun à autant de droit à gouverner qu’à être gouverné. C’est bien là que réside le « scandale démocratique » : la suppression de tout titre à gouverner.

En étiquetant toute opposition à la démocratie représentative comme « populiste », on produit une triple opération : on discrédite les plus démocratiques par le biais de l’opprobre touchant les plus réactionnaires ; on valide l’idée d’une indistinction entre la « droite » et la « gauche » ; on généralise une véritable « peur du peuple » dès lors qu’il réclame davantage de pouvoir pour les gouvernés.[10]

La menace fasciste

Historiquement, le populisme apparaît dans les périodes de crise démocratique. À ce titre, il n’est pas surprenant qu’au moment où les institutions de l’Union Européenne sont toujours plus décriées, qualifiées tour à tour de technocratiques, opaques, anti-démocratiques, des mouvements populistes essaiment un peu partout sur le continent. Seulement, à y regarder de plus près, le rejet des élites mis à part, on serait bien en peine de savoir ce qui relie le Rassemblement National et UKIP, avec des partis comme La France Insoumise ou Podemos… Les seules expériences historiques reconnues comme authentiquement populistes réclamaient davantage de démocratie, chose que ne revendiquent aucunement les populistes de droite. Ces deux courants se fondent sur une conception du peuple (ethos / demos) et une structure différenciées (ternaire / binaire).

Les populismes de droite sont sensiblement éloignés du populisme des origines, à tel point qu’il serait légitime de se demander si le qualificatif de « populisme » est vraiment approprié pour désigner des partis comme le Rassemblement National… Comme le dit Manuel Cervera-Marzal : « Rhabiller en « populistes de droite » des fascistes, des racistes et des nationalistes, c’est leur faire une offrande inespérée. C’est présenter en « amis du peuple » ses plus farouches ennemis. »[11]

En cherchant à tout prix à tenir le peuple toujours plus éloigné des décisions politiques, les élites dirigeantes alimentent le ressentiment au sein des populations, conduisant inévitablement à la montée en puissance des partis d’extrême droite partout en Europe. Refusant de reconnaître l’aspiration légitime du peuple à prendre part à la chose publique, les dirigeants construisent des oppositions binaires afin de stigmatiser toute contestation et préserver le statu quo : monde ouvert / fermé ; progressistes / populistes…

Cependant, par cette opération, les gouvernants s’empêchent de comprendre un phénomène bien plus dangereux encore, car, finalement, le danger qui menace l’Europe est moins le populisme que le fascisme.

Julien Champigny

Nos Desserts :

Au Comptoir, nous avons déjà rappelé que « Le populisme, c’est le camp du peuple »
Nous revenions sur les théories de la philosophe belge Chantal Mouffe dans L’illusion du consensus
Avec Jean-Claude Michéa, on s’interrogeait sur la refondation d’une dichotomie élite/ peuple
« Vous avez dit “populisme” ? », à propos d’Ernesto Laclau, inspirateur de Podemos
Notes

[1] Rédaction de RTS, (2017, 18 décembre). Les europhobes vainqueurs des élections européennes, RTS

[2] Tarragoni, Federico. « Propositions pour une sociologie historique du populisme », Revue européenne des sciences sociales, vol. 58-2, no. 2, 2020, pp. 55-75.

[3] Ross, Kristin, et Isabelle Taudière. « Démocratie à vendre », Giorgio Agamben éd., Démocratie, dans quel état ? La Fabrique Éditions, 2009, pp. 101-122.

[4] Tarragoni, Federico. « Propositions pour une sociologie historique du populisme », Revue européenne des sciences sociales, vol. 58-2, no. 2, 2020, pp. 55-75.

[5] Camus, Jean-Yves (2019, 6 février). Steve Bannon et le péril du populisme, L’Express

[6] Fassin, Éric. « La gauche et la stratégie populiste », Après-demain, vol. 43,nf, no. 3, 2017, pp. 12-13.

[7] Ivaldi, Gilles. « Euroscepticisme, populisme, droites radicales : état des forces et enjeux européens », L’Europe en Formation, vol. 373, no. 3, 2014, pp. 7-28.

[8] Tarragoni, Federico. « Propositions pour une sociologie historique du populisme », Revue européenne des sciences sociales, vol. 58-2, no. 2, 2020, pp. 55-75.

[9] Besse-Desmoulières, Raphaëlle et Mestre, Abel (2012, 07 février). Mélenchon – Le Pen, le match des populismes, Le Monde

[10] Tarragoni, Federico. « Propositions pour une sociologie historique du populisme », Revue européenne des sciences sociales, vol. 58-2, no. 2, 2020, pp. 55-75.

[11] Cervera-Marzal, Manuel. « 8. Un populisme de gauche à l’européenne », , Le populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise, sous la direction de Cervera-Marzal Manuel. La Découverte, 2021, pp. 309-348.