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De l’impérialisme à l’anti-capitalisme et du peuple au peuple-classe. C Delarue

samedi 11 juin 2011, par Amitié entre les peuples

LE RETOUR ET LA REDECOUVERTE DU PEUPLE :

De l’impérialisme à l’anti-capitalisme et du peuple au peuple-classe.

Christian DELARUE

Version initiale du 4 avril 2011 reprise le 11 juin 2011.

Une première série de recherche sur le peuple-classe, à la suite du référendum du 29 mai 2005 notamment, avait pour cadre principal l’Etat nation , ce qui aboutissait à poser des distinctions comme 1) peuple-citoyen (démos souverain), 2) peuple-nation, 3) peuple-ethnos ou ethnique (ancrage historico-culturel), 4) peuple-classe (face à l’oligarchie ou à la classe dominante). Les réflexions qui suivent sortent dans un premier temps de ce cadre occidental (il s’agissait de métropoles impérialistes) à la suite des mouvements révolutionnaires arabes du début 2011. Un enrichissement intervient. On retrouve à cette occasion de vieilles définitions des juristes de droit international : le peuple contre l’impérialisme.

Si au plan international le peuple si définit par rapport à l’impérialisme, le peuple-classe est dans ce cadre celui qui affronte à la fois l’impérialisme (ennemi extérieur) et le capitalisme (ennemi intérieur). Si la première définition est plus générale la seconde se veut plus juste, plus « scientifique » au sens de critique du sens commun. Mais les deux définitions sont mobilisables. Tout dépend du contexte.

Voici deux contributions qui explicitent notre propos. La première donne pleine définition au peuple. La seconde vient poser le peuple-classe en rapport à la première.

I - Il(s) se léve(nt) : Le peuple, les peuples.

Note pour une définition :

Vie des peuples : lutter ou dépérir !

Le peuple n’est pas défini mais pourtant, il se voit. Autrement dit il n’existe pas de définition à priori ou objective ou en soi du peuple mais seulement une définition subjective, pour soi . En résumé on dira qu’un peuple n’est tel que lorsqu’il lutte. Ce point me semble vérifié sur ces deux versants : d’une part de nombreux textes internationaux (1) relient le mot peuple à l’impérialisme ou au colonialisme par une activité de lutte, d’autre part les juristes de droit international admettent volontiers l’inexistence d’une définition juridique du mot peuple.

Quelques points sont donc ici à développer.

1 - « Personne ne sait ce qu’est un peuple » dit M Karel Vasak (22 juin 2000). Edmond Jouve spécialiste du Jus cogens auteur notamment d’un Que sais-je ? sur « Le Droit des peuples » reconnait qu’il n’existe pas de définition juridique du peuple. De ce vide, un parallèle est souvent fait avec le peuple-nation, c’est-à-dire la communauté humaine définie par un Etat-Nation mais c’est trompeur car ce n’est manifestement plus le peuple tel que visé par les textes internationaux produits disons depuis Bandung (1955) ou même avant. Le peuple-nation est une notion abstraite, objet de développements de la part des juristes et philosophes, et liée à la longue construction des Etats en Occident. Le peuple sans adjectif se ramène à du concret.

2 - Le peuple se définit en marchant ! A ce propos Engels est souvent cité : « la preuve du pudding, c’est qu’il se mange ». Personnellement, je me souviens d’abord lu cette phrase, jadis, comme jeune militant du MRAP, sur une brochure de la LCR à propos du conflit saharaoui . Ce qui est évident à une époque peut cesser de l’être ensuite. Dire, comme je l’ai fait récemment, que « le peuple sahraoui existe puisqu’il lutte encore ! » est susceptible de débat et d’ailleurs ces débats ont animés une petite partie du MRAP il y a peu. Pourquoi ? C’est qu’à un moment donné il y a ce que l’on peut appeler l’épreuve de vérité, c’est à dire l’épreuve du vote et de la détermination des individus appelés à voter sur la question posée. Un peuple se dresse se donne des représentants d’une façon pas toujours démocratique puis ce peuple se fatigue et décline dans son activité visible mais ses représentants continuent d’agir, notamment en usant abondamment de la rhétorique du peuple. Le peuple breton aspire à... Quel peuple breton ? Un peuple largement assimilé ne lutte plus (comme peuple d’origine) mais pour d’autres causes.

3 - La question du contenu : Un peuple marche en revendiquant. Plusieurs thématiques reviennent de façon récurrente : le territoire, la culture. Les peuples ne sont pas sans histoire. Ils ont même des histoires tragiques. Ils sont durablement attachés à un territoire et à une culture qui l’un et l’autre font l’objet d’une dépossession, d’une domination ou d’une oppression. Ils arrive qu’ils deviennent peu à peu minoritaires chez eux en droit alors qu’ils sont encore majoritaires en nombre. Autre aspect, ils refusent aussi la dépossession politique et économique. Deux aspects du contenu revendicatif populaire s’entrecroise ici. Quand un territoire est occupé par une présence étrangère civile et militaire appuyée par la création d’institutions politiques au service de la puissance occupante la résistance populaire se forge. Si les institutions politiques évoluent sous l’effet de la décolonisation vers un transfert au peuple colonisé ( à sa classe politique dirigeante) mais qu’une présence économique forte (firmes transnationales, monnaie étrangère, etc...) continue de s’accaparer les productions du pays alors la résistance va perdurer sous une autre forme contre cet impérialisme. Parfois, le lien avec le territoire peut être très éloigné pour les fractions de peuples chassées de chez eux et dispersées de par le monde. La culture, le mode de vie, la langue, la religion font alors l’objet d’un entretien spécifique pour passer d’une génération à un autre pour éviter l’oubli et l’assimilation. La culture est un très long combat pour les peuples qui refusent l’anéantissement de leurs pratiques culturelles.

4 - De ces deux points, peuple qui marche et peuple qui revendique ainsi que de l’examen de textes internationaux il apparait que ce que l’on nomme peuple ce sont les communautés humaines historiques qui luttent contre le colonialisme ou l’impérialisme. La lecture de la Déclaration universelle des droits des peuples de 1976 est édifiante sur ce point. Mais les notions anciennes, façon JJ Rousseau par exemple, qui voit le peuple se révolter contre les dictateurs tout puissants peuvent reprendre de l’actualité avec les révolutions en cours dans le monde arabe, en Tunisie et en Égypte aujourd’hui. Ces révolutions ont en effet deux grandes tâches d’une part virer le dictateur en place et son équipe et d’autre part repousser l’impérialisme des puissances dominantes. Dans les deux cas il s’agit bien de mettre en pratique le droit à l’autodétermination.

5 - Des enjeux apparaissent assez rapidement et quasiment à chaque fois qu’un peuple entreprend de se libérer de structures de dominations. Un premier enjeu est : va-t-il arrêter son combat à l’établissement d’une démocratie libérale minimaliste qui donne le pouvoir économique à une classe dominante qui était déjà là prête à récupérer la révolution à son profit. Autre possibilité : passer d’une dictature à commande externe (impérialisme) à une autre forme de dictature interne de type nationaliste ou religieuse. Mais là le peuple sait qu’il a peut-être sauvé son territoire et sa culture mais qu’il n’aura ni pain ni libertés démocratiques.

6 - De ces enjeux, il faut penser à ajouter un élément à peuple : celui de la vigilance et de la prééminence d’une pensée du peuple orientée vers la ou les perspectives futures. José Echeverria (cité par Edmont Jouve) voit le peuple orienté vers le futur alors que la nation l’est vers le passé. Pour reprendre une autre terminologie : la nation relève de l’institué, du déjà là alors que le peuple relève de l’instituant . Il est en mouvement vers. C’est là un point à développer au-delà de la simple citation pour une définition. Car cette orientation vers l’avenir donne beaucoup de responsabilité aux partis politiques à l’égard des peuples ancrés dans le quotidien des résistances et l’entretien d’un passé et d’une culture. Là une question se pose : La perspective est-elle principalement religieuse avec un substrat de radicalisme politique ou est-elle pleinement politique avec des débats riches sur la perspective socialiste. Si un mélange se fait, comme en Amérique latine par exemple, quelle est alors la place de la perspective socialiste. Quelle est la place des analyses des expériences historiques et quelle est celle de l’invocation répétée d’un Dieu rédempteur avec un guide suprême à mettre en place ? Il ne s’agit pas de dire qu’il faut nécessairement un peuple très instruit pour l’émancipation mais un peuple trop sous emprise idéologique peut se faire manipuler par ses dirigeants et oublier d’achever sa révolution et ses tâches d’émancipation.

7 - Dés lors qu’apparait de flagrantes inégalités sociales au sein du peuple en lutte il est bon et utile de repérer une classe dominante compradores et de savoir précisément ce qu’elle fait qui elle sert principalement et secondairement. C’est important pour le peuple-classe en lutte. Car lui qui doit être in finé bénéficiaire de ce combat anti-impérialiste qui a tôt ou tard un contenu anti-capitaliste si ce n’est socialiste avéré. Enfin, au regard des différentes expériences révolutionaires effectuées de par le monde il apparait que le sort fait au mouvement spécifique des femmes au sein du peuple-classe en lutte est très important.

notes

1) La Déclaration universelle des droits des peuples - Alger, 4 juillet 1976

http://www.algerie-tpp.org/tpp/presentation/annexe_1.htm

2) Le peuple sahraoui existe puisqu’il lutte encore !

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1105

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II - Derrière le peuple, le peuple-classe.

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1565

Faire la promotion du peuple-classe n’a pas été simple. La théorie sent le souffre d’une pratique qui a tort ou à raison respire la révolution. En fait hors de toute exploitation selon les personnes ou le contexte elle met surtout en évidence l’existence d’une classe dominante. Là est sa fonction. Le peuple-classe est l’autre de la bourgeoisie. L’autre de l’oligarchie aussi.

Mais les choses changent. La multitude (1), concept en vogue il y a quelques années, reconnaissait difficilement les couches et classes sociales mais ignorait radicalement le peuple et les peuples. Et voici que celui-ci émerge. Et là ou nul ne l’attendait. Qui ne voit que derrière le peuple c’est le peuple-classe qui est au combat pour une double lutte contre l’impérialisme (externe) et contre le capitalisme (interne).

La notion de peuple-classe a déjà été employée en France par Yves MENY et Yves SUREL(2) et par quelques marxistes du Maghreb pour évoquer un peuple qui lutte contre l’impérialisme (seulement). Si cette interprétation est exacte alors elle est à la fois juste et faux. Si on répond que c’est le peuple qui lutte contre l’impérialisme (et pas plus), ce qui est sa définition traditionnelle, c’est aussi pour partie une erreur car au sein du peuple ici entendu au sens commun il y a une classe qui résiste au peuple-classe, celle qui profitait de l’impérialisme et que l’on nomme parfois bourgeoisie compradores.

Ou alors on en revient au peuple-classe qui n’est pas tout le peuple. Une pensée qui se veut scientifique-critique a toujours à se battre contre le sens commun. Car, la racine de ce débat répété tient au fait de la prégnance de la définition du peuple comme communauté sur un territoire national (dominant ou non), communauté qui englobe la bourgeoisie et le peuple-classe.

Cette définition-là rabat le peuple sur la nation dans beaucoup de cas. Là ou il y a Etat-nation du moins. A côte de cela il y a le peuple définit grosso modo depuis Bandoung (1955) qui évoque le peuple qui se lève contre l’impérialisme. Mais s’agit-il en fait de tout le peuple d’un pays dominé ou colonisé ? Souvent non.

Pour relativiser cette dispute sémantique il faut noter surtout que tôt ou tard le combat anti-impérialiste devient aussi plus nettement un combat anti-capitaliste et là c’est plus le peuple-classe qui devient pertinent comme notion et comme acteur.

La lutte contre le capitalisme liée à celle contre l’impérialisme suppose un combat de chaque peuple-classe contre sa propre bourgeoisie avec cependant des alliances de classe possibles quoique difficiles et même souvent mortifères avec des fractions « progressistes » de la bourgeoisie (bourgeoisie de déconnexion). Reste qu’il importe de conserver la ligne de la convergence des lutte des différents secteurs et couches du peuple-classe y compris des couches qui disposent le moins de représentants et de capacité d’intervenir dans le rapport de force.

On pourrait dire que c’est là le rôle classique d’un parti communiste au sens générique du terme. Un tel parti se veut en principe le parti de la classe ouvrière ou le parti des travailleurs salariés (ce qui n’est pas exactement la même chose mais les significations tendent à se recouper) mais il s’engage aussi pour emmener à la lutte de libération les autres couches sociales hésitantes. La tradition communiste évoque ici la paysannerie et tout ce que l’on rapporte à l’existence d’une petite bourgeoisie dont le substrat a pu là aussi évoluer. La structuration des classes et couches sociales peut en effet varier selon les marxistes et selon les formations sociales qu’ils étudient mais il n’en demeure pas moins qu’il y a toujours au-delà des variations ce combat fondamental à mener contre la classe dominante, contre sa bourgeoisie. On devrait dire les bourgeoisies car si cette classe est bien unifiée elle aussi diverse quand à ses bases : rentière financière, issu de l’agrobusiness, de l’industrie, du commerce international, etc.

Chrstian Delarue

1) Sujet alter : De la multitude au peuple-classe.
http://www.legrandsoir.info/Sujet-alter-De-la-multitude-au-peuple-classe.html

2) In Par le peuple, pour le peuple. Le populisme et les démocraties par Yves Mény et Yves Surel , Ed Fayard 2000 Coll L’espace du politique .