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Contretemps / Tony Cliff, un trotskyste juif palestinien au royaume de Sa Majesté

lundi 12 novembre 2012, par Amitié entre les peuples

Tony Cliff, un trotskyste juif palestinien au royaume de Sa Majesté

Contretemps

Il est peu habituel d’écrire de longues critiques de livres sur des ouvrages qui ne sont pas disponibles en français. Cependant, nous pensons que le rôle de Tony Cliff et du Socialist Workers Party britannique, l’organisation qu’il a fondée, dans le paysage de l’extrême gauche européenne, suffit pour rendre cet article utile pour nos lecteurs. Le NPA et le SWP collaborent au sein de la gauche anticapitaliste européenne et ont récemment fait des déclarations communes sur la crise financière. Le SWP G-B est presque la seule organisation de l’extrême gauche européenne d’une taille comparable à celle du NPA. Par ailleurs, des organisations du courant ou issues du courant de Tony Cliff constituent des acteurs essentiels de la gauche radicale dans des pays comme la Grèce, les États-Unis, l’Égypte et l’Australie.

Cliff est mort en 2000. Il était connu dans les milieux de l’extrême gauche particulièrement pour sa théorie du « capitalisme d’État en URSS ». Selon cette théorie, la clique de Staline avait rétabli en URSS et en Europe de l’Est une nouvelle forme du capitalisme, et, malgré des différences importantes, les économies centralisées de Cuba et de la Chine n’étaient pas moins capitalistes.

L’autobiographie de Tony Cliff, écrite quelques mois seulement avant sa mort, est disponible en français sur internet depuis quelques années[1]. Elle est utile, vivante et fascinante, même si elle souffre d’un manque de modestie certain et, selon son biographe, Birchall, d’une difficulté à reconnaître la contribution d’autres militants à la construction de son parti.

Car c’est un de ses camarades de longue date, Ian Birchall, qui vient de livrer une biographie de Cliff de plus de 600 pages. Birchall est déjà l’auteur d’une série de livres marxistes, dont une étude sur Babeuf, une autre sur Sartre, et un livre sur l’histoire du réformisme[2]. Ce nouvel ouvrage, publié en octobre 2011, retrace la vie politique de Cliff depuis son activité en Palestine dans les années 1930 jusqu’à sa mort en 2000. Jusqu’à la fin de sa vie, Cliff jouait encore un rôle central dans son parti. Birchall a interviewé plus de cent personnes, et recueilli plus de soixante-dix témoignages écrits de gens qui connaissaient Cliff, et a également relu d’un œil critique la quasi-totalité de ses très nombreux écrits.

Si la biographie est largement positive, Birchall n’a pas voulu cacher les controverses ni les défauts de Cliff. Beaucoup des interviewés sont des militants qui ont quitté le SWP, parfois dans une ambiance très hostile. Le but est de rendre vivant ce personnage haut en couleurs, voire improbable, et faire état de son évolution, ses écrits, et ses pratiques. Comme le souligne Birchall, toute l’énergie de Cliff durant les cinquante dernières années de sa vie était consacrée à la construction d’un parti révolutionnaire dans un pays dont il ne connaissait à peu près rien lors de son arrivée. Ses livres, ses conférences, ses interventions pratiques tendaient vers ce seul objectif, car il méprisait la reconnaissance académique et le « succès » au sein de l’establishment. C’est pour cela que l’héritage de Cliff, l’incarnation de ses mérites – et parfois de ses défauts – est son parti.

La présente critique est écrite par un militant révolutionnaire proche des idées de Cliff. Mais notre but est d’expliquer ses idées et ses pratiques, sa contribution à l’expérience de la gauche anticapitaliste.

Ses débuts en Palestine

Cliff est né Ygael Gluckstein en 1917 dans une famille bourgeoise sioniste en Palestine, alors sous mandat britannique. Militant depuis l’âge de 14 ans, il rejoint le Mapai, le Parti des travailleurs du pays d’Israël – un parti qui défendait la mise en place d’un État juif, qui construisait des syndicats réservés aux seuls juifs, et prônait l’organisation d’une immigration juive conséquente. Mais son antiracisme l’éloigne de plus en plus du sionisme, même de gauche. Dans un meeting public, il défend de la salle l’unité entre travailleurs juifs et arabes et le service d’ordre lui casse un doigt et l’expulse. Il devient et restera toute sa vie antisioniste et fervent défenseur des Palestiniens.

En 1933, il rejoint les cercles marxistes, et dès 1938 il est en contact avec les trotskystes américains. Mais pendant la deuxième guerre mondiale la communication est si difficile que son petit groupe reçoit les journaux trotskystes avec des mois de retard. Il prend vite l’habitude de développer ses perspectives politiques sans attendre la voix de l’autorité, en se basant sur les faits sur le terrain. Emprisonné puis vivant dans la clandestinité, il décide de quitter la Palestine pour la Grande-Bretagne, vit une période d’exil en Irlande, avant d’être finalement autorisé à s’établir en Angleterre, où il a passé les cinquante dernières années de sa vie (mais sans passeport).

Fermement convaincu qu’une organisation révolutionnaire constitue l’élément indispensable dans les moments de grand combat social, l’ensemble de ses écrits auront comme leitmotiv la construction d’un tel parti. Pour Cliff, s’il y avait eu un parti révolutionnaire de taille en Allemagne dans les années 1930, pour proposer une autre voie quand le Parti communiste refusait de se battre contre Hitler, l’histoire aurait pu être transformée et Hitler vaincu bien avant son arrivée au pouvoir. Selon lui, les expériences de la France en 1968, du Chili en 1973, du Portugal en 1974, de l’Iran en 1979 sont autant de preuves supplémentaires que sans un parti révolutionnaire bien implanté, les crises sociales sont résolues à chaque fois selon les intérêts du grand capital.

Trois contributions fondamentales

Sa vingtaine de livres et plusieurs centaines d’articles répondront donc à chaque fois à un problème posé aux militants révolutionnaires. Arrivé en Europe en 1946, une fois que l’établissement de l’État d’Israël semblait inévitable, Cliff rejoint le petit mouvement trotskyste qui a survécu à la guerre. Il y trouve une tension entre une tendance, compréhensible, à suivre à la lettre les écrits de Trotski (mort en 1940), qui jouissait d’une autorité morale et intellectuelle énorme, et une tentative de s’impliquer dans les luttes quotidiennes des travailleurs, enclins à vouloir être récompensés pour les sacrifices de la guerre. Le mouvement trotskiste britannique de l’époque, bien que minuscule, contenait bon nombre de travailleurs formés politiquement et jouissant d’une influence certaine sur leur lieu de travail et dans leur syndicat. C’était une période où l’un des dirigeants conservateurs anglais disait à propos des travailleurs : « Si vous ne leur donnez pas des réformes, ils vous donneront une révolution. »

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