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Contre-feux : Prisons françaises : que faire pour sortir de la « honte » ? M Herzog-Evans

dimanche 18 octobre 2009, par Amitié entre les peuples

Prisons françaises : que faire pour sortir de la « honte » ?

Samuel Chambaud Contre-feux

L’état des prisons a été qualifié de « honte » pour notre République par le Président français. La loi pénitentiaire du 22 septembre vise à améliorer leur situation. Pour mieux comprendre ce problème, Contre-feux a interrogé Martine Herzog-Evans, professeur de droit, spécialiste du droit pénitentiaire et de l’application des peines.

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Contre-Feux : La situation des prisons en France est jugée préoccupante. Jacques Audiard le montre dans son dernier film, « Un Prophète ». La loi pénitentiaire du 22 septembre vise à y remédier. Qu’est-ce qui, selon vous, a replacé la prison au cœur du débat ?

Martine Herzog-Evans : Cela fait plusieurs années que la prison reste un sujet brûlant. Le témoignage de Mme Véronique Vasseur (1) (NDLR : l’ancien médecin-chef de la prison de la Santé) et le premier projet de loi pénitentiaire, finalement avorté, ont alerté les politiques et la population. D’autres facteurs sont également en cause. Depuis le 11 septembre, les politiques ont donné plus de visibilité à ce que l’on appelle les premières phases du procès pénal, c’est-à-dire que tout ce qui concerne les procédures ou les peines encourues, qui ont été rendues beaucoup plus sévères. A partir de 2005, la même volonté répressive a commencé à contaminer l’exécution de la peine.

Plusieurs choses vont également dans le sens inverse. Il y a les règles pénitentiaires européennes, ainsi que tous les rapports rendus en Europe sur l‘état déplorable des prisons françaises. La jurisprudence européenne, ainsi que la jurisprudence interne sont aussi devenues beaucoup plus volontaires. Il y a donc, d’un côté, des pressions pour améliorer les choses, et de l’autre, de grands changements pour amener les politiques pénales, en France et dans le monde, vers une plus grande sévérité.

CF : Albert Camus a dit qu’ « une société se juge à l’état de ses prisons ». Aujourd’hui, le Président français qualifie leur état de « honte pour notre République ». Qu’en est-il des autres pays ? Où la France se situe-t-elle en matière de détention ?

M.H-E. : Actuellement, la surpopulation et les conditions matérielles de détention, ce que l’on va appeler l’ « hôtellerie », sont pointées du doigt. Il est vrai que la France est extrêmement mal située. En Europe, nous sommes parmi les pires États. Le Conseil de l’Europe le dit régulièrement. En vérité, la surpopulation, liée à un état de vétusté et de délabrement des établissements, nous place parmi les plus mauvais élèves.

Cependant, il est essentiel de regarder au-delà des frontières de l’Europe. Nous avons la chance de connaître l’Europe des Droits de l’Homme. Le Conseil de l’Europe et la Cour Européenne des Droits de l’Homme nous permettent de ne pas aller trop loin dans l‘horreur. Si nous comparons avec les États-Unis, l’Australie, ou d’autres états, il existe des conditions de détention bien pires. En ce qui concerne les États-Unis ou l’Australie, je pense surtout au concept de prison de haute-sécurité. Nous n’avons pas encore atteint les mêmes sommets dans l’abomination en France. Enfin, le niveau de violence des personnels vis-à-vis des détenus est loin d’être le même.

Bien que les personnels pénitentiaires souffrent aussi de la surpopulation, les prisons françaises n’ont, globalement, plus rien à voir avec celles des années 60-70, où les violences contre les détenus n’étaient pas rares. C’est un phénomène aujourd’hui très largement en régression tandis qu’on le trouve encore de manière constante dans les prisons américaines et, un peu moins, australiennes. Nous ne sommes donc pas mauvais en tout. En revanche, les violences entre détenus ont augmenté.

CF : Selon la loi française de 1875, un détenu se doit de bénéficier d’une cellule individuelle. Or nous avons pu réaliser à nouveau, lors de la fermeture de la maison d’arrêt de Saint-Paul à Lyon, que ce principe est aujourd’hui loin d’être appliqué. Ces conditions d’incarcération sont-elles le résultat d’une inadaptation des prisons françaises à la population carcérale ?

M.H-E. : Nous connaissons les causes de la surpopulation, qui ne sont pas récentes. La droite et la gauche se sont toujours renvoyées des discours qui étaient très différents, et qui, pourtant, ne sont pas totalement faux. D’un côté, nous avons la droite qui dit : « il faut construire des prisons », et de l’autre la gauche qui répond : « si vous construisez des prisons, vous allez les remplir ».

Dès qu’une nouvelle prison est ouverte, elle se remplit rapidement

C’est un débat sans fin. Il est vrai que dès qu’une nouvelle prison est ouverte, elle se remplit rapidement, et dépasse très vite ses capacités d’accueil. Il y a un effet d’appel, d’autant que, notre parc étant encore très ancien, les vieilles prisons vétustes sont détruites. Ce constat est valable dans tous les pays. Les États-Unis en ont été un temps les champions : ils ont construit de manière absolument folle, tandis que leur population carcérale augmentait de même.

La droite a également raison de dire que l’on doit construire des prisons, ces dernières étant, ou étaient, dans un tel état de délabrement, qu’il advient à présent de les moderniser. Nous ne pouvons pas laisser des gens habiter des taudis avec des rats, des cafards, des problèmes d’infiltration, etc... Il faut donc construire. Le problème, c’est que cela va de pair avec des politiques pénales qui favorisent l’incarcération.

CF : Le système judiciaire est-il en tort ?

M.H-E. : Il y a d’abord une commande du législateur, mais également toute une culture, tout un système qui fonctionne de cette façon. Il est ainsi difficile d’accuser quiconque.

Les magistrats ne sont pas formés aux problèmes concrets

Mais regardons par exemple comment sont formés les étudiants en droit. Ceux-ci ne travaillent que rarement sur des dossiers réels. Ils peuvent faire cinq années d’études sans en avoir un entre les mains. Peu d’entre eux ont déjà lu une décision de justice rendue par un juge de premier degré du tribunal correctionnel, ou par un juge d’application des peines. Les étudiants en droit ne lisent pratiquement que des arrêts de la Cour de Cassation, c’est-à-dire des problèmes de droit abstraits. Il n’est alors guère surprenant que l’on se retrouve, in fine, avec des magistrats qui appliquent la loi de manière un peu robotisée, qui ne ramène pas l’application du droit à un problème concret.

Il y a également une dimension sociologique. Les magistrats viennent souvent de milieux favorisés et doivent traiter de populations qui leur sont totalement étrangères. Il est difficile pour eux d’avoir de l’empathie. On évoque souvent l’âge des magistrats. Il ne s’agit pas là du véritable problème. Le problème, c’est celui de la formation et du recrutement.

Enfin, nous nous trouvons face à une société qui demande de la prison. Quelle que soit l’infraction, c’est la première chose à laquelle tout le monde pense, comme si une peine qui n’était pas une peine d’emprisonnement n’était pas une vraie peine.

CF : La loi du 22 septembre envisage d’élargir l’usage du bracelet électronique. Cela pourrait-il devenir la forme de coercition de demain ?

M.H-E. : Nous en prenons un peu le chemin. Les derniers chiffres que j’ai lu en Angleterre parlent de 57 000 bracelets. La France, elle, n’en compte que 4000. Il y a donc encore une certaine marge de progression. Mais est-ce pour autant une mesure satisfaisante et efficace pour tout le monde ? Non. Les praticiens savent très bien qu’il existe une multitude de catégories de personnes à qui cela n’est pas applicable : les gens qui ont des problèmes d’alcool ou de toxicomanie, ceux qui sont impulsifs, qui vont sortir et violer leurs obligations, ceux qui ont des problèmes de logement... Au final, cette mesure enclenchera beaucoup de retours en prison.

CF : Vous voulez parler des récidivistes ?

M.H-E. : Pas forcément des récidivistes. Je fais partie des gens qui disent que différencier fortement le traitement des récidivistes n’est pas une bonne méthode. Vous pouvez avoir quelqu’un qui vient de commettre sa énième infraction, mais pour qui c’est la dernière. Si il y a une chose qui est démontrée en criminologie, c’est que les délinquants s’arrêtent, et que le facteur le plus démontré d’arrêt de la délinquance, c’est l’âge. Il existe un phénomène de prise de retraite. Cela ne vaut pas pour toutes les infractions, mais pour beaucoup d’entre elles. Les délinquants s’arrêtent parce qu’ils veulent passer à autre chose et ce, assez jeune (vers 28 ans, en moyenne). Si vous prenez un récidiviste qui arrive en fin de carrière, il est nettement moins dangereux qu’un primaire à ses débuts.

CF : Le meurtre de Marie-Christine Hodeau la semaine dernière a relancé la polémique sur la mise en liberté des délinquants sexuels. Faut-il les garder en prison coûte que coûte ?

M.H-E. : Je suis obligée de vous répondre non. Bien que non-spécialiste en la matière, je sais qu’il existe des connaissances assez précises sur la récidive des délinquants sexuels. Il n’y a pas de taux fixe, car il existe une multitude de catégories de délinquants. Certaines typologies sont très fortement récidivistes, et d’autres ne le sont quasiment pas. Je pense notamment au cas du père incestueux. Il suffit de ne pas le remettre en contact avec ses propres enfants pour qu’il n’y ait pas de récidive.

On ne peut donc pas généraliser. Ce qui est urgent à présent, c’est de développer l’enseignement de la criminologie et d’avoir une information vis-à-vis des magistrats et de l’ensemble des praticiens. Nous sommes en train de créer une méfiance généralisée. Nous avons effectivement tout à fait intérêt à être extrêmement méfiant avec certains délinquants sexuels, et à prendre des mesures sans aucun état d’âme, mais il advient aussi de nous poser des questions. L’échelle des peines constitue un véritable problème dans notre pays. En quoi quelqu’un qui vole un sac à main, à moins qu’il n’agresse physiquement sa victime, est-il passible de faire de la prison ?

Je ne connais pas très bien le dossier du meurtre de Marie-Christine Hodeau, ni le contexte exact de la première affaire pour laquelle l’assassin a été condamné. Cependant, il s’agissait de faits d’une extraordinaire gravité. Au départ, il avait été condamné à 12 ans de réclusion. J’ai vu des braquages en province écoper de la même peine. Il faut savoir ce que veut la société. Est-ce qu’il ne faut pas plutôt abaisser les peines maximales pour certains types d’infractions, et les augmenter pour d’autres ? Cette personne, qui avait violé une toute jeune fille, dans des conditions extrêmement violentes, nécessitait peut-être une peine plus longue.

La réinsertion des prisonniers

CF : Quel est le rôle de la prison aujourd’hui ? Doit-elle garder sa fonction de « lieu de privation de liberté », ou bien guider les prisonniers vers leur réinsertion ?
Il nous faut intégralement repenser l’après-prison

M.H-E. : Je suis évidemment plus pour la deuxième solution. Nous savons que la première technique ne fonctionne pas. Elle fabrique de la récidive, elle fabrique de la violence. Elle transforme les condamnés en véritables fauves. Il s’agit en réalité d’un schéma électoral : les méchants, qui ont fait des choses horribles doivent payer. Nous avons tous le même réflexe, moi y compris. Seulement, si nous prévoyons que ces derniers sortent, il nous faut repenser la façon dont ils sont détenus. Si nous les traitons comme des chiens, nous allons fabriquer des chiens.

La plupart des délinquants sont fragiles socialement et psychologiquement. Si en plus, on les détient dans des conditions inhumaines et que l’on ne leur apprend rien, il est évident que l’on va aggraver le problème. Nous livrons alors à la société des gens en pire état qu’ils ne l’étaient en rentrant.

Évidemment, il faut aussi que les prisonniers aient du travail. L’humanité ne signifie pas simplement « hôtellerie ». Alison Liebling, un auteur britannique qui a étudié le suicide en prison (2), a démontré que le fait de s’ennuyer est un facteur significatif qui pousse les condamnés à l’acte. Les prisons doivent proposer de vraies formations, une vraie scolarité, à un niveau qui n’a rien à voir avec ce que l’on fait aujourd’hui.

Il nous faut surtout repenser l’après-prison. Nous sommes tous un peu comme des autruches, à considérer qu’une fois que la peine est finie, le criminel s’arrête. Ce n’est pas comme un traitement antibiotique ! L’arrêt de la délinquance est un problème forcément plus compliqué. Certains nécessitent plus que d’autres un accompagnement de longue durée à la sortie, accompagnement pourtant indispensable. Il faut ensuite évidemment penser logement, penser travail, penser famille et poursuite des soins si nécessaires.

Il y a un manque évident de travailleurs sociaux et la loi pénitentiaire va d’ailleurs dans le mauvais sens

Cela est, à plusieurs égards, déjà pris en compte. Seulement, il y un manque évident de travailleurs sociaux. La loi pénitentiaire va d’ailleurs dans le mauvais sens, puisqu’elle demande à ceux-ci d’accomplir des tâches qui ne sont pas les leurs, par exemple d’écrire des décisions de justice. Ce n’est pas leur rôle. Leur rôle est de suivre les délinquants, de les empêcher de récidiver. Si on les détourne de leurs missions, alors qu’ils n’ont déjà pas assez de moyens pour les accomplir, les délinquants ne vont pas être suivis de façon suffisamment sérieuse et, une foi relâchés, certains d’entre eux vont recommencer. Je pense qu’il faudrait mettre autant d’argent, autant d’énergie et autant d’inventivité sur l’après-prison.

CF : Y aurait-il un point, une question non abordée à laquelle vous aimeriez répondre ?

M.H-E. : Puisque nous venons de terminer sur l’après-prison, j’aimerais répondre à cette question : pourquoi n’avons-nous pas de criminologues en France ? Pour moi, cela reste le cœur du problème. Nous avons un manque évident de connaissances scientifiques sur la délinquance en France. J’ai la chance d’être d’origine britannique, j’ai pu donc voir qu’il existait une somme de connaissances dans les revues scientifiques et les ouvrages anglo-saxons auxquelles nous n’avons pas accès en France. Je crois que la première urgence, si l’on veut sérieusement dire que l’on va protéger les français contre les gens dangereux, est d’évaluer ce qu’est la dangerosité. Nous n’en avons aucune idée. Nous sommes dans une espèce d’à-peu-près. Il nous reste tout à faire, et je pense qu’il est assez urgent que l’on s’y mette.

Samuel Chambaud
Contre-feux.

1.Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, Le Cherche-Midi, 2000
2. Alison Liebling, Suicides in prison , Routledge, 1992

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