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Conjoncture actuelle des luttes et féminisme révolutionnaire - N-E Thévenin

vendredi 5 décembre 2014, par Amitié entre les peuples

CONJONCTURE ACTUELLE DES LUTTES ET FEMINISME REVOLUTIONNAIRE
Nicole-­‐Edith Thevenin

La lutte des femmes doit intégrer la nécessaire analyse des mécanismes de la reproduction structurelle de la domination. Sans la prise de conscience des formes de cette reproduction, nous nous laissons aller à parler spontanément le langage de l’idéologie dominante et soutenons le réformisme de la gauche qui a « lissé » la lutte des classes dans une intégration à l’ordre juridique, au nom de la démocratie. Dans le sillage de cette démocratie idéalisée qui fait partie de nos illusions, on voit les femmes se contenter de réclamer « justice », c’est-­‐à-­‐dire une redistribution des places dans les instances institutionnelles, une égalité de salaire, sans évoquer la nécessaire remise en question de l’ensemble étatique lié au processus économique, et nous laissons sans analyse, se développer un féminisme participatif et libéral qui a brouillé les repères idéologiques du mouvement féministe. Rappelons que toute formation socio-­‐économique pour se maintenir, doit articuler sa base matérielle à un système de reproduction politique, idéologique, culturelle qui se structure dans des institutions et des « appareils », se propage par des réseaux de pouvoir qui investissent les corps, fabriquent une vision du monde par quoi chaque sujet que nous sommes peut marcher « tout seul », c’est-­‐à-­‐dire à l’idéologie. Le pouvoir de l’idéologie dominante se donne ainsi dans le pouvoir de coloniser les mots et la langue que nous employons. Un même mot porte en lui plusieurs sens possibles renvoyant à des pratiques spécifiques, divergentes qui ne sont pas visibles de prime abord, parce que ces mots sont toujours-­‐déjà interprétés dans les dispositifs de discours qui fixent le sens qu’ils doivent avoir. Il nous faut donc spécifier à chaque fois dans quel sens nous employons tel mot, telle notion, telle catégorie, analyser quelle problématique, quel champ de questions ils ouvrent. Car un mot peut perdre sa valeur sémantique au cours des luttes pour l’hégémonie d’une vision du monde. Aussi la bataille politique ne se sépare pas de la bataille idéologique qui détermine la relation de la théorie et de la pratique, le sens d’une stratégie révolutionnaire. Se battre sur des mots c’est se battre pour la compréhension des contradictions concrètes, leur dévoilement ou leur refoulement. C’est vouloir opposer à l’illusionnement toujours efficace, la nécessaire traversée de la désillusion par quoi la vérité nous apparaît. Un mot ne signifie jamais par lui même, mais est compris dans un ensemble solidaire de concepts, dans la logique d’un discours qui fonde son sens. Chaque élément d’un discours est donc à analyser et à « interpréter » selon le texte d’ensemble, et le texte lui-­‐même doit être rapporté à son insertion dans le contexte social, dans les enjeux culturels, politiques, économiques.

A partir de quoi peut-­‐on tracer une ligne de démarcation entre telle et telle interprétation ? Déplacer notre point de vue qui permettra une élaboration théorique de la nature « différentielle » de notre position ? A partir d’une prise de parti dans le champ politique, et cette prise de parti ne se sépare pas d’une prise de parti idéologique qui va déterminer le champ théorique des concepts et leur fonction dans la pratique. C’est ce qu’Althusser désigne sous le concept de « coupure épistémologique ». Le jeune Marx passe d’une pensée encore prise dans l’espace théorique dominant, à une pensée théorique fondant son propre champ conceptuel en pratiquant une « coupure épistémologique ». La nécessité de cette coupure naît de la rencontre de Marx et Engels avec le capitalisme, avec la classe ouvrière organisée, la rencontre avec la lutte des classes et la question du communisme. Marx découvre une réalité entièrement nouvelle qui demande un remaniement des catégories afin de pouvoir en saisir la nouveauté et soutenir une pratique révolutionnaire. Il y a ainsi une dialectique spécifique, une bande de moebius qui lie pratique et théorie, où la théorie maintient l’écart entre idéologie dominante et idéologie révolutionnaire et où la pratique de la lutte des classes vient à chaque fois relancer, rectifier cet écart qui tend toujours à s’effacer au profit de la langue dominante. Cette vigilance théorique est donc vitale, elle nous sert de boussole dans la lutte politique. La théorie n’est pas séparée de la pratique mais en tant que « pratique théorique » (Althusser) elle fait partie du champ de la pratique.

Aussi ne pas spécifier le sens conceptuel, idéologique et donc politique des mots et catégories que l’on emploie, c’est céder le terrain. Il y a un travail de désengagement constant à faire pour marquer l’écart entre l’idéologie dominante et la théorie révolutionnaire. Ce travail de désengagement se fait à partir d’une position de classe spécifique, à partir des enjeux clarifiés des luttes que nous menons. La théorie de Marx ne se sépare pas du point de vue de classe du communisme qui lui fait redessiner tout le champ théorique dans lequel s’est déployée la pratique révolutionnaire.

Comprenons que la bataille idéologique qui soutient le travail des concepts est indispensable au mouvement féministe, comme au mouvement ouvrier. Comment en effet en appeler à la « liberté » à l’ « égalité », à la « démocratie » et à l’ « autonomie », à la « rupture » ou à la « reconnaissance » par exemple, sans se laisser capter par la manière dont ces catégories fonctionnent et sont toujours-­‐déjà-­‐interprétés dans un dispositif de pouvoir, si on ne détermine pas le lieu symbolique, idéologique d’où l’on parle, qui détermine leur sens politique ? Un sociologue, Philippe Corcuff, dans un article paru dans l’Humanité (1), remarquait que nous étions dit-­‐il « victimes » d’un « rapt » opéré par la droite sur les mots que la gauche employait et s’étonnait de la relative indifférence de cette même gauche. Il faut tout de suite rectifier. La gauche n’est pas « victime » de la droite. Elle est victime de sa propre incapacité à se situer clairement du point de vue idéologique et politique, et dans cette bataille pour l’hégémonie du discours, les mots ont perdu leur ancrage révolutionnaire. Si la gauche, est paralysée par le « politiquement incorrect » (Corcuff), c’est qu’elle a passé alliance avec la classe moyenne bourgeoise.

Nous sommes à ce moment de notre histoire où les luttes sociales et politiques en déclin, nous laissent en proie à la séduction du discours hégémonique, alors même que le développement du capitalisme se fait de plus en plus radical et violent, utilisant l’ordre patriarcal comme mise au pas des femmes. Mais on peut aussi dire que le mépris pour la théorisation c’est-­‐à-­‐dire pour la lutte idéologique dans le champ politique porté par la dite gauche (qui inclue le parti communiste), comme par nombre d’associations féministes, ont laissé le champ libre à la montée en force de l’idéologie petite-­‐bourgeoise qui soutient par son réformisme et son conformisme, la reproduction du patriarcat comme du capitalisme. Bien sûr, cela n’est pas conscient car on sait que l’idéologie se reproduit par sa prise avec l’inconscient et ses mécanismes de refoulement et de déni de la réalité. Mais enfin il faut reconnaître que les luttes féministes ont accouché en France, d’un Ministère du droit des femmes confortant l’ordre établi et le processus de normalisation loin de toute idée de subversion et de révolution...L’obsession de la reconnaissance juridique l’a emporté sur le mouvement politique. Nous couvrons notre aveuglement par notre foi en la « démocratie », dans l’ignorance où nous sommes de son fonctionnement, des intérêts qu’elle défend structurellement et non par manquement ou défaut. Cette ignorance est portée par l’idéologie petite-­‐bourgeoise qui tend à coloniser les partis, les syndicats et les mouvements populaires.

Dans un article de journal (2), Nancy Fraser avance l’idée d’une « ambivalence du féminisme » et essaie de montrer la manière dont le féminisme a été récupéré par le capitalisme neo-­‐libéral. Elle distingue trois formes de cette récupération :

a/ La lutte pour l’accés des femmes au marché du travail a développé en même temps la déqualification de la ft féminine et elle a favorisé chez les femmes l’expansion de l’idéologie de l’entrepreneur, de l‘autonomie et de la méritocratie qui légitime le capitalisme flexible.

b/ La critique de la vision exclusivement économique et politique de l’inégalité et de la violence faite aux femmes, a porté le féminisme a rejeter le politique et a glorifier le « personnel » : il se focalise maintenant sur la question culturelle de la construction du genre sans la lier à la question politique et économique

c/ Le rejet du paternalisme de l’ Etat a accompagné et favorisé le désengagement de l’Etat dans les programmes d’aides et de la lutte contre la pauvreté au profit de l’intervention privée, exemple le micro-­‐crédit

Ce qu’elle tente de mettre en lumière, c’est la manière dont une lutte juste peut se retourner contre les femmes et être récupérée par les processus concrets de développement du capital et et les formes idéologiques qu’il met en place. Le féminisme n’est pas ambigue par nature, mais ses luttes portent les contradictions du système dans lequel il se déploie. Le féminisme suit « l’esprit du temps » comme elle le dit. Notre faute de ne pas prendreau sérieux cet effet idéologique sur le mouvement, de ne pas prendre au sérieux la pratique de la lutte des classes, la pratique de la lutte pour la domination, et de n’avoir pas été attentives à cette logique de « récupération » qui fait la force de reproduction d’un processus et de l’appareil d’Etat qui le soutient. Cette force de reproduction s’appuie sur des structures spécifiques qu’Althusser a appelé les Appareils Idéologiques d’Etat (AIE) (3), mais aussi à travers tous les noeuds de pouvoir dispersés dans le corps social. Nous sommes intégrées dans ces noeuds de pouvoir. Plus même, nous en faisons activement partie, et participons à la jouissance d’y avoir malgré tout, une place. C’est ce « malgré tout une place » qui mobilise le consentement du sujet de l’idéologie, et l’aveugle sur les enjeux réels qui se jouent dans le concret, au-­‐delà de ce que le « social » agence comme apparaître .

Voyons comment les mêmes mots travaillés par un champ de forces, sont interprétés selon la conjoncture. Prenons l’énoncé fondateur du mouvement féministe : « Notre corps nous appartient ». Ce mot d’ordre avait un sens précis : assurer la libre disposition de notre corps, et cette affirmation comme l’écrit M-­‐J.Bonnet (4), ce n’était pas seulement le droit à l’avortement et à la contraception, « c’était la rencontre avec d’autres corps de femmes, la levée de la censure de la jouissance, le déplacement des frontières sexuelles opposant hétéro et homosexuelles, leur traversée... » c’ était, « la découverte par les hétérosexuelles d’un désir possible pour des femmes, la contestation du primat du phallus, la prise de parole individuelle et collective, l’essor de la subjectivité ». On le voit, cet essor de la subjectivité, cette affirmation d’un désir jusque là refoulé, est un effet de la position et de la pratique politique subversive du mouvement de libération des femmes. Elle émergeait de ce moment des luttes où la question révolutionnaire détermine sa poussée. Le mouvement féministe tentait de lier analyse spécifique de la domination patriarcale et luttes de classes, venait réinterroger tout le champ socio-­‐ économique, l’idéologie patriarcale qui constituait la pratique des militants dans les AG (assemblée générale dans les Universités), les partis, les syndicats et manifestait dans l’espace public la force de leur parole, parce qu’elles pratiquait entre elles l’exercice de la prise de parole.

La retombée des luttes et le recul de l’idéologie révolutionnaire, va favoriser une autre ligne de force qui est inscrite dans ce slogan. Non plus la subversion mais l’intégration. En effet dire « notre corps nous appartient », c’est l’inscrire d’emblée dans le régime de la propriété privée, qui est le régime dominant du mode de production capitaliste (MDC). Et dans le MDC, le sujet humain n’est déclaré libre qu’en tant qu’il est reconnu comme propriétaire de lui-­‐même et qu’il n’est plus la propriété de quelqu’un d’autre, comme dans la société féodale ou esclavagiste. Le sujet « libre » est celui dont la liberté est définie par la propriété privée, celui qui prend la la forme-­‐sujet-­‐de-­‐droit (Edelman). Et dans la pure logique du Droit, si je suis propriétaire de moi-­‐même, je suis douée d’un pouvoir faire « ce que je veux » de ma personne (avec bien sûr des batailles de restriction et de limitation de cette liberté qui voient s’opposer le Droit marchand au Droit qui relève du principe de « l’indisponibilité du corps », mais cette bataille reste sur le terrain du Droit bourgeois). Dans cette structure, le « ce que je veux » est la marque d’un choix dit « libre », mais cette liberté est toujours-­‐dejà engagée, entraînée dans un processus de marchandisation. Le « ce que je veux » est immédiatement traduit en valeur marchande : je peux vendre ma FT comme mon corps, mes organes, tout de moi-­‐même. Ainsi le pouvoir du « ce que je veux » porte en lui les excès même du capital et du libéralisme. Au moment même où j’affirme ma plus grande liberté, j’affirme ma plus grande soumission à l’ordre de la propriété privée. Si tout est propriété privée, tout peut se vendre et s’acheter. L’individualisme juridique accompagne et soutient l’individualisme économique qui fait du corps et de la Force de travail une simple marchandise. Le délire du moi qui se croît tout-­‐puissant préside à la mort du sujet.

Traduire « la libre disposition de notre corps » qui s’entendait comme essor de la subjectivité et de l’émancipation, puissance politique, en un « vouloir s’appartenir » comme inscription dans un droit de propriété, c’est occulter le vrai sens de nos luttes : se libérer de tout lien d’appartenance surtout à soi-­ même. Se désidentifier du régime de la propriété privée, se libérer de l’emprise idéologique de l’appropriation, pour s’établir sur le terrain d’une lutte révolutionnaire, d’un commun à constituer qui fonde un autre type de subjectivité.

Il n’y a pas de liberté en soi, mais la liberté est une pratique qui relève du type de reproduction d’un système et dont l’interprétation se trouve en prise avec la lutte des classes et les luttes d’émancipation. Les différentes classes sociales ne revendiquent pas la même liberté. Dés lors l’affirmation de notre autonomie que le slogan « un enfant quand je veux et si je veux » portait, devient sous la régime de la liberté entendue comme appropriation privée, l’affirmation d’une toute-­‐puissance sur soi excluante. Avec la biotechnologie cette affirmation ajoute « comme je veux ». Remarquons alors que la liberté revendiquée se renverse en absolue dépendance envers les biotechnologies de la procréation. Le « je fais ce que je veux » met en place un système où la liberté n’est que d’opposition et de rivalité, d’effacement de toute limite symbolique constituante, pour la course à la mise en représentation d’un narcissisme débridé, « libéré », qui s’appuie sur le pouvoir de tout acheter et de tout vendre. Cette marchandisation de la liberté profite à ceux qui ont de l’argent pour asservir ceux qui n’ont rien ou qui peinent à être reconnus. C’est ainsi que la GPA transforme le corps des plus pauvres en usine à produire des enfants et que la proposition de congélation des ovocytes par les grandes entreprises américaines fait miroiter aux yeux des femmes la possibilité d’être libres et de réussir dans l‘entreprise à l’égal des hommes. Ce qu’ils appellent le « rééquilibrage des genres ». Manière pour ces entreprises en s’emparant du corps de femmes de contourner la question de l’égalité des salaires et de dénier la maternité. C’est aussi mettre les femmes en concurrence et les intégrer au système. C’est à ce point de captation idéologique que la prostitution peut s’affirmer comme relevant non pas d’un système d’exploitation mais de la liberté individuelle.

Le discours de l’autonomie va dans le sens de la jouissance du sujet de se croire libre de toute entrave, de penser qu’il a ainsi déjoué les contraintes et les déterminismes qui le constituent. Ce discours démultiplie la possibilité d’exploitation et de marchandisation du capitalisme en accentuant un individualisme atomiste qui, à la question de la libération préfère la question de la reconnaissance de son identité, de ses besoins, de ses désirs et fait appel à une « théorie de la justice » plutôt qu’à une théorie de la révolution. L’autonomie revendiquée par le MLF était là encore l’affirmation d’une position subjective et la possibilité de constituer une pratique politique libre de la main mise des institutions et trouvant ses propres assises dans la construction d’un commun des femmes qui soit invention politique. C’était vouloir arracher la sphère de l’intime à l’emprise de l’appropriation privée sur le corps des femmes. Elle s’inscrivait dans une lutte collective qui ouvrait un espace de constitution de soi non pas comme rejet de l’autre, mais comme rencontre avec l’autre. C’était pouvoir penser et lutter par soi-­‐même. Le « par soi-­même » relève d’une rencontre avec cet autre sans lequel je ne peux me reconnaître moi-­‐même comme autre, c’est-­‐à-­‐dire comme singulier et avec l’ensemble des conditions dans lesquelles je suis immergé. Comment puis-­‐je parler s’il n’y a pas une oreille pour m’entendre ?

Depuis le reflux des luttes et la restauration bourgeoise, L’égalité, la liberté comme l’autonomie, quittent le champ de la politique pour se revendiquer au niveau des « parts » qu’il nous reviendrait d’avoir, de récupérer, dans le champ juridique de la représentation (ex.la parité), dans le champ de la politique et de l’économie. Les femmes comme les homosexuels veulent faire comme tout le monde, se couler dans l’invisibilité de la norme dominante. L’égalité se transforme en égalitarisme et indifférenciation. L’autonomie, la liberté de faire ce que l’on veut devenues une idéologie officielle, cachent ainsi la question du champ structurel et du type d’aliénation qui les gouvernent. Dés lors la revendication de l’inscription juridique, c’est-­à‐dire de droits attachés à la personne, prend le pas sur le mouvement politique de libération. Non pas que cette inscription ne soit pas nécessaire. Mais elle est « un moment dans » et ne saurait, comme le remarque M‐J.Bonnet à propos de l’homosexualité, « être la clef de voute » de la reconnaissance de l’homosexualité comme de la place des femmes dans la société. Le Droit ne garantit rien comme on le voit sur la question de la contraception et de l’avortement. Il est lui-­‐même constitué dans l’idéologie patriarcale. Ce qu’il va inscrire dans la pratique et le juridictionnel dépend du rapport de force politique que nous pouvons imposer. Mais ce que l’on gagne au niveau du Droit peut être effacé au niveau de ses applications concrètes. C’est donc l’ensemble socio-­‐économique qui est à considérer.

La lutte contre les discriminations que l’on porte au niveau juridique, n’empêche pas l’exploitation de l’homme par l’homme, n’empêche pas les sociétés de se construire sur les discriminations. S’en tenir au Droit c’est reconnaître la légitimité des institutions telles qu’elles fonctionnent. Et telles qu‘elles fonctionnent, elles reproduisent en dernière instance les structures et processus de domination. S’en tenir au Droit c’est aussi privilégier un régime de sanctions. Les sanctions n’ont jamais fait évoluer une société, ni les « mentalités ». Ce sont des points d’alerte, des limites activées mais toujours allègrement dépassées. A force de sanctions, on fige un problème jusqu’à l’impuissance parcequ’on évite de poser la vraie question, celle de changer les fondements socio-­‐économiques, idéologiques et culturelles d’une société toute entière. Il s’agit alors de passer d’une conception statique qui finit par engendrer haine et frustration, à une conception d’une puissance en mouvement qui construirait un commun des luttes avec les femmes et les hommes.

Car les droits que nous avons acquis ont pour tendance de rester lettre morte, face à la force de la structure de domination, face au processus capitaliste. Comme le dit Geneviève Fraisse, les droits sont éminemment « réversibles ». On aura beau revendiquer des droits et l’égalité, la dernière instance qui déterminera le pouvoir d’exister c’est la lutte politique qui excède le droit à, et pose la question de la survivance ou de la destruction d’une structure politique qui fait du Droit même sa force de récupération, en légiférant pour son propre compte. C’est par cette lutte que nous pouvons constituer la seule reconnaissance qui vaille, celle de notre capacité à transformer notre servitude en libération. Ainsi passerions-­‐nous de la seule considération de notre misère, à la production d’une dynamique politique.

Cette libération du patriarcat, si on ne veut pas qu’elle se transforme à chaque fois en un nouvel asservissement et en simple intégration au processus du capital comme nous le voyons année aprés année, doit penser sa pratique en lien indissociable avec la lutte des classes. Les classes sont elles-­‐mêmes structurées dans l’ordre patriarcal, aussi la lutte pour la libération des femmes ne peut se poser comme une donnée extérieure que l’on devrait « relier » à la lutte des classes, mais elle doit être au fondement d’une pratique révolutionnaire. Elle doit « surdéterminer » le sens et la pratique des révolutions prolétariennes en travaillant à préserver le “devenir révolutionnaire des gens“ c’est-­‐à-­‐dire à accélérer la transformation de la subjectivité des hommes comme des femmes en défaisant les structures d’emprise de la domination des hommes sur les femmes (Capannori). Car il est nécessaire de rappeler que le mouvement féministe ne s’oppose pas aux hommes en tant que tels, mais à un système qui détermine une relation d’inégalité entre les hommes et les femmes et une domination des hommes sur les femmes où les hommes s’ils en jouissent, subissent en même temps une mutilation de leur propre devenir.

Des droits acquis ne fondent pas une subjectivité. Ils distribuent des places, des compensations, des possibilités, ils donnent des espaces de liberté, d’activité, et des pouvoirs de... revendiquer. Ils peuvent servir de point d’appui pour une résistance mais ils ont pour finalité de cadrer, de limiter, de normaliser dans un système de domination. Ils n’ont pas pour vocation de subvertir une structure, mais de permettre sa reproduction en l’améliorant selon la conjoncture politique, les rapports de forces, l’évolution des moeurs. Ces améliorations sont nécessaires et vitales, et la lutte pour les droits restent des avants-­‐postes de la résistance, mais elles fonctionnent aussi comme
aveuglement sur la dernière instance dans laquelle elles s’inscrivent, les rapports de domination...Aussi le passage d’une constitution affirmative de la politique comme force d’un mouvement autonome et subversif (bien que grevé de contradictions parce que travaillé, divisé par l’idéologie dominante), à la revendication majoritaire d’une reconnaissance juridique comme intégration dans un système de pouvoir, a eu pour effet de nous rendre de plus en plus invisibles et négligeables. Les associations se sont multipliées mais pas notre pouvoir de rassembler dans une lutte réellement révolutionnaire sans laquelle l’appel à l’émancipation reste pur appel désespéré et sans effet sur la structure. Comme l’écrit Andrea d’Ati « ni l’intégration à la démocratie capitaliste du féminisme de l’égalité le plus réformiste, ni les résistances contre-­‐culturelles du féminisme de la différences n’ ont pu éviter qu’en dépit d’un plus grand accès des femmes aux lieux de pouvoir et la conquête des droits démocratiques élémentaires, la violence et l’oppression qui s’exercent à l’échelle globale sur des centaines de millions de femmes ne continuent à se reproduire allant même en s’intensifiant »(5)

Comment comprendre l’emprise aussi efficace d’une idéologie qui nous condamne pourtant à l’impuissance avec son cortège de pathologies quotidiennes ? On ne peut comprendre cet « efficace » des idées, qu’en en comprenant leur fonctionnement concret. Ce qu’Althusser a essayé de théoriser sous le concept d’Appareil idéologique d’Etat qui leur donne leur « force matérielle ». Qu’en éclairant en même temps le rapport de l’idéologie à l’Inconscient tel que Freud le conceptualise comme appareil psychique. C’est en mettant au jour la relation dialectique entre pulsionnel et idéologie, leur nouage structurel que l’on peut saisir la manière dont l’idéologie dominante travaille avec le désir et la jouissance, se modèle sur la fragilité constitutionnelle de l’individu humain et fabrique le sujet dont elle a besoin.

Marx remarquait que les luttes de la classe ouvrière, lorsqu’elle se laissait séduire par l’idéologie petite­‐bourgeoise des couches moyennes, trouvaient leur limite en dernière instance dans ce qu’il appelait le « fétichisme de l’Etat ». Et ce fétichisme prend la forme de ce que l’on peut appeler l’ « illusion démocratique ». Cette illusion relève de la croyance en une neutralité constitutive de l’Etat qui pourrait fonctionner au profit de telle ou telle majorité sans que l’on ait à toucher à sa structure d’appareil, à remettre en question son existence même. D’où l’éternelle réclamation de la gauche de plus de démocratie, plus de justice. Mais un « plus de « fonde-­‐t-­‐il une démocratie « véritable » si on ne touche pas aux racines de ce qui fonde la démocratie bourgeoise et son appareil d’Etat, les rapports de production, l’appropriation privées des moyens de production ? or les communistes eux-­‐mêmes finissent par avancer qu’il n’y aurait pas besoin de poser la question de qui détient la propriété du capital, mais qu’il suffit de poser la question de la gestion et des objectifs économiques. Où l’on voit qu’ à l’ illusion démocratique est attachée l’illusion économiste et gestionnaire que nous héritons de la classe dominante : nationaliser, étendre le pouvoir des travailleurs dans l’entreprise, instaurer des coopératives et de l’autogestion, permettraient à la démocratie de s’étendre naturellement sans que l’on ait besoin de poser la question de l’Etat et des rapports de production, ni la question des luttes antagonistes que cela implique et donc la question spécifique de la stratégie politique. Cette conception linéaire d’un processus historique efface, lisse le « tranchant » du mot communisme que Badiou évoque (6), qui est le tranchant du déplacement, de la rupture que ce « mot » nous demande d’effectuer.
Marx a combattu en son temps et contre Proudhon entre autre, l’illusion économiste de la révolution qui la réduit à une « évolution » qui se passerait de toucher à la structure étatique. Le fétichisme de l’Etat se déploie sur le déni de sa constitution et de sa fonction réelle. Il fait de la démocratie un idéal sans vouloir comprendre que la démocratie dans un système bourgeois, c’est d’abord un système spécifique de dénégation en dernière instance de la lutte des classes, une protection de la classe bourgeoise, un leurre qui permet au capital de s’avancer masqué jusqu’à ce qu’il puisse jeter le masque parcequ’il aura gagné. C’est un appareil politique et idéologique propre à contenir, à faire dévier tout processus révolutionnaire. Si ce fétichisme de l’Etat tient aussi bien, c’est qu’il répond à la peur qui nous habite de perdre le peu que l’ on a même si l’on nous dépouille. Peur du vide, d’être sans protection, le fétichisme de l’Etat répond à notre désir d’être garanti par un grand Autre qui prendrait soin de nous quitte à avoir sur nous un droit de vie et de mort. Mais ce fétichisme rappelons-­‐le n’est pas spontané, il est tout entier construit par la classe au pouvoir.

L’illusion démocratique est ainsi appelé à se développe au fur et à mesure que l’horizon de la révolution se ferme depuis entre autre, l’écroulement de l’URSS. La gauche ne se réfère plus à la révolution d’octobre ni au communisme, mais désormais à la révolution française, à l’Etat des trente glorieuses et à la résistance, à Jaurés... Un tel discours s’intègre dans le discours du pouvoir, occupe le même terrain et voit ses revendications de réformes soutenir l’ordre social dominant, en en dénonçant simplement les excès ou l’incapacité. La « gauche » développe une idéologie naturaliste qui fait de l’Etat d’avant le neo-­‐ libéralisme un Etat de droits acquis et donc désirable en soi. Au capitalisme financier, on veut opposer le capitalisme industriel. Mais s’il y a lutte d’intérêts entre différentes formes du capital, du point de vue du processus général le capitalisme industriel est intrinsèquement lié au capitalisme financier puisqu’il est extraction de plus-­‐value qu’il faut « placer ». Le capitalisme financier n’est que la manière nécessaire dont le capital se sert pour surmonter ses crises. Comme le dit Marx, le capitalisme est contraint de s’élargir et de se transformer pour survivre et il imbrique plusieurs formes d’exploitation en même temps.

L’Etat des nations, l’Etat démocratique s’est constitué pour le service du capital. La révolution française c’est cela. La liberté que nous y avons acquise y est indissolublement attachée à la liberté de se faire exploiter. Ne l’oublions pas. Et le service public est un service de l’Etat bourgeois. Les services publics ont correspondu à un moment donné du développement du capital. Après la grande dépression et les deux guerres il y eut nécessité de reconstruire la production et le marché qui va avec. Il fallait constituer une masse de sujets consommateurs, donc soutenir la Force de travail, mettre en travaux des bâtiments, des machines, des voies de communication. Certes, la classe au pouvoir a accordé des droits sociaux sous la poussée des luttes ouvrières, mais aussi parce qu’il y trouvait un intérêt (voir Roosevelt). Intérêt économique, mais aussi idéologique et politique : intégrer les masses dans ses institutions dites démocratiques pour mieux les contrôler, travailler à effacer l’idéologie révolutionnaire au profit du seul idéal démocratique, la chute de URSS et la chute du mur de Berlin vont dans ce sens. C’est dans cette visée que s’est construite l’Union Européenne et l’euro. En s’orientant dans la seule perpective d’élargissement et de conquêtes de droits on laisse l’Etat et le super Etat qu’est l’UE, renforcer sa structure.

Si la théorie Althussérienne des AIE a été tant combattue et déniée, c’est qu’ elle y démontre comment partis et syndicats dits d’opposition en font partie, comment ils ont pour fonction dernière de reproduire l’idéologie et l’ordre dominants, même s’ils sont traversés par la lutte des classes et s’ils contribuent à maintenir une conflictualité nécessaire. Une conflictualité qui n’a jamais remis en cause les rapports de production ni l’Etat. C’est pour cela que les contre-­‐réformes peuvent se faire sans explosion même s’il y a résistance. Disons plus, la notion de « résistance » vient aujourd’hui à la place de la question révolutionnaire. Comme le rappelle Andrea d’Ati certaines revendications féministes furent prises en compte dans des organismes comme la banque mondiale ou le FMI, destinées à prendre en charge la « question féminine ». « En échange de reconnaissance » dit-­‐elle, un certain féminisme accepta de s’intégrer en troquant sa propre radicalité pour la « légalité » de la démocratie bourgeoise. Cette idéologie est aujourd’hui dominante dans les associations qui luttent pour le droit des femmes en laissant tomber la lutte pour la révolution. Mais elle est aussi dominante dans le mouvement homosexuel qui de subversif, s’est peu à peu normalisé autour d’une revendication de reconnaissance juridique, à travers les conquêtes sociales du mouvement gay, comme le montre M-­‐J. Bonnet

La logique juridique s’est imposée à toute la gauche dans le sillage de l’écrasement et de l’encadrement des luttes sociales et de la classe ouvrière. Le regroupement mondial du capital est une réponse aux luttes anticapitalistes des années 68. Mais elle était déjà inscrite dans la 1er guerre mondiale et la fin de la 2e guerre mondiale d’où naît la nécessité européenne d’hégémonie du capitalisme contre toute possibilité d’expansion du communisme. Si l’Etat-­‐ providence répond aux besoins du capitalisme industriel après la 2e guerre, l’Etat libéral répond à la crise politique des années 68 et à la crise économique de 1980. Le libéralisme économique c’est la recherche d’un profit hors sol, mais avant tout une attaque de la classe ouvrière et des masses salariales pour les diviser, les fragmenter et les mettre en concurrence de manière féroce. La dépréciation de la FT de travail des femmes comme leur maintient sous tutelle fait partie de cette mise en concurrence auquel les hommess se laissent prendre. Le libéralisme financier mondial est la forme actuelle de son déploiement, mais ses formes esclavagistes, marchandes, industrielles et financières sont imbriquées. Telle ou telle forme sera surdéterminée selon la nécessité géographique et le développement des nations. Le capitalisme a besoin de l’inégalité de développement et de la mise en opposition pour se ressourcer à chaque fois qu’il est menacé.

Ne sommes nous pas contraintes par la réalité du retour périodique de la reconquête par le capital et le patriarcat du terrain conquis par les luttes, de poser non plus la question de la démocratie (cette question a perdu son sens dans la polysémie de ce qu’elle signifie) mais celle du communisme comme seul « mouvement réel » pour sortir du capitalisme et comme seule forme pratique de la démocratie « véritable » ? Ce mouvement ne saurait se faire sans se confronter au « problème » de l’Etat tel que Marx le pose. Car l’Etat bourgeois n’est pas la solution mais bien tout le problème. On réclame partout de « véritables » services publics. Mais le mot « véritable » n’est-­‐il pas antinomique de la notion de « services publics » c’est-­‐à-­‐dire de services attachés au fonctionnement de l’Etat ? C’est bien pourquoi la Commune de Paris tirant la leçon de ses défaites, s’est établie dans un autre espace politique que celle de la bourgeoisie, instaurant une organisation sociale entièrement nouvelle, du peuple pour le peuple. Elle échappe ainsi à la bipolarisation de la démocratie bourgeoise entre droite et gauche. Dés lors, comme nous le dit Marx, elle a donné le sens des révolutions prolétariennes, qui n’est pas de faire fonctionner l’Etat à leur profit, mais de briser la machine d’Etat.

L’ Etat ne peut « garantir » nos droits, ni garantir l’émancipation des femmes, il n’est tenu par aucune « obligation légale ». Toute légalité renvoie avant tout à un rapport de forces, aux intérêts de la classe au pouvoir qu’elle défend. Posons-­‐nous la question : une émancipation qui serait avant tout libération, a –t-­‐elle besoin d’une garantie si elle brise l’appareil d’Etat qui la maintient sous tutelle ? La garantie est toujours appel à un grand Autre sous l’autorité duquel on se range. La réversibilité comme effet de la lutte des classes, qui est inscrite dans le statut des droits acquis, démontre l’impossibilité de toute garantie. Nous avons malheureusement interprété le mot « acquis » dans son sens idéaliste et juridique, en le confondant avec « impossible à remettre en question », inscrit comme « droit naturel » donc inébranlable. Alors qu’il faut lui redonner son sens politique. Acquis, c’est-­‐à-­‐dire « obtenu de haute lutte », mais précaire parce que toujours susceptible d’êre remis en question. Aussi, rappelons-­‐le,ce que nous ne cessons de réclamer, l’”extension” de la démocratie ne change pas la nature de la démocratie ni celle de la structure patriarcale. (Capannori)

Il nous faut donc quitter l’illusion que nous pourrions instaurer une démocratie véritable par la seule vertu de la lutte pour des droits, sans poser les enjeux concrets, économiques c’est-­‐à-­‐dire de structure dans laquelle elle s’inscrit. A partir de quel champ de pensée une pratique révolutionnaire peut se développer, à partir de quel point d’appui idéologique et politique peut-­‐elle allier intensivité et extensivité ? A partir d’une position féministe et communiste où le féminisme ne serait pas ajout mais condition de fondation. Communisme veut dire suppression de la propriété privée des moyens de productions, dépérissement de l’Etat non par lente agonie au fur et à mesure de l’extension des droits, mais par décomposition et destruction. La pensée du communisme qui est le mouvement de l’abolition de l’emprise structurelle d’un groupe sur un autre, d’une classe sur une autre intègre la destruction du patriarcat comme son moteur politique et fondement d’une pratique de l’émancipation de l’espèce humaine. Par suite, s’en tenir à un mouvement féministe dit « européen » est une aberration, c’est penser avec les mots du capitalisme et reproduire la division geopolitique qu’il nous impose, alors qu’un processus révolutionnaire ne peut se revendiquer que de l’internationalisme.

La constitution de l’UE a été conçue par et pour le capitalisme financier au sortir de la 2e guerre mondiale. La France avait dit non à l’euro de Maastricht. le gouvernement français pro-­européen est passé outre. Depuis tous les partis de gauche qui avaient dit non, se sont mis à croire à l’Europe dans l’illusion d’une Europe réformable puisqu’ils y ont consentie et qu’ils en reçoivent une aide en conséquence. D’où l’on voit la justesse de la théorie althussérienne des AIE.

En 2005 le mot d’ordre des altermondialistes et de la GUE, c’était l « l’autre Europe commence à émerger », on croyait qu’elle était pour demain. La gauche pensait que l’Europe pouvait être présentée comme une « puissance alternative » et qu’à partir de là, on pouvait imposer un nouvel internationalisme. Or en ne dénonçant pas la constitution même de l’UE et en se contentant de lister les droits réclamés, de vouloir « limiter » tels ou tels excés sans vouloir la quitter, la charte de la gauche montre son acceptation d’emblée de la construction européenne, telle qu ‘’elle a été construite par la bourgeoisie financière mondiale pour étendre ses intérêts. Fermant les yeux sur la réalité, nous reproduisons au niveau européen le même fétichisme de l’Etat et la même illusion démocratique qui permet aux forces du capital de nous laisser aligner indéfiniment des textes de lois, sans changer sa ligne de force. Nous en voyons aujourd’hui le résultat, résultat dont les forces de gauche sont elles-­‐mêmes responsables, mais les peuples paient trés cher ces alliances et compromissions d’appareils. La confusion idéologique est alors à son comble et c’est le FN, les forces fasciste et nazis qui ramassent la mise. Dans ce chaos, l’obscurantisme religieux y trouve une nouvelle légitimité. Des forces révolutionnaires ne peuvent pas lutter efficacement en restant dans l’union européenne. Ses instances sont verrouillées et c’est logique. Telle est la lutte des classes et les rapports de force que nous sous-­‐estimons. Bien plus, y prendre place c’est déjà abdiquer. Un internationalisme des peuples en lutte ne se constitue pas à partir des institutions créées par la bourgeoisie et le capitalisme. Bien au contraire, elles servent de leurre. Une « autre Europe » veut dire nécessairement une Europe des peuples se constituant hors Union Européenne et contre elle.

En effet, que voyons-­‐nous de l’UE ? On disait qu’elle protègerait la paix ? son alliance de base avec les intérêts USA l’amène à propager la guerre et à soutenir les régimes les plus corrompus de la planète, à museler avec violence la voix des peuples, à mentir sur ses véritables intérêts pour endormir les opinions publiques. Chantage, trucage, extension des guerres qui ne disent pas leur nom et se font au nom d’une intervention humanitaire et démocratique, destruction des Etats, restriction des libertés et armement au nom d’une protection contre le terrorisme que l’occident a entretenu, extension de la pauvreté et ravage écologique. L’UE est devenu un vaste marché de déplacements de la FT qui ainsi se trouve corvéable à merci. La dureté de l’ exploitation et la dévaluation du travail des femmes est telle que les femmes de l’Est par exemple en dénient sa valeur libératrice et préfèrent revenir aux traditions familiales(4).Dans la précarité galopante, elles sont celles qui sont les plus menacées mais aussi celles qui doivent en dernière instance tenir le coup, assurer la quotienneté de la survie. L’islamisme radical est un prétexte pour un impérialisme de plus en plus fou.

Le nouveau partage du monde que l’UE soutient avec les USA, l’a poussée aux sanctions contre la Russie à propos de la Crimée et de l’Ukraine. Or on sait le secret de ces sanctions : étendre sans fin l’hégémonie du capitalisme européen et etats-­‐uniens pour contrôler le pétrole et le gaz, sauver le dollar comme monnaie unique d’échange, avoir le monopole des armes. En France, devant le silence et les mensonges éhontés des médias (gauche comprise), nous avons été quelques unes à lancer une pétition contre la stratégie d’isolement et de condamnation de la Russie qui laisse aujourd’hui dans l’ombre la lutte contre le fascisme des femmes et des hommes du Donbass, jusqu’à vouloir les isoler de manière criminelle. Il ne s’agit pas pour nous de cautionner le capitalisme que le gouvernement russe favorise, mais de prendre parti et de dénoncer une une guerre géopolitique pour le partage de la domination du monde où il nous faudra au contraire nous lier aux luttes des peuples sans distinction.

Lutter contre la mondialisation financière du capital ne veut pas dire vouloir revenir au capitalisme industriel et national dont on pense encore, dans un attachement farouche à notre aveuglement, qu’il pourrait être démocratisé, mais reprendre une souveraineté nationale en franchissant la limite que l’idéologie assigne au mouvement ouvrier et au mouvement féministe en luttant, non pas du point de vue de la démocratie bourgeoise mais du point de vue du communisme. Lutter ne veut pas dire simplement s’opposer ou résister, c’est en même temps et nécessairement construire un mouvement révolutionnaire internationaliste qui s’ancre et puisse soutenir les mobilisations locales et nationales en ouvrant une perspective politique. La lutte pour les droits sociaux intègreraient alors une autre dimension, celle d’un mouvement qui nous donneraient la puissance qui nous manque. Ce mouvement se veut « autonome » comme le fut le mouvement ouvrier à sa naissance et qui lui a donné sa force. Cela veut dire qu’il revendique d’être une puissance en construction en-­‐ dehors de toute allégeance à un parti ou une structure autre que celle qu’il se donnerait et qu’il serait un mouvement construit dans une non-­‐mixité ouverte et en dialogue puisque nécessairement liée .à toutes les manifestations d’opposition et de soulèvement. Sans mouvement autonome, les luttes des femmes se noient dans les institutions qui les subventionnent et se trouvent récupérées dans les partis et syndicats pour lesquelles elles ne servent que de force d’appoint. L’autonomie nous confronte à notre responsabilité d’avoir à travailler par nous-­‐mêmes, avec nos propres moyens. Cela ne veut pas dire ne pas créer des alliances, des soutiens ou des moments d’intervention dans les institutions, mais il s’agit pour nous de ne pas en dépendre. La sagesse populaire dit « nécessité fait loi ». A nous confronter à l’éternel recommencement de nos impasses et de nos défaites, force est de constater que la révolution ne relève pas de l’utopie mais de la nécessité.


(1) Philippe Corcuff in L’Humanité
(2) Nancy Fraser in
(3) L.Althusser, Ideologie et Appareils ideologiques d’Etat in Sur la
reproduction
(4) M-­‐J.Bonnet, Adieu les rebelles, ed.Flammarion
(5) Andrea d’Ati, article paru dans CCR,22mars 2012)
(6) A.Badiou

NB La mise en gras de phrases structurantes est d’AELP