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Cohésion ? Réduire les deux fractures sociales en France ! C Delarue

vendredi 17 juin 2011, par Amitié entre les peuples

Cohésion ? Réduire les deux fractures sociales en France !

Pas de « contrat social » viable sans ces réductions.

13 nov 2010 repris le 17 juin 2011 avec une introduction modifiée

Les « Indignés » entament ce printemps 2011 une lutte de légitimité face à la caste politique trop soumise aux puissants. Ils proclament haut et fort : nous sommes le peuple. En fait ils ne sont ni le peuple tout entier ni même le peuple-classe mais simplement la flèche avancée qui réclame le pouvoir démocratique à ceux qui le confisquent depuis longtemps pour ceux ne l’ont pas, y compris lorsqu’ils votent. La démocratie c’est pour reprendre la formule de Lincoln « le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple ». Les banquiers et politiciens doivent donc cesser de gouverner contre le peuple et à la place du peuple. De nouveaux rapports démocratiques doivent être inventés.

Dans son livre sur Les dettes illégitimes (Raison d’agir) François Chesnais explique que le pouvoir de la finance a connu une parenthèse au cours du XX ème siècle. A la sortie de la seconde guerre mondiale, il a fallu reconstruire la société matériellement avec de grandes entreprises nationales mais aussi socialement. Il fallait aussi « faire société ». Pour ce « vivre ensemble » là le secteur public nationalisé et en position de monopole, les services publics et la Sécurité sociale ont constitué de gros outils constructeurs à commande politique face au privé et au marché. Aujourd’hui, on peut remarquer avec le retour du pouvoir de la finance, qu’il y a incompatibilité entre l’Etat social (nommé Etat Providence) et pouvoir des grands actionnaires, des grandes banques privées et des groupes d’assurance privée. Sous couvert d’universalité et de droits sociaux pour tous, l’Etat social constitue en fait un effort de la Nation pour satisfaire les besoins du peuple-classe (plus de 90% de la population) en bridant les intérêts prédateurs de la classe dominante, qui elle ne veut pas de cet Etat et de ces droits. C’est là un aspect souvent oublié. Le Conseil national de Résistance n’a certes pas crée le socialisme entre 1945 et 1975 . Il ne faut pas mythifier la période, notamment sur le rapport impérial avec les colonies. Mais il a réussi à construire une République sociale contre le capital. Cet Etat social est en cours de démantèlement. Les inégalités sociales s’accroissent. La cohésion sociale vole en éclat.

Paradoxalement, dans le discours des élites, le thème idéologique de la lutte « contre les exclusions » (1994) a cédé peu à peu la place à celui sur la cohésion sociale. La division exclus-inclus cachait mal une vision conservatrice selon laquelle tous les inclus - au chômage ou précaires ou employés - « n’avaient pas à se plaindre ». Elle ne voyait pas non plus les processus de désaffiliation du fait de la perte progressive des statuts protecteurs de l’emploi, du logement, de l’accès aux droits de façon générale. Pour autant depuis que l’on évoque la « cohésion sociale » la question de la pauvreté (1) perdure et celle des inégalités sociales aussi . Ces dernières s’accroissent et forgent de nouvelles fractures sociales.

Avant de proposer des perspectives politiques il convient de se mettre d’accord sur un constat. N’y a-t-il pas plutôt deux fossés qui clivent la société française ? Le premier serait celui entre la bourgeoisie et le peuple-classe et surtout et plus encore le bloc social des moins de 3000 euros net par mois. Le second serait entre les quartiers laissés à l’abandon et les quartiers-lotissement. Sous l’effet du développement inégal et combiné du capitalisme, une fracture sociale se double souvent d’une fracture territoriale.

1) LA FRACTURE D’EN-BAS : Le fossé social et territorial entre les quartiers laissés à l’abandon et les quartiers-lotissement .

Suite : Conférence sur les quartiers populaires à Angers (doc joint)

Les quartiers-lotissement ne sont pas toujours des quartiers de cadres aisés mélangés avec des professions libérales riches voire les quartiers des riches bourgeois comme dans le 92. Il peut s’agir de quartiers populaires modestes avec des couche sociale moyennes inférieures plus proche du revenu médian ou moyen. L’essentiel à remarquer ici est que le chômage y est moins important mais aussi et surtout qu’ils sont relativement « soignés » par les politiques qui pratiquent une sorte de « clientélisme électoral ». Les couches sociales dites « moyennes » sont en effet l’objet d’une attention des élus de droite et de gauche modérée en compétition électorale pour former un bloc socio-politique le plus large possible autour de la classe dominante.

Les quartiers de relégation connaissent eux une « situation à l’américaine » (le côté laid des USA) car ils n’ont plus de services publics dignes de ce nom, plus de HLM mais un fort taux de chômage (à deux chiffres) avec des familles ou les deux parents sont au chômage ou en travail précaire et avec des bas salaires inférieurs au SMIC. Comment voulez-vous qu’avec une telle situation il n’y ait pas de la délinquance en tout genre, de la violence urbaine ?

C’est une situation explosive qui n’a que peu à voir avec l’islamisme pro charia qui peut probablement s’y développer et aggraver la situation. Il y a d’ailleurs une vie sociale positive dans ces quartiers abandonnés qui n’est guère soulignée. Il ne faut pas vouer ces quartiers à une stigmatisation sociale qui n’arrange absolument rien bien au contraire puisque cela crée de la rancœur et de l’agressivité latente en retour.

Ce qu’il faut ce sont des politiques publiques actives donc des missions de service public, des personnels et des budgets. Les fonctionnaires doivent être volontaires pour travailler dans ces quartiers. Des primes peuvent ici se justifier.

2) LA FRACTURE D’EN-HAUT : Le grand fossé entre la bourgeoisie et le peuple-classe résiduel et surtout le bloc social à moins 3000 euros net par mois.

Dialectique dynamique : Il est préférable d’évoquer d’abord une dynamique économique et sociale globale en terme d’appauvrissement. Attention, un appauvrissement ne signifie pas être devenu pauvre. Le processus ne dit rien d’un état il pointe juste le sens de ce qui se produit. En l’espèce, et sur plusieurs années, on (Michel Husson notamment) a constaté un appauvrissement d’une majorité du peuple donc non seulement les employés et ouvriers mais aussi les couches moyennes, les cadres et techniciens. Cet appauvrissement se combine avec l’enrichissement d’une minorité, celle d’en-haut. Il y a là une dialectique conflictuelle sous-jacente.

Cette combinaison appauvrissement-enrichissement met fin à la « moyennisation » de la société. Il existe toujours des couches sociales dites moyennes mais elles ne voient plus leur sort comme ascendant et sécurisé. Certes, des jeunes sont bien dans « le travailler plus pour gagner plus » et réussissent - et c’est heureux au moins pour eux - ainsi à acquérir un niveau de vie dont ils sont satisfaits et parfois fiers mais ce phénomène est réduit. En fait l’ascension globale de la couche moyenne est terminée. Elle subie elle aussi l’inflation, le chômage, la précarité, les salaires qui augmentent pas ou peu.

Philippe Perrenoud (2) écrit en 1994 à partir d’une sociologie de l’éducation : « Les inégalités demeurent, mais reconstruites à un niveau supérieur, selon l’image de l’échelle dans l’ascenseur : elle monte, mais reste une échelle. En matière de scolarisation, même phénomène : la durée des études s’allonge, les niveaux de formation s’élèvent, mais l’inégalité se rétablit à un niveau supérieur. Au cours des années 1960, un tiers des jeunes entraient directement sur le marché du travail au sortir de la scolarité obligatoire. Aujourd’hui, une grande majorité restent en formation jusque vers 18 ou 20 ans. Que cela ne masque pas les hiérarchies, ni l’inégalités des chances devant l’emploi et les emplois ! » Cela est vrai.

Par contre il importe de relativiser beaucoup l’assertion qui suit de l’auteur : Les « nouvelles classes moyennes » ne tiennent pas leur statut de la propriété (comme les artisans et petits commerçants), mais du niveau de formation : travailleurs sociaux, enseignants, spécialistes des soins infirmiers, travailleurs de la publicité ou des medias, cadres moyens, métiers universitaires les moins bien situés". Effectivement le niveau de qualification issu des formations universitaires a construit un salariat plus aisé que celui moins qualifié. Mais au moment même ou l’auteur publiait son texte on remarquait un fort déclassement social et pour être plus précis une forte difficulté des étudiants à obtenir un poste de travail équivalent à leur qualification scolaire et ce tant dans le privé que le public. Le nombre très important d’étudiants titulaires d’une licence se retrouvant dans la fonction publique comme contrôleur catégorie B et non inspecteur catégorie A est d’ailleurs bien antérieur à 1994. En outre dans les années qui vont suivre l’ensemble de ces couches sociales restent à un niveau modéré de salaire quoique variable alors que les hauts cadres connaissent l’envolée des augmentations de revenus.

Autre précision : Lorsque l’on porte le regard sur le niveau de qualification et le niveau de salaire on doit parler de couche(s) sociale(s) moyenne(s) et non de classe sociale moyenne puisque l’on évoque une dynamique dans une vision stratifiée de la société. Si l’on veut parler de classe sociale c’est que l’on met l’accent sur le statut de salarié et plus encore sur une conflictualité cachée . En effet, il faut remarquer que c’est l’ensemble des employés, ouvriers, techniciens et cadres qui subissent plus qu’auparavant l’intensification du travail (surtout depuis les 35 heures ) sans véritable augmentation des salaires.

Ici on noue le lien de cause à effet entre l’enrichissement de la minorité d’en-haut et l’appauvrissement du reste de la population. Pour l’essentiel c’est la ponction du capital financier sur les travailleurs salariés des sociétés privées cotées en bourse qui en est à l’origine. Cette prédation ne se limite pas à cette ponction de plus-value. De façon indirecte, via des politiques diverses, la prédation porte aussi sur les travailleurs salariés du public et sur des travailleurs indépendants.

3) Qui se propose de résorber les deux fractures sociales en France ?

Cette lutte de classe du capital financier généralisée sous l’effet des politiques néolibérales à une lutte de classe plus globale a abouti à créer un bloc social des prolétaires soucieux de l’avenir . Ce bloc rassemble ceux et celles vivant avec moins de 3000 euros net par mois par individu.

Prolétaire signifie ici (face au marché des biens) que ce bloc épuise son salaire dans le mois. Évidemment un jeune de 25 ans célibataire n’a pas besoin du même niveau de revenu qu’une mère de famille seule avec trois enfants pour arriver en fin de mois avec peu ou pas d’épargne. En outre la vie à Paris n’est pas la vie en Creuse. Tout cela pour dire que certains ne sont plus des prolétaires avec 2000 euros net par mois quand d’autres le sont encore avec plus de 3000 euros. Assurément avec plus de 3500 euros net par mois on quitte le prolétariat (face au marché) sans pour autant accéder à la bourgeoisie.

Les très grandes inégalités ne sont pas naturelles mais socialement et historiquement construites. Derrière le « naturel » se cache souvent des dominations socialement consolidées. Le néolibéralisme est le régime économico-politique qui en est à la source. Réduire ces inégalités économiques consiste à reprendre la main politique donc citoyenne et démocratique pour reconstruire un Etat social en déliquescence.

Il ne s’agit peut-être pas de défendre tel quel le bloc social des prolétaires vivant avec moins de 3000 euros net par mois par individu mais plus d’entreprendre un certains nivellement par refondation d’un plancher et d’un plafond ainsi que par une autre conception de la mobilité montante.

Au-dessus de la zone des 3000 euros par mois s’élève une pointe de revenus de plus en plus fine dont le sommet atteint des niveaux exorbitants, d’autant plus insupportable que les pauvres s’appauvrissent. Il faut donc bloquer une double dérive très peu républicaine celle des sous smic et celle des sursalaires (dont le niveau est discutable : au-dessus de 7000 euros par mois ? au-dessus de 15 000 euros par mois ?). Il faut aussi reconsidérer l’ascenseur social d’une injustice criante et refonder un système de carrière que l’on peut qualifier de républicain s’il génère de la cohésion sociale. Il serait fondé sur le diplôme et donc sur la qualification personnelle. Cela suppose de revaloriser le service public national d’instruction et d’éducation pour qu’il puisse accomplir ses missions au profit de tous et toutes. Il faut créer un ascenseur qui ne fasse que monter dans la hiérarchie sociale et qui monte véritablement pour tous. Le « salaire au mérite » sert beaucoup à inverser le sens de la carrière pour certains et à faire baisser les salaires pour l’immense majorité. Il faut aussi casser l’ascenseur qui donne des revenus faramineux aux dirigeants et cadres supérieurs.

Qui propose aussi, outre les services publics étendus, une nouvelle RTT offensive pour l’accès à l’emploi des uns et au moindre travail des autres le tout avec une nouvelle répartition des richesses qui inverse la prédation en ponctionnant le capital financier et le capital tout court ? La réponse n’est pas nette mais elle est à lire du côté de la gauche de gauche. Mais pour conforter cette gauche-là il faut sortir le césar pro MEDEF qui nous gouverne et son équipe d’Union pour une Minorité de Possédants (UMP)

Christian DELARUE

1) Site vie publique indique : En France, la pauvreté monétaire est évaluée d’un point de vue relatif en mesurant les inégalités. La pauvreté est définie par un niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian, le niveau de vie étant lui-même calculé en divisant le revenu disponible d’un ménage par le nombre d’unités de consommation qui le compose. En 2006, le niveau de vie médian, qui partage la population en deux parties égales, est évalué par l’Insee à 17 600 euros annuels, soit 1 470 euros mensuels. La pauvreté monétaire relative concerne en 2006 près de 8 millions de personnes, soit 13,2 % de la population.

L’Insee fournit également un indicateur de « pauvreté absolue » fondé sur des normes de consommation en deçà desquelles une personne ne peut vivre décemment. La fixation de ces normes repose sur l’examen, poste de consommation par poste de consommation, des quantités minimales qui doivent être consommées. Selon cet indicateur, la pauvreté touche 8% de la population.

2) Une société sans classes, vraiment ? Philippe Perrenoud 1994

http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1994/1994_24.html

qui termine son texte par deux appréciations non neutres et qui mises bout à bout ont pour fonction d’assurer la conservation d’un ordre social foncièrement injuste : « La reproduction des inégalités est le fait d’une société entière, où les favorisés sont aujourd’hui majoritaires… » Ce type de constat conduit à des politique misérabiliste de charité sociale pour les pauvres et de mise en compétitivité et de concurrence pour tous les autres.

Le 17 février 1995, Jacques Chirac, inspiré par le philosophe Marcel Gauchet, prononçait son discours fondateur de campagne : « La France fut longtemps considérée comme un modèle de mobilité sociale. Certes, tout n’y était pas parfait. Mais elle connaissait un mouvement continu qui allait dans le bon sens. Or, la sécurité économique et la certitude du lendemain sont désormais des privilèges. La jeunesse française exprime son désarroi. Une fracture sociale se creuse dont l’ensemble de la Nation supporte la charge. La « machine France » ne fonctionne plus. Elle ne fonctionne plus pour tous les Français. »

NB : Plan de « Banlieues en difficultés : la relégation » de Jean-Marie DELARUE
Ed Syros Ten 1991

1- Des habitants tenus en lisière
2 - Les politiques publiques et les quartiers
3 - Quelle stratégie ? Citoyenneté plus trilogie du 4.
4 - L’urbain, le social, l’économique.
5 - Cultiver la ressemblance, cultiver la différence.
6 - Jalons pour la mise en oeuvre
7 - Les réalisateurs

Autres liens :
En défense des prolétaires à 3000 euros par mois et moins !

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article789

Racisme anti-fonctionnaire(s). Des privilégiés, des fainéants et des improductifs !

http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/racisme-anti-fonctionnaire-s-des-60108

Sobriété pour les très riches de tous les pays.

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article717

Eléments de critique de la compassion sociale

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article704