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Civilisation et travaillisme - Réponses à Adeline Bonnin

samedi 5 juin 2021, par Amitié entre les peuples

Mise en discussion du texte : « Civilisation et travaillisme » d’Adeline Bonin (ou Lucia Canovi)

Pour Adeline Bonin, dit ci-dessous AB, le travaillisme est un défaut de qualité dans le travail mais quel type de travail ? Activité domestique, travail indépendant source de revenu monétaire, travail salarié pour le service public, travail salarié pour beaucoup de revenu mais aussi beaucoup de profit capitaliste quitte à nuire à la société.

AB : En principe, un être humain normalement constitué et doué de bon sens ne travaille pas pour travailler, mais pour atteindre l’un de ses trois buts :
 gagner de l’argent ;
 faire quelque chose d’important parce que constructif et utile ;
 se faire plaisir.
Le meilleur travail étant bien sûr celui qui permet d’atteindre simultanément ces trois objectifs.

Christian Delarue (dit ensuite CD) : Deux niveaux de réponse pour moi.

1) On pourrait distinguer l’oeuvre et le travail ou être productif au sens d’apporter du bien sans idée d’intensité, de productivité, de quantification (Eric Fromm) et être productif au sens capitaliste de produire pour le profit et de fournir donc un gros profit.

2) Surtout concernant la définition : Le travaillisme ce n’est pas simplement « travailler pour travailler », comme le productivisme serait le « produire pour produire ». Le travaillisme, c’est surtout FAIRE travailler PLUS ENCORE ceux et celles qui travaillent déjà. Il y a préexistence d’une norme, d’une référence, elle-même issue d’une histoire, d’une dynamique, d’une conquête. Il y a aussi un rapport social puisqu’il y le « faire » ou certains exigent plus d’heures (et souvent plus d’intensité).

AB : Mais dans notre civilisation, ce n’est pas toujours le cas. En effet, notre monde occidental moderne est imbibé de travaillisme. Le travaillisme est cette idéologie bizarroïde qui célèbre le travail comme un but en soi. Travailler pour travailler, telle est la devise du travaillisme. Dans la perspective travailliste, le travail n’est pas un moyen mais une fin, une valeur, un principe pseudo-moral, bref : une idole.

CD : Il y a bien un fétichisme du travail mais je ne crois pas que ce soit comme un but en soi. L’idéologie chrétienne était jadis pour le travail comme valeur en soi contre l’oisiveté source de tous les vices. Mais de nos jours, si le travail salarié (pas n’importe quel travail) est valorisé c’est qu’il doit servir, non pas forcément par sa valeur d’usage (son utilité) mais pour sa valeur d’échange (sur un marché) et donc sa profitabilité. Autrement dit, il doit surtout profiter à un autre, ou des autres, capitalistes ! Voilà la vérité du système !

AB : Veau d’or ?... Oui, mais aussi et surtout bœuf de labour portant œillères : il s’agit de travailler dur sans se poser de question, et surtout sans se demander pourquoi.

CD : d’accord.

AB : Ce que prétend le travaillisme, c’est que le travail est un bien en soi, un honneur, et que n’importe quel travail justifie celui qui l’exerce en lui apportant identité, dignité et sens. L’essentiel ne serait pas d’être utile, ou de gagner de l’argent, ou de se faire plaisir (les trois vrais buts qui se cachent derrière le travail), mais seulement de travailler, peu importe à quoi, peu importe comment.

CD : C’est le fait de devoir participer à la production de l’existence sociale qui valorise ainsi le fait de travailler , de produire des biens et services utiles à la société. En ce sens le chômage est mal vu pour parasitisme mais - je suis d’accord - c’est un défaut mineur et qui s’annule face a ceux qui travaillent pour nuire à la société (en gagnant parfois beaucoup d’argent). Deux idées différentes qui se recoupent ici : il y a le chômeur qui nuit à la profitabilité du système capitaliste (rien d’immoral) et le chômeur qui refuse d’apporter sa part à la production sociale de l’existence (il est passager clandestin et cette « immoralité » est mineure si la société ne fonctionne pas pour lui donner de la place avec du travail décent (donc un horaire limité avec un salaire convenable).

AB : Le travaillisme donne son absolution aux personnes qui, par amour de l’argent, se résolvent à exercer un métier malpropre : il leur donne bonne conscience. Je ne pense pas aux éboueurs, dont le travail est très utile, mais par exemple aux conseillers financiers qui entortillent leurs « clients », ou plutôt victimes, dans des emprunts à taux variables, ou aux publicistes qui mettent leur créativité au service du mensonge et de l’alcool.

CD : Vous liez travaillisme au type de travail que l’on trouve sous le capitalisme (qui ne fait pas travailler pour les besoins sociaux comme dans les services publics mais pour les profits ) et non au surtravail que le capitalisme tend à générer comme je le fais. Certes, ll vaut mieux être chômeur que faire un métier de financier-voleur, de marchand d’armes nucléaires.

AB : D’autre part, et c’est peut-être le plus grave, le travaillisme conduit beaucoup de gens à sacrifier leur vie intérieure (autrement dit privée) à leur vie extérieure (autrement dit professionnelle), ce qui équivaut à arracher les racines d’un arbre dans l’espoir de favoriser la croissance de ses branches… En fin de compte, il ne reste plus que du bois mort.

CD : D’autre part... Vous basculez sur ma conception du travaillisme comme excès de temps de travail salarié. Mais je n’accuse pas les personnes sans savoir si elle ont les moyens financiers de vivre. Référence à ci-dessous.

AB : Ce n’est que dans une société travailliste comme la nôtre que l’on voit de jeunes maman choisir de faire garder leur bébé nouveau-né par une nounou qu’elles payeront avec l’intégralité de leur salaire de caissière, et des salariés préférer le suicide à une démission ou un changement de poste. Hypnotisés par l’idéologie travailliste, beaucoup de gens se croient unis à leur travail par des liens indissolubles : ils sont convaincus que s’ils cessaient de travailler, ils cesseraient d’exister. Pour eux, le chômage ou la retraite, c’est le non-être.

CD : Apparemment vous avez de quoi vivre au chômage. Tant mieux pour vous mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Le système d’allocation sociale fonctionne beaucoup au minimal caritatif. Il donne peu voire rien !

AB : Et pourtant, quoi de plus précieux que le loisir (à ne pas confondre avec les distractions souvent futile que l’on nomme loisirs, au pluriel) ?
Quoi de plus précieux que la possibilité d’employer son temps à son gré ?...
On ne peut se construire une existence intéressante que si on a, d’abord, le temps nécessaire pour y penser. De même que l’idée précède sa matérialisation, les circonstances favorables à la réflexion précèdent l’idée. Le temps libre est, pour ceux qui sont disposés à en tirer parti, une source inépuisable de bienfaits. Même une période de chômage (angoissante en soi) représente une opportunité, l’occasion en or de réfléchir à ce qu’on veut, et aux moyens de l’obtenir.

Publié par Adeline Bonnin en 2009
https://marre-de-la-vie.blogspot.com/2009/11/le-travaillisme.html