CARRE ROUGE / Des affrontements le 9 octobre devant le Mondial de l’auto à Paris qui révèlent des courants politico-sociaux profonds qui traversent l’Europe J Chastaing
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Des affrontements le 9 octobre devant le Mondial de l’auto à Paris qui révèlent des courants politico-sociaux profonds qui traversent l’Europe
Le contexte politique et social né des élections
A l’annonce, au début de l’été, de la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay, de menaces sur celle de Rennes, de 8 000 suppressions de postes dans le groupe automobile et de la mise en route d’accords "compétitivité-emploi" dans l’usine PSA de Sevelnord, beaucoup de gens ont senti que les attaques contre l’emploi passaient un cap et annonçaient un nouveau cycle plus important de remises en causes sociales tous azimuts. Dans la vague de licenciements d’après les élections, fermer une usine de montage automobile importante était un symbole. L’acceptation par le gouvernement PS-Verts de cette fermeture et des licenciements en était un autre. Ce qui fut confirmé dans la foulée, toujours à la suite des exigences de PSA et du patronat, par la mise en route de discussions tripartites avec le patronat et les syndicats autour de l’idée de faire baisser le coût du travail. Tout cela fermait tout à la fois la parenthèse des illusions électorales. Le gouvernement PS prenait les couleurs d’un gouvernement PSA, les élections et leurs vendeurs de promesses -quels qu’ils soient- paraissaient plus que jamais des charlatans. Aussi quand à cette situation s’ajoutèrent les déclarations de guerre du dirigeant de la CGT d’Aulnay Mercier, elles trouvèrent un écho important et une attente et un espoir à l’égard des travailleurs d’Aulnay et ses dirigeants. Qu’allaient-ils faire ? Leur médiatisation fut l’illustration de cette situation.
Mais faute de la riposte promise des salariés et militants d’Aulnay, faute d’une politique qui à partir d’Aulnay s’adresse à tout le monde, l’attente était déçue et du coup, la date du Mondial de l’auto à Paris en ce début octobre, prenait valeur de symbole pour bien des militants ouvriers puisqu’elle incarnait justement cette volonté du "tous ensemble". En effet, à l’occasion du salon de l’auto depuis 2008, les militants ouvriers de l’auto, militants CGT en particulier, ont organisé des manifestations de tous les secteurs automobiles dans son enceinte. Ces manifestations étaient certes de militants, sans une participation populaire importante, mais détonaient toutefois un peu par leur combativité et leur coordination par rapport aux manifestations syndicales traditionnelles plus "plan-plan". Pour la plupart des militants ouvriers de l’automobile qui y avaient déjà participé, il paraissait évident qu’il fallait se saisir de cette occasion pour riposter. Ils sentaient bien que ne pas le faire en ce moment où les groupes de l’automobile annonçaient licenciements et restructurations non seulement PSA mais aussi Ford ou GM, Fiat ou Renault...) ouvrant la porte à de multiples remises en cause, cela aurait été aussi le signe de leur part qu’ils acceptaient sans vraiment se battre, non seulement la fermeture d’Aulnay mais de tout ce qui s’annonce derrière. Cette date n’allait pas être l’occasion d’une réponse populaire tout à la fois au patronat mais aussi au gouvernement mais pouvait l’être de secteurs militants syndicaux ouvriers élargis.
Mais voilà, nous ne sommes plus sous un gouvernement de droite comme en 2008 et 2010 lors des deux dernières manifestations au Mondial. Nous avons un gouvernement de « gauche » soutenu par les principaux syndicats. Cette manifestation au salon de l’auto prenait donc non seulement valeur de symbole d’une éventuelle riposte ouvrière mais aussi, pour ce faire, de la capacité du monde du travail et de ses militants à passer par-dessus tous les freins que les organisations ouvrières traditionnelles mettraient à cette mobilisation. Est-ce que ce qu’on avait vu apparaître dans le mouvement des retraites avec des équipes militantes débordant quelque peu les directions syndicales était toujours là ?
Les obstacles politiques et syndicaux à la mobilisation
Dans les réseaux militants ouvriers de l’automobile, tout cela se discutait. Les premiers à mettre la question sur le terrain public furent les travailleurs de Ford Blanquefort, menacés eux-aussi dans leur emploi et qui avaient l’habitude de manifester au salon de l’auto avec un certain succès à chaque fois pour leur cause. Avant l’été, ils ont donc appelé les premiers à une manifestation le 29 septembre au Salon de l’auto, le jour d’ouverture, s’adressant aux salariés de toute l’automobile pour en faire une manifestation commune. Cet appel ne trouva aucun écho dans le monde politique et syndical, un peu comme un cri dans le coton. Par contre chez les militants syndicaux de base, la question était ouvertement posée. Et bien sûr, ces milieux y étaient largement favorables, le faisant savoir en interne.
C’est alors que la CGT et le Front de gauche, chacun de leur côté, annonçaient deux manifestations pour à peu près les mêmes dates. Le FDG appelait à une manifestation le 30 septembre contre le TSCG, le traité européen qui devait être voté à l’Assemblée nationale le 9 octobre en en faisant la cause des mesures d’austérité que prendrait le gouvernement de gauche, comme si patrons et gouvernement attendaient pour ça. Cette manifestation avait bien sûr pour Mélenchon l’objectif d’occuper le terrain mais de manière très politicienne après sa relative défaite aux législatives en tentant de mettre en difficulté une partie des députés Verts et PS qui s’étaient prononcés contre ce traité européen quand c’était Sarkozy qui le proposait. Ça lui permettait aussi d’apparaître comme un opposant à l’austérité alors que les députés du FDG s’apprêtent à voter le budget qui impose cette même austérité. Enfin, ça empêchait de laisser un vide politique et social qu’aurait pu occuper à lui seul la manifestation au salon de l’auto. Le FDG était rejoint par la FSU, Solidaires, Attac, Comité contre la dette qui n’appelèrent pas au 9 octobre ni au Salon de l’auto, et quelques autres, d’extrême gauche qui y appelèrent pour certains. A la suite de la manifestation du 30 septembre, le collectif qui s’était créé autour du FDG, avec FSU, Solidaires pour les plus importants, appelait à continuer la lutte les 6, 7 et 8 octobre mais pas le 9, date à laquelle était pourtant voté le TSCG à l’Assemblée.
La CFDT soutenait le gouvernement, FO bottait en touche... La CGT d’Aulnay et la CGT du département organisaient le même jour, le 29, mais un peu plus tard et ailleurs un meeting à Aulnay, probablement pour empêcher d’aller au Salon des salariés d’Aulnay qui auraient été tentés. La CGT nationale, elle, seule, se saisissait d’un appel du congrès du IndustriAll European Trade-Union (organisation syndicale européenne de l’industrie, composée de 190 organisations syndicales de 39 pays et créée le 16 mai 2012) à une journée européenne d’actions et de mobilisations pour le "développement de l’industrie et de l’emploi" dans la période du 8 au 12 octobre 2012, pour décider une manifestation le 9 octobre dans trois villes de France. C’était une manifestation totalement bidon, mais qui répondait toutefois à la grogne montante des salariés contre le gouvernement qui apparaissait clairement ne rien faire contre les licenciements du patronat. En plus, ça permettait à ses cadres de répondre à ceux qui auraient voulu faire la manifestation du Salon de l’auto : "mais on a le 9, ça suffit". Et notamment à ceux comme Arcelor, Doux ou Sanofi et d’autres qui auraient pu être tentés de se retrouver aussi au Salon de l’auto.
Organiser la division autant qu’on le peut
A la fin de l’été, à une réunion de groupe de la CGT de Renault (qui rassemble les responsables CGT de tous les sites Renault du pays), le ton était clairement donné. Les responsables nationaux de la CGT s’opposaient de toutes leurs forces à la manifestation au Salon de l’auto. Il n’y aurait que celle organisée par la CGT le 9 octobre. Le prétexte évoqué et inventé était qu’il y aurait déjà eu de la casse dans les dernières manifestations au Salon, que ça donnait une mauvaise image de marque de la CGT et que ça pourrait affaiblir la lutte des travailleurs d’Aulnay. En fait, il n’y avait jamais eu de casse, seulement du champagne et des petits fours des stands consommés par les manifestants et des autocollants syndicaux collés sur les voitures de luxe – enlevés dans l’heure qui suit.
Le 3 septembre, à une réunion équivalente du groupe national CGT de PSA, c’était le même ton et les mêmes arguments repris également par les dirigeants CGT d’Aulnay (des militants de LO) comme par les autres militants syndicaux LO de l’automobile présents. Pas question de manifester au salon de l’auto. Mais là, la très grande majorité des militants syndicaux de PSA se prononçait, contre les dirigeants du syndicat et contre les militants d’Aulnay et de LO, pour la manifestation au salon de l’auto. Finalement, craignant de se trouver isolée et que la manifestation se fasse sans elle, la CGT Aulnay virait de bord et acceptait, comme les dirigeants nationaux, une manifestation au Salon de l’auto, mais à condition que ce ne soit que de PSA et donc pas le 29 septembre avec ceux de Ford. Du coup, un compromis était trouvé, la manifestation au Salon de l’auto aurait lieu le matin du 9 octobre avant la manifestation nationale de la CGT qui était, elle, prévue l’après-midi. A partir de là, les dirigeants de la CGT Aulnay appelaient dans les médias à une manifestation des seuls PSA et s’en attribuaient la paternité.
Mais la CGT Renault Cléon appelait alors aussi, et, dans le contexte ambiant de plans de licenciements multiples, c’était simplement ceux qui le voulaient qui s’emparaient de l’appel. Ainsi, malgré ses initiateurs, cela prenait rapidement le sens d’un appel à tous à se joindre aux salariés de PSA. Cela fut illustré par le collectif des "licenci’elles" autour des employés des Trois Suisses dans le Nord qui appelait lui aussi à rejoindre et relayer l’invitation des PSA et qui le renouvella en plein débat cenral à la fête de l’Humanité. Le rendez-vous lui-même était donné par les vertus d’internet et des réseaux syndicaux militants non par la volonté des organisateurs auto-proclamés, qui protestaient pourtant pour essayer de le déplacer "à proximité", du Salon, mais en vain.
Jusque-là, le nombre de manifestations prévues par la CGT nationale le 9 octobre était de trois. Suite à l’appel des PSA, la CGT nationale les a fait passer à 8, dégonflant autant de fois le potentiel de ceux qui pouvaient se rendre au Mondial de l’auto. Les Ford étaient invités à manifester en tête du cortège de Bordeaux. Ceux de TRW (un sous-traitant automobile des Vosges dont la lutte vigoureuse de ses salariés a plusieurs fois marqué la région) à prendre la tête de la manifestation d’Epinal malgré leur aspiration initiale à aller à Paris comme aussi ceux d’Arcelor Florange, ceux de Michelin encore manifestaient à Clermont Ferrand, ceux de PSA Rennes restaient à Rennes, etc... Par ailleurs le lieu de départ de la manifestation CGT nationale de l’après midi, qui devait se tenir initialement "pas trop loin" du Salon de l’auto était finalement placé assez loin de telle manière que la durée de présence devant le Salon soit raccourcie. Le rendez-vous lui-même au Salon n’était pas à l’endroit habituel, mais déplacé à un endroit où l’accès à l’entrée était rendu beaucoup plus difficile. La mobilisation pour le Salon était freinée par de multiples petites manœuvres, pressions directes ou indirectes, amplifiant la fatigue que ça pouvait représenter, les risques de bagarres, ne prévoyant pas d’appeler à la grève ce jour-là, organisant des départ de bus ou trains trop tardifs pour pouvoir arriver à l’heure, avec un nombre de places limitées, etc., etc...
Le 9 au Salon de l’auto, un succès politique gage d’avenir
La manifestation devant le Mondial de l’auto a réuni 2 000 manifestants ensemble au plus fort, et entre 2 000 et 2 500 manifestants au total. Des manifestants arrivaient encore à 12 H 15 alors que d’autres partaient déjà. Ce qui, sans être un triomphe est toutefois un succès certain, étant donné toutes les manœuvres pour le faire échouer. C’était une manifestation socialement très largement ouvrière, PSA, Renault, Arcelor, Goodyear, Samsonite, Faurecia, Valéo, 3 Suisses, des délégations de Ford, GM, la Poste, SNCF, éducation, Sanofi, Doux, Fralib, Opel Bochum (Allemagne) et bien d’autres...
Les chiffres ne sont pas énormes mais ont une portée qui va bien au-delà du nombre. C’est en effet la première fois depuis longtemps qu’on voit une telle ambiance ouvrière radicale. C’était ensuite une manifestation appelée par la base, la base ouvrière, en tous cas la base syndicale. La base syndicale de la CGT à l’origine mais aussi de pas mal de sections de Solidaires, automobile bien sûr, mais aussi Poste, SNCF... qui fait qu’on voyait d’assez nombreux militants Solidaires le matin. L’après-midi, ils ne sont pas venus.
C’était enfin une manifestation qui s’est tenue malgré l’opposition de la totalité des appareils politiques et syndicaux. En ce sens-là, 2 000 à 2 500 manifestants ne suffisaient certes pas, non seulement pour ouvrir les portes du Salon de l’auto mais aussi pour ouvrir, largement, une perspective sociale et politique pour tous - il aurait fallu au moins le double. Par contre, dans le contexte actuel de crise et de mobilisations populaires en Europe et dans le monde, ça a été suffisant pour marquer de sa tonalité, par les affrontements violents qui y ont eu lieu et la colère que ça traduisait, la manifestation de la CGT de l’après-midi et la situation politique et sociale en raccordant pour la première fois ce qui se passe en France au diapason de ce qui se passe en Espagne, Grèce, etc...
Ce qui était sous-jacent jusque-là dans le pays est en partie tombé. La France des travailleurs n’est pas une île isolée de passivité au milieu de ce qui se passe ailleurs. La démoralisation dont certains parlent aujourd’hui pour une frange avancée d’ouvriers l’est surtout et d’abord par l’inertie des dirigeants du monde ouvrier, syndicaux et politiques. C’étaient des ouvriers qui se sont battus contre les CRS. Il n’y avait aucun de ces manifestants des affrontements qu’on voit parfois en fin de manifestations. Cette manifestation a montré les énormes disponibilités et possibilités qui sommeillent pour le moment dans la classe ouvrière. L’accueil des ouvriers au retour des militants de la manifestation au Salon de l’auto a été chaleureux et enthousiaste : enfin ils se battaient contre les licenciements. En ce sens-là, il y aura un avant et après Salon de l’auto. Cette manifestation a montré un noyau possible, disponible pour un embryon de ce que pourrait être demain les organisateurs d’une manifestation, d’un mouvement national, sans même parler d’ international, de tous ceux qui sont menacés de perdre leur emploi ou dont l’emploi est remis en cause par les accords compétitivité, et la vie sociale par l’austérité gouvernementale, etc... Soyons sûrs que ce qui s’est fait là, par l’initiative de militants syndicaux de base et leurs réseaux qui se renforcent peu à peu, va continuer à fermenter de manière souterraine avant de réapparaitre plus fort publiquement, visiblement à nouveau, et pourquoi pas d’ici peu, puisque GM-PSA ont prévu annoncer de nouvelles restructurations le 25 octobre, puisqu’on s’attend à 400 000 licenciements dans la période à venir, puisque le gouvernement, le patronat et les syndicats sont en train de négocier pour la fin de l’année des "accords compétitivité-emploi" qui annoncent une aggravation de l’horreur sociale...
Et puis, il y eut encore ce jour-là, une autre manifestation, "sauvage", improvisée, que les journalistes n’ont pas relayée, étant absents. C’est celle où environ 500 à 700 manifestants sont allés de la manifestation du matin à celle de la CGT de l’après-midi. Une manifestation improvisée à l’initiative de militants syndicaux de Renault Cléon, PSA Mulhouse, PSA St Ouen qui en ont entraîné beaucoup d’autres et finalement la CGT Aulnay. Une manifestation indépendante donc de toutes les bureaucraties, qui avait la pèche et qui a ensuite traversé en cortège quasiment de part en part la manifestation nationale de l’après-midi avant d’organiser un cortège commun Renault Cléon, PSA Mulhouse, PSA St Ouen et PSA Aulnay. C’était, comme le matin au Salon de l’auto, plus seulement la lutte pour sauver une usine, Aulnay, mais pour sauver tous les emplois, toute la classe ouvrière, la population entière de la crise... Cela montrait qu’il y avait largement du répondant à une politique d’extension si les dirigeants d’Aulnay avaient voulu, voulaient encore la mener, avant qu’ils n’aient perdu tout crédit.
A la manifestation parisienne de l’après-midi organisée par la CGT nationale, pour une manif aux objectifs "industriels" (!) où seule la CGT appelait et sans grande énergie, on peut dire qu’il y avait du monde. La police dit 11 000 manifestants, les organisateurs 25 000, dans les rangs des manifestants on entendait souvent 50 000. On pourrait dire 15-20 000. L’après-midi, ce qui était marquant pour les manifestants eux-mêmes, c’était ce nombre, inattendu, pas exceptionnel dans l’absolu, mais étonnant étant donné la faiblesse et l’isolement des appels. Cela venait compléter le sens de disponibilité et de potentiel ouvrier donné par la radicalité de la manifestation du matin. Cependant sans la manifestation du Salon de l’auto, ce nombre n’aurait pas eu le même sens, n’aurait été qu’une masse de manœuvre pour les bureaucrates. Il y aurait eu une affluence certes assez importante mais à l’ambiance un peu ramollie et dont la signification n’aurait pas été totale, sans cette fronde syndicale de base, cette disponibilité pour une politique plus radicale. Ainsi le matin donnait un sens particulier à ce qu’on entendait l’après-midi dans les rangs des manifestants : beaucoup de discussions, remarques, pour dire "qu’on" avait voté Hollande et que le président répondait par les CRS, bref que ce gouvernement ne durerait pas longtemps, qu’on le renverserait... mais personne n’entendait par un nouveau vote ou un référendum, mais par la lutte tous ensemble, qui ne saurait tarder à venir.
Photos de la manif au Mondial de l’auto qui montrent quelques aspects de la violence des affrontements.
Jacques Chastaing - 13 octobre