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Burqa : A qui profite la loi ? M. Aounit et V.Geisser

jeudi 18 février 2010, par Amitié entre les peuples

25 janvier 2010
Burqa : A qui profite la loi ? Mouloud Aounit* et Vincent Geisser**

Le développement du port du niqab dans la société française constitue sans aucun doute un phénomène sectaro-religieux qui ne saurait être justifié par la liberté de conscience et le traditionnel couplet sur le respect des droits individuels. Mais il est tout aussi évident que le débat sur la burqa couplé à celui sur l’identité nationale ne pouvait provoquer que des dégâts. Les dérapages verbaux sont désormais trop nombreux pour être considérés simplement comme des « accidents de parcours » ou des « gaffes politiques ». Et contrairement à une idée reçue, ils ne sont pas le fait du « petit peuple de France » mais de certaines élites et leaders d’opinion qui ont trouvé là une manière de compenser leur panne d’imaginaire politique, en actionnant une sorte d’épouvantail identitaire visant à faire oublier les « vrais » problèmes des Français : le chômage, l’emploi, le logement, la crise financière, l’insécurité urbaine, les questions environnementales, etc. Ces débats émotionnels s’inscrivent dans une tendance lourde de la société française : la suspicion jetée sur une composante de notre communauté nationale, les musulmans, sommés de donner des signes tangibles de leur adhésion aux valeurs françaises, comme si la double allégeance était leur mode normal de fonctionnement et la loyauté l’exception. Une dynamique identitaire perverse s’est enclenchée : francité et islamité sont ainsi présentées comme deux essences irréductibles, deux entités inconciliables, les individus étant sommés de choisir entre l’une et l’autre.

Du coup, le combat anti-burqa qui aurait pu être partagé par nombre de démocrates au nom de la lutte contre les sectarismes politico-religieux (et le salafisme wahhabite en est évidemment un) devient le porte-drapeau d’un nationalisme étriqué qui tourne le dos à l’universalisme républicain pour renouer avec une conception substantialiste de l’identité nationale, comme s’il y avait d’un côté les « Français purs » et de l’autre les « Français de papiers », dont la citoyenneté est en sans cesse mise à l’épreuve. Comment peut-on être Français et musulman ? Voilà une question que l’on pensait appartenir à une autre époque et qui retrouve pourtant une actualité sinistre. On se demande parfois si la synergie anxiogène suscitée par la combinaison malheureuse identité nationale/burqa n’encourage pas directement une conception intégrale de la francité, reprenant certains arguments sectaires de nos adversaires, à savoir : les mouvements fondamentalistes que l’on prétend combattre. Disons-le tout net : on s’enferme dans le piège du sectarisme identitaire au lieu de lui proposer une alternative universaliste crédible, une parole démocratique faisant pleinement sens pour des citoyens en quête de repères symboliques. Car, quoi qu’on en pense, les filles « emburqanées » sont aussi des citoyennes françaises. Sans verser nécessairement dans un rapprochement simpliste entre un nationalisme français agressif et un salafisme wahhabite offensif, l’on soulignera tout de même une certaine convergence des démarches idéologiques. De part et d’autre, on tend à invoquer les libertés fondamentales et le droit des personnes pour légitimer des postures de type essentialiste, sur lesquelles les critiques raisonnées et raisonnables ont finalement peu de prise : définition substantialiste des appartenances sociales, rapport angoissé aux identités perçues comme exogènes, vision « civilisationniste » du monde (Occident chrétien versus Orient musulman), prosélytisme sélectif, tendance à considérer un localisme comme un universalisme, etc. D’un côté l’identité française considérée comme substance éternelle, de l’autre l’islamité comme identité totale ; d’un côté la peur de la contagion de la francité par des éléments étrangers, de l’autre la volonté de protection littéraliste d’une identité musulmane face aux interprétations libérales du Coran ; d’un côté une vision de plus en plus restrictive de l’accès à la nationalité française, de l’autre un embrigadement méthodique des croyants sur le thème de l’élection (les élus de Dieu) ; d’un côté la France comme expression de l’Occident triomphant, de l’autre l’islam comme incarnation d’une civilisation islamique hégémonique et supérieure.

Mais le plus grave est que ce choc de deux narcissismes identitaires finit par produire un sentiment de victimisation généralisé au sein de la population française : les uns se sentant menacés par le déferlement d’un islam imaginaire, les autres par cette injonction permanente à l’identité française (« faites vos preuves »). C’est déjà largement perceptible dans les « communautés musulmanes » de France, où les éléments les plus modérés épousent la cause « pro-burqa », alors qu’ils l’avaient jusqu’à présent combattue au nom d’arguments théologiques mais aussi culturels et démocratiques. La violence symbolique du débat identité nationale/burqa favorise incontestablement la formation d’un sentiment de co-appartenance communautaire qui profite directement aux mouvements fondamentalistes. Les ennemis d’hier sont devenus des martyrs. Le communautarisme musulman que l’on redoutait tant est en train de naître. On touche là aux limites et surtout aux effets pervers d’une éventuelle loi « anti-burqa ». Si l’objectif d’une loi est bien de contribuer à limiter la propagation d’un phénomène jugé préjudiciable à la cohésion sociale et au « vivre ensemble », alors on peut raisonnablement penser que c’est tout le contraire qui risque de se produire : avec le vote d’une telle loi, ce n’est plus 700 burqas que l’on recensera dans l’Hexagone mais des milliers, voire des dizaines de milliers, brandies comme étendard d’une liberté narcissique et signe de résistance à un nationalisme français étriqué. On est donc en droit de s’interroger sur les motivations des promoteurs de la « loi anti-burqa » : leur intention est-elle bien de contenir le phénomène ? Si oui, pourquoi ne prennent-ils pas en compte les effets pervers qui se manifestent déjà ici et là chez ceux qui se perçoivent comme des « victimes » et qui pourraient bientôt apparaître comme de véritables « martyrs de la cause » dans les communautés musulmanes de France ? En faisant de l’éradication de la burqa leur priorité du moment, et ceci pour conforter leur position de pouvoir et masquer leur absence de vision politique à long terme, les nouveaux prophètes de l’identité nationale se transforment inévitablement en apprentis sorciers. On peut raisonnablement penser que la future loi profitera davantage aux organisations fondamentalistes, toujours à la recherche de « martyrs médiatiques », qu’aux mouvements de défense des droits des femmes.

* Militant antiraciste.

** Politologue.