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Atelier pour l’autogestion 4 : Avoir des pratiques autogestionnaires - B Birsinger

dimanche 10 août 2008, par Amitié entre les peuples

FSE 2003 - Atelier pour l’autogestion

AVOIR DES PRATIQUES AUTOGESTIONNAIRES
BERNARD BIRSINGER Maire de Bobigny

Est-ce possible, aujourd’hui, dans une société mondialisée, où l’on a un capitalisme mondialisé, quand on est maire, quand on est communiste, d’avoir des pratiques radicales, révolutionnaires, autogestionnaires, dans le cadre des responsabilités qui sont les miennes ? Le débat qui se déroule ici est très important ; il renvoie à des concepts qui sont les miens et à un débat de contenu sur la démocratie participative qu’il faut avoir. Est-ce que cette démocratie participative est, pour le capital, un moyen de relooker cette démocratie représentative en crise profonde ? Est-ce le moyen de récupérer la volonté de participer ? Le fait que tout le monde en parle, montre que cette envie de participer et de donner son avis sur l’évolution des choses et sa propre vie, est une aspiration qui ne peut plus être ignorée. En même temps, nous voyons bien aujourd’hui toute une série de tentatives pour essayer de la dévoyer, de la récupérer, de la cantonner au local, avec une « proximité » qui est seulement celle du quartier, alors que dans cette notion de proximité, je mets celle du monde. C’est particulièrement vrai dans une ville comme la nôtre, qui est une ville-monde. On se pose la question d’une autre mondialisation, ici nous travaillons au niveau local, à construire, tout de suite cette mondialisation solidaire.

On voit toute une série de tentatives pour dépolitiser les débats, autour du thème de la gouvernance. C’est le contraire de ce que je mets dans la démocratie participative. C’est à dire, la nécessité de mettre la politique sous contrôle citoyen, donc de changer la politique ; de responsabiliser les personnes, pour augmenter les capacités de réponse de la société aux défis des inégalités sociales et du développement durable de notre planète. Ce que nous voulons essayer de faire ici à Bobigny, avec beaucoup de difficultés et de réflexions, de réussites mais aussi d’échecs, c’est une démarche de transformation sociale. C’est une démarche locale qui vise, dès maintenant, là où nous sommes, à s’attaquer à la concentration des pouvoirs, des savoirs et des avoirs.

C’est clair que si on reste dans les carcans de la démocratie représentative telle qu’elle existe aujourd’hui, il y a très peu de possibilités. Alors peut-on avec ce cadre-là, innover dans des pratiques de démocratie participative, mettre en cause sans attendre ce capitalisme mondialisé et donc miser tout de suite sur l’intelligence des citoyens. Et quand on parle de citoyens dans notre expérience bobilienne, on parle de l’ensemble des usagers de la ville, pas simplement des gens qui habitent la ville, mais aussi des gens qui y travaillent, qui y étudient. Tous nos processus de démocratie participative essaient d’impliquer l’ensemble des usagers de la ville. Comment concrètement pouvons-nous organiser sans attendre le partage de l’information, le partage des décisions, le partage des expertises, le partage de l’élaboration et aussi le partage des avoirs ? Pour moi le débat sur le budget participatif, s’il reste dans les cadres contraignants imposés au budget local, n’a aucun intérêt. L’intérêt c’est un débat politique sur l’utilisation de l’argent bien évidemment au niveau local mais au-delà. Comment cet argent est utilisé dans le monde, comment on produit les richesses dans notre société ? De ce point de vue le Forum social européen est une formidable occasion de mise en réseau de toutes ces expériences. Car cantonnée au niveau local, une expérience de ce type est limitée. Ce que je trouve intéressant dans le Forum social mondial - c’est pour cela que Bobigny participe à tous les réseaux auxquels on peut participer au niveau mondial et au niveau européen - c’est que peut-être l’avenir de l’autogestion c’est justement la mise en réseau de façon à ce que chaque expérience locale, chaque expérience d’entreprise puisse d’une certaine façon devenir une force mondiale, une force globale et que ceux qui sont engagés dans cette démarche sentent cette cohérence. De nombreux Babiliens participent à nos débats, ils se rendent compte aussi de cette possibilité là.

Donc sans attendre comment mettre en place ce partage du pouvoir et comment faire vivre une nouvelle figure de la politique ? Cela implique de remettre en cause les institutions actuelles et de se bagarrer pour des droits nouveaux sans attendre que ces droits nouveaux soient obtenus. Et je crois de ce point de vue qu’il y a à travailler sur des droits de contrôle, sur des droits d’expertise, sur des droits d’information, d’intervention et permettez-moi de vous dire un mot sur une question qui me tient à cœur : puisqu’on parle d’autogestion, c’est la possibilité du droit de vote pour tous les étrangers, notamment au niveau européen, ce qui est loin d’être le cas, à commencer par notre pays. Donc, ici on a essayé de résumer cette démarche en disant : « Babiliens, une ville par tous et une ville pour tous » en considérant que nous sommes confrontés à une très grande complexité, et que nous avons besoin pour régler cette complexité dans notre ville et dans notre société de l’intervention du maximum d’usagers de la ville et de travailler avec l’ensemble des habitants et d’ aller au-delà des cercles habituels c’est-à-dire de solliciter les enfants, de solliciter les jeunes, les étrangers, les quartiers difficiles, d’essayer de multiplier les portes d’entrée.

De ce point de vue quand je parlais d’essayer de trouver des formes nouvelles sans attendre, nous avons mis en place tous les deux ans des assises de la ville qui mobilisent l’ensemble de la population sur une année et qui permettent concrètement d’essayer d’engager une co-décision, une co-construction et une délibération nouvelle dans la mesure aujourd’hui où les raisons des abstentions sont pour beaucoup le fait que l’on présente la politique comme seulement réduite au moment du vote, pour un seul choix, pour ou contre un candidat et évidemment sans changement concret dans la vie des gens. Donc comment on construit en permanence le changement avec les gens ? Nous avons trouvé ce système d’assises de la ville qui permette de placer la question de la participation sur un autre terrain. Nous avons aussi réfléchi à ne pas rester cantonner à l’activité de quartier et on a appelé nos comités : « comités d’initiatives citoyennes ». Nous avons instauré dans notre ville un droit de saisine du conseil municipal qui n’existe pas dans la loi et puis comme on est aussi en réflexion sur les questions du contrôle citoyen par rapport aux décisions et aux engagements qui sont pris, a été mis en place lors des premières assises de la ville en 1998 un observatoire des engagements qui est composé de gens très divers, indépendants de la ville, qui établit régulièrement un rapport sur les engagements de la municipalité, qui est distribué dans toutes les boîtes à lettres. Quand on travaille comme ça, c’est un sacré aiguillon pour les élus, pour les techniciens mais aussi pour les citoyens.

On essaie aujourd’hui d’aller plus loin parce que entre le moment où on a démarré avec les limites que pouvait avoir une démarche d’en haut au niveau local, nous sommes aujourd’hui avec des centaines de citoyens qui sont impliqués dans cette démarche. Nous voulons introduire une idée nouvelle, celle de la co-évaluation, de la co-évolution de ces systèmes-là. Nous engageons tout un débat sur : « comment nous concevons nos 4es assises et comment nous concevons l’ensemble de nos outils de participation avec tous ceux qui sont déjà impliqués dans ces processus. Autre idée : c’est que la démocratie participative c’est forcément de l’action sinon, et nous sommes en permanence à nous interroger sur ça, c’est la gestion de l’existant avec le risque de jouer au niveau local le rôle d’amortisseur du capitalisme et donc d’essayer de faire en sorte que le lien soit toujours fait entre le local, le général et le mondial. Ainsi le budget participatif a été accompagné d’une pétition qui a été portée à Matignon sur la nécessité d’avoir une autre fiscalité et d’autres finances pour notre ville. Ainsi, nous avons fait une « consultaction » - nous avons mélangé consultation et action - sur le projet de requalification urbaine. Si vous ne connaissez pas Bobigny, vous avez peut-être eu du mal à trouver les lieux, etc. Vous sentez que nous avons besoin de faire ce travail sur les questions de requalification urbaine. Dix milles personnes ont rempli un questionnaire qui a été porté par 500 personnes de Bobigny, questionnaire élaboré collectivement sur les grands partis pris et stratégie urbaine de cette ville, sur son avenir. Mais ça n’a pas été simplement pour dessiner le visage futur de la ville mais pour revendiquer un droit à la ville et donc comment en permanence nous avons conjugué trois idées : changer la ville, changer la vie, changer la politique.

Enfin, dernière idée, c’est que pour moi, la démocratie participative implique non pas une opposition à la délégation, parce que la délégation doit exister, mais pose la question de revoir en profondeur la notion même de délégation. Aujourd’hui cette délégation a été confisquée, appropriée par quelques-uns. Il s’agit d’inventer une nouvelle république citoyenne participative, autogestionnaire. Donc on imagine avec les citoyens - et c’est le débat de l’Europe aujourd’hui avec la constitution européenne - qu’on imagine donc avec les citoyens des institutions nouvelles au service de cette démocratie participative et de l’intervention consciente de chaque citoyen sur tous les sujets les concernant, du quartier à l’organisation mondiale du commerce. Cela pose la question du rôle des assemblées délibératives par rapport aux exécutifs, des droits d’intervention dans les entreprises - parce que faire ça dans la ville, si on ne peut pas intervenir et qu’on laisse les actionnaires décider, c’est voué à l’échec - sur la question du cumul des mandats, de la parité et qu’on soit beaucoup plus contraignant que ce qui a été fait en France - par exemple parce qu’on est toujours avec 12 % de femmes à l’Assemblée nationale - sur les modes de scrutin.

Pour conclure définitivement, je peux vous dire que ça marche, que c’est un travail énorme, qu’on peut avoir du monde dans ces processus. Les assises de Bobigny, c’est chaque fois entre 6.000 et 8.000 personnes de Bobigny, sur une population de 45.000 habitants, qui participent, personnellement j’y ai beaucoup appris sur ma ville, que c’es très efficace, que les gens sont intelligents et que c’est une façon nouvelle à partir de la ville de fabriquer du commun et d’une certaine façon de renouer avec le côté originel du communisme, cette capacité à construire du commun. Mais vraiment le postulat de départ, c’est de considérer que les citoyens sont conscients, intelligents et peuvent tout de suite changer la donne et donc l’élu que je suis n’est plus un représentants mais un interlocuteur passager qui essaie, à l’endroit où il est, de favoriser ce partage du pouvoir, cette autogestion au quotidien. Je peux vous dire que depuis que je suis maire, depuis que je fais de la politique, j’ai changé dans mon comportement, les techniciens de la fonction publique ont changé et les citoyens ont changé parce que évidemment c’est exigeant pour eux aussi. Je trouve que c’est un moyen très subversif et très radical de remettre en cause le capitalisme mondialisé, de construire un autre monde. Tout ça pour dire que je partage complètement cette conclusion : que l’autogestion, c’est avant tout une culture, comme cela a été dit dans la dernière phrase de l’intervention de Michel Fiant.