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Ambiguïté de la notion d’émancipations locales concrètes via la société civile. C Delarue

samedi 3 octobre 2009, par Amitié entre les peuples

AMBIGUITE DE LA NOTION D’ EMANCIPATIONS LOCALES CONCRETES DE LA SOCIETE CIVILE .

De la résistance de la société civile à l’alternative du peuple-classe.

k-nuit-sante

La critique de la notion de société civile au profit de celle de peuple-classe plaide ici dans un même mouvement en faveur d’un travail politique de cohérence et de liaison des expérimentations locales dites « émancipatrices » ou « alternatives » avec un projet plus global, réellement émancipateur.

Un courant dans ’ATTAC France pèse pour introduire abondamment dans le projet d’orientation la référence aux expérimentations et aux processus locaux qui créent des espaces alternatifs de vie, il m’a paru utile d’aller étudier des concepts qui valident cette vision du monde. Le succès de l’Altervillage cet été à Rennes y incite aussi car les participants y ont vécu une expérience riche d’une autre vie. Mais dans d’autres domaines comme celui de l’eau par exemple on voit que l’on reste au milieu du gué lorsque l’on passe de la délégation à une firme multinationale à la régie publique. La fragmentation des dispositifs fait le jeu des inégalités dans des domaines ou seul un service public national est en capacité d’offrir une alternative réelle.

Quand à la notion de société civile qui accompagne souvent l’idée d’alternatives concrètes locale on remarque surtout son ambiguë même si elle n’est pas dépourvu de sens, une signification qu’il importe de préciser. Ce travail a été engagé à partir d’une perspective historique . Il a abouti à en préciser sa place dans la société globale. Il ressort de ces études que la société civile évoque surtout ce qui résiste et bouge dans une société donnée voir au plan internationale. Elle peut en positif aussi valider des processus d’alternatives locales très décentralisées ici ou là . Mais elle ne saurait remplacer la notion de peuple-classe qui met plus l’accent sur les tâches d’unification ou de convergence nécessaire à tout projet d’émancipation globale et d’hégémonie à partir des intérêts et valeurs de ceux-d’en-bas.

I - Les grandes lignes de l’émergence de la notion de société civile

Il s’agit d’extrait du texte riche et long de Bernard Dréano : « La belle Irène, l’éléphant et le gouverneur » lisible en rubrique société civile sur le site ATTAC

1. Les philosophes : Hobbes, Lockes, Hume, Rousseau, Kant.

Les grands philosophes politiques anglais Hobbes (au XVIIe siècle) et Locke (au tournant du XVIIe et du XVIIIe) ont planté le décor : le premier oppose la société civile à l’état de nature et en fait le lieu où se construit la sécurité des hommes, c’est-à-dire essentiellement l’Etat, mais le second insiste sur la nécessaire liberté des individus en son sein. Dès ce moment donc les philosophes, dans la continuité d’Aristote, lient l’idée de société civile avec celle d’Etat, mais aussi au fur et à mesure que le libéralisme politique progresse, avec celle de citoyenneté. En Angleterre Hume, en France Rousseau, en Allemagne Kant, développent cette idée chacun à leur manière. Etudiant cette époque en 1988 l’universitaire britannique John Keane remarquait : « le terme de société civile est resté un mot clé de la pensée politique européenne pendant toute la période 1750-1850. Cependant vers le milieu de cette période la Société Civile et l’Etat, traditionnellement liés dans le concept relationnel de societas civilis ont été perçus comme des entités différentes ». Le concept est dès lors devenu objet de controverse et de polysémie.

Dans ces débats passionnant, complexes et à bien des égards fondateurs de nos démocraties modernes, nous pouvons distinguer une tendance plutôt anglo-saxonne qui privilégie la dissociation d’avec l’Etat (notamment l’écossais Adam Fergusson qui donne à la société civile un rôle de producteur de valeurs éthiques et sociales), puis une tendance plutôt « allemande » qui privilégie la synthèse dans l’Etat (notamment Hegel dont « l’Etat universel » peut seul permettre l’unification des intérêts divergents exprimés dans la société civile).

2. Le marxisme a éclipsé la notion à l’exception d’Antonio Gramsci.

Les idées de Gramsci ont pénétré en Europe centrale en même temps qu’elles se diffusaient en Europe occidentale, grâce au philosophe marxiste Georg Lucaks, à la fin de sa vie, et aux « révisionnistes » marxistes hongrois et polonais mais aussi aux intellectuels italiens, communistes ou non, en particulier le philosophe Norberto Bobbio. Dans la dissidence, les militants venus de ce marxisme « gramscien »comme Jacek Kuron en Pologne ou Jaroslav Sabata en Tchécoslovaquie vont en retrouver d’autres se réclamant plutôt des lumières dans leur version anglo-saxonne (les « libéraux » au sens progressiste américain du terme) et quelques chrétiens influencés par le personnalisme (cf. ci-dessous). Tous conçoivent la société civile comme l’organisation de la résistance à l’Etat totalitaire mais non comme le tremplin pour la prise du pouvoir d’état. Et le concept de « Société Civile » va revenir dans le débat politique occidental... à partir de l’Est

3. La « théologie de la libération » catholique va apporter sa touche propre à la notion de société civile.

La Théologie de la libération est apparue avec force en 1968 à l’occasion de l’assemblée de l’épiscopat latino-américain à Medellin (Colombie) autour d’évêques comme Don Helder Camara (Brésil) ou Mgr Romero (Salvador), bientôt mise en forme par le prêtre péruvien Gustavo Guterriez, relayé par des franciscains (Leonardo Boff) et des jésuites (Jean Luis Segondo). Elle procède aussi en partie du personnalisme (cf., encore, ci-dessous). C’est la « mobilisation en faveur des déshérités », la libération des esclavages, y compris celui qui est dû à des « excès de prospérité ». La synthèse des expériences révolutionnaires et chrétiennes va irriguer les « communautés de bases » dans les quartiers pauvres, les mouvements indigénistes et influencer à la fin des années 80 aussi bien le Parti des Travailleurs au Brésil que les Zapatistes au Mexique.

II - Quelle est la place de la société civile selon Bernard Dréano ?

On peut, par exemple décrire la « superstructure », au sens de Marx ou de Gramsci comme s’articulant autour de trois pôles, l’Etat (et tous les appareils qui lui sont rattachés), le Marché (la sphère de l’échange économique lucratif), la Famille (au sens des institutions privées, qui peuvent être cependant de vastes communautés, clans ou tribus). La Société Civile, c’est l’espace qui ne se réduit à aucune de ses sphères.

*Dans les sociétés traditionnelles, l’espace de la société civile est quasi nul, repoussé à la périphérie du cercle principal, cherchant des points d’appuis dans les fractions de l’Etat ou du Marché qui échappent à la Famille :

*Dans une société « totalitaire », (par exemple dans le modèle stalinien ou fasciste, mais il y en à d’autres), c’est l’Etat qui constitue le cercle principal et l’espace de la société civile est quasi
nul, repoussé à sa périphérie, cherchant des points d’appuis dans les fractions de la Famille ou du Marché qui échappent à l’Etat :

*Dans une société néolibérale c’est le Marché qui domine et l’espace de la société civile est quasi nul, repoussé à sa périphérie, cherchant des points d’appuis dans les fractions de la l’Etat ou de la famille qui échappent au Marché .

*Dans une société démocratique la société civile occupe un espace fluide mais conséquent permettant l’exercice de la citoyenneté pour contrôler l’Etat, réguler le Marché, permettre la relation de l’individu et de la Famille et assurer le débat contradictoire.

III - Remarques critiques

Ces trois sphères Etat, Marché, Famille sont étroitement imbriquées. Sous le capitalisme dominant le capital, en position de force dans la société civile, fait prévaloir la logique du marché sur la logique des besoins et des droits. La « valeur d’échange » dicte sa loi à la « valeur d’usage ». Le néolibéralisme, configuration contemporaine du capitalisme, sous l’égide de l’OMC et avec l’appui de l’Union Européenne et des Etats a libéralisé les « forces du marché ».

Par ailleurs, on peut se demander quelle est cette société démocratique qui a fait reculer significativement le marché, les marchés ainsi que l’appropriation privé des moyens de production et d’échange. Elle n’existe pas à ce jour. La démocratisation comme processus vise à établir l’alterdémocratie ou la démocratie socialiste comme fin.

On remarquera aussi dans l’analyse que les alliances de classes ou de couches sociales ont disparues ainsi que les rapports sociaux capitalistes. Tout ce qui fait la richesse du marxisme disparait au profit d’une présentation en terme de cercles.

La notion a un contenu anti-totalitaire, anti-marxiste et anti-émancipation globale. Le chemin proposé pour le dépassement du capitalisme semble déboucher sur une accumulation d’alternatives locales, la rupture hégémonique n’intervenant qu’ensuite. Et encore ce n’est pas dit dans la chanson. En fait il n’y a pas d’alternative, pas de perspectives. Rien n’est proposé à la hauteur de ce qui advient avec la déferlante de privatisation, de marchandisation.

D’autres points mériteraient discussion, tel celui par exemple du territoire de la relocalisation. Passer de la circulation mondiale des marchandises et des services aux circuits hyper-courts ne se justifie pas toujours. Il est parfois pertinent de penser la relocalisation au plan national ou régional, la métropole française n’étant pas au plan de sa surface territoriale un grand pays.

Christian Delarue

Membre du CA d’ATTAC France

1) Bernard Dréano ; La belle Irène, l’éléphant et le gouverneur

A propos de la société civile, de la gouvernance et de la paix

http://www.france.attac.org/spip.php?article1657

29 sept 2009

NB : Une précédente critique du terme « société civile » dans un texte de 2008
Les ambiguités de la notion de société civile.

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article435

Le sens commun distingue la société civile de l’Etat ce qui ne dit rien des conceptions en présence de la dite société civile. François Houtart (1998) a posé une triple distinction fort pédagogique, reprise dans l’altermondialisme, par Thierry Brugvin notamment (1) qui n’est pas pleinement satisfaisante.

* La conception non analytique (angélique) de la société civile est véhiculée par beaucoup d’ONG humanitaire. Elle ne prend pas en compte les rapports sociaux basé sur l’exploitation de la force de travail et les autres rapports de dominations à l’oeuvre dans la société civile. Dans cette conception, la société civile est un secteur opposé à l’Etat comme contre pouvoir. Elle se base sur la simple dénonciation des abus du capitalisme.

* La conception préanalytique (néolibérale ou sociale libérale) voit bien l’existence de rapports sociaux mais elle les pose comme relevant d’une loi de la nature, comme imposé par le marché, lui même étant conçu comme naturel. Ici la société civile signifie surtout monde de l’entreprise ; Les associations citoyennes ou les syndicats ont un rôle à jouer comme partenaire dans le cadre de la gouvernance globale ou de la gouvernance d’entreprise. Ces acteurs secondaires peuvent pallier les insuffisances du système, notamment quand l’Etat libéral libéralise le secteur social. Le communautarisme religieux peut offrir aussi une solution correspondant à cette vision libérale de la société civile.

* La conception analytique populaire issue de Gramsci : « La société civile se situe bien au carrefour du marché et de l’Etat, distincte mais en relation dialectique. (...) Elle se compose de l’ensemble des actions collective, fruits des ONG et des syndicats stratifiés en groupes et structurés en classes »

En fait, la conception néo-gramscienne de François Houtart de la société civile ne fait que considérer une frange de la société civile. Il procède comme les libéraux mais en prenant d’autres acteurs que les entreprises et les capitaliste. Pour Thierry Brugvin cela nuit à une lecture claire des enjeux politiques (p59) . « A noter que Houtard ne fournit pas une définition précise de cette frange de la société civile qui lutte notamment pour la défense des classes populaires. » Dans un texte de 2005 ( ) François Houtard parle de société civile d’en-bas mais sans dire qui est la société civile d’en-haut. Face à ces difficultés il semble préférable de parler du mouvement social anti-systémique national et international voire mondial avec ses différentes composantes. Parallèlement, l’idée de peuple-classe est à développer (Delarue-2008 *).