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Altermondialisation : Fondamentalisme ou nouvel humanisme ?

samedi 17 mai 2008, par Amitié entre les peuples

par Pierre TARTAKOWSKY le 15/01/2003

Pierre Tartakowsky, secrétaire général d’Attac a été invité à s’exprimer devant le Grand orient de France le vendredi 22 novembre sur les liens existant entre le mouvement altermondialiste et l’humanisme. Nous publions ici le texte de son intervention.

Préambule :
En quelques années, un mouvement international s’est fait jour à la surface de la planète, en rupture avec la pensée libérale et centré autour d’une approche critique des politiques dites de « mondialisation » ou de « globalisation ». De Seattle à Florence, ce mouvement reste dynamique, rassembleur et a réussi à imposer ses thèmes au débat public, à générer des attentes d’alternatives. Un tel phénomène, aussi rapide, et avec un impact aussi puissant à peu de précédent dans l’histoire moderne.

Ce mouvement, qui apparaît en grand lors de l’Assemblée générale de l’Organisation mondiale du commerce (Omc) à Seattle, est à la fois nébuleux (au sens de nébuleuse) et construit ; il possède une dynamique, des modes de communication et un « agenda » qui lui sont propres, tend à un langage commun et à des valeurs partagées (une culture), issues entre autres des terreaux tiers-mondiste, écologique, marxiste, keynésien…

Il partage également une politique de stigmatisation des Institutions financières internationales que sont le Fonds monétaire international, le Banque mondiale, également de l’Omc ou de la Banque centrale européenne ; il vilipende enfin les « marchés » , accusés d’avoir fait main basse sur la démocratie.

Cette croissance, sa dimension internationale, sa capacité à occuper des espaces politiques laissés de fait en déshérence, ses appels à rupture (« un autre monde ») invitent à analyser le phénomène sur sa nature profonde et les relations qu’il entretien à l’histoire de la pensée démocratique et humaniste. S’agit-il – au-delà des mots, d’un avatar fondamentaliste et donc régressif, voire pire ou bien à l’inverse, d’une nouvelle figure de l’humanisme, porteuse d’espoir ?

Pour répondre a cette question, deux brefs détours ; le premier pour présenter rapidement Attac qui, en France et à l’étranger, apparaît comme une figure notable de ce mouvement ; le second pour préciser l’objet autour duquel se nouent conflits et débats, c’est à dire la mondialisation.

Attac, un objet en construction
Attac est créé en France en juin 1998 après un appel lancé par le Monde diplomatique. Cet appel provoque la rencontre d’autres titres de presse (Politis, Témoignage chrétien, Alternatives économiques, Transversales), des organisations syndicales (la Fsu, la fédération Cgt des finances, Snui, fédération Cfdt des finances, des transports, l’Ugict Cgt, Sud Ptt), et des associations qui recouvrent le champs des « sans », du développement, du commerce équitable, de la dette… La convergence s’opère autour d’une charte et s’appuie sur plusieurs refus, une conviction, un outil. Le premier de ces refus est celui de la pensée unique, du fameux Tina (There is no alternative) de Mrs Thatcher. Le second vise le monopole de décision par des élites plus arrogantes qu’expertes, le troisième la démission affichée par la sphère du politique face à l’autocratie financière. La conviction qui accompagne ces refus c’est qu’il est possible de faire prévaloir la démocratie, le progrès social, un développement respectueux de l’environnement sur l’hégémonie financière. Que les peuples peuvent peser sur les décisions, et inverser les logiques dominantes. L’outil mis en avant pour symboliser cette réflexion est la taxe Tobin. Cette idée correspond parfaitement au contexte mondial d’alors ; aux événements sociaux de 1995/1996 en France font échos les crises financières d’Amérique latine, d’Asie, de Russie. La mobilisation des opinions publiques contre l’AMI souligne alors qu’une contre-offensive victorieuse est possible contre la loi des marchés... Attac se définit comme une association citoyenne. Le succès est immédiat : des milliers de femmes et d’hommes adhèrent sur une démarche très offensive. Ce succès se construit autour de plusieurs éléments : - La rupture avec l’hégémonie ultra libérale s’accompagne du besoin d’être concret, pragmatique, utile, bref, de la nécessité d’alternatives crédibles portées par le plus grand nombre - La taxe Tobin apparaît comme une « porte d’entrée » pédagogique, accessible et sérieuse sur les enjeux de la crise financière, de l’ordre financier international ; en se fixant l’objectif de réduire les inégalités et les marges de manœuvre des logiques dont elles procèdent, elle dessine la possibilité d’un « autre monde ». - Ce travail ne peut s’opérer que dans le rassemblement le plus large des acteurs, en articulant contre-expertise scientifique et pratiques de terrain, savoirs savant et savoir militants, réalités nationales et internationales.

Fondée à la fois comme une association et une campagne, Attac est devenue aujourd’hui un mouvement revendicatif, social et citoyen. Elle compte en France près de 28000 adhérents, 220 comités locaux militants et actifs, travaille avec trois coordinations d’élus républicains au Parlement, au Sénat, au Parlement européen, regroupe plus de soixante collectivités locales et des centaines de personnalités, associations, syndicats d’entreprises et de branches. Cette évolution l’amène à se définir – clin d’œil à un héritage historique - comme mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action. Tout en s’en tenant à cette définition, l’association portée par son succès, diversifie son champ d’intervention, au fil d’événements d’actualité (Erika, Danone, services publics, Europe, 11 septembre) ; cette dynamique, qui doit beaucoup à la crise de la représentation politique, l’inscrit en permanence dans une posture de « déclencheur démocratique » qui l’amène a faire « bouger les lignes », frontières traditionnelles existant entre acteurs politiques, acteurs syndicaux et associatifs.

Attac rompt avec la tradition monothématique de la plupart des associations en construisant un discours anti libéral ce qui l’amène en permanence à ajuster ses priorités d’intervention ; elle s’articule aux autres acteurs en fonctionnant comme un lieu de rencontre et de maillage. Ceci vaut autant au plan national qu’au plan international, au travers de coopérations fortes nouées avec les campagnes Dette, la Marche mondiale des femmes, des acteurs tels que Public citizens, Focus on the global South, etc. Enfin, son rapport à la sphère politique est souple. Elle n’est pas exclusive de la représentation politique, même si elle veille à son indépendance notamment vis-à-vis des Etats et des partis. Cette démarche à amené <Attac a être à l’origine du Forum social mondial de Porto Alegre.

Lieu symboliquement inversé de Davos, où se tenait le World economic forum, le Fsm est un espace ouvert ; chacun y vient avec ce qu’il est, ce qu’il porte ; c’est un espace de débat ; un espace de maillage des campagnes et de convergence militante. Pour autant, personne n’y est contraint. C’est le premier espace ouvert au monde ou la mondialisation est publiquement en débat, en termes de dénonciation certes, mais également en termes de propositions. Il n’est pas sans importance de noter que ce modèle démocratique s’exporte puisqu’il a été récemment décliné à Florence, sous forme de Forum social européen.

De quelle mondialisation parle-t-on ?
Le terme de mondialisation est ambigu et peut générer une série de faux débats inutiles. Les anglo saxons lui préfèrent a juste titre l’expression globalisation et même de « corporate lead globalisation ». La mondialisation renvoie – au moins – a trois dimension distinctes.

La première touche au moment d’histoire particulier du développement humain. Notre planète apparaît comme finie, fragile, les interconnections sont immédiates dans un espace/temps qui s’est rétréci. Les questions de la biosphère, de la gestion des ressources, des biens de l’humanité, de la santé face aux pandémies sont des questions d’emblée mondiales qui appellent des réponses globales.

La seconde participe de l’évolution technologique. Comme la précédente, elle est objective ; les réseaux informatiques, d’information et autres, la maîtrise spatiale, la rétraction espace temps, l’organisation du travail au plan mondial sont des avancées qui soulèvent des problèmes nouveaux mais qui ne sont pas en elles mêmes négatives, bien au contraire. Elles autorisent et appellent en fait une expansion de la sphère des libertés individuelles et collectives, bref un progrès de l’humanité. Mais ce progrès n’est en rien fatal ; il dépend des politiques qui lui sont appliquées.

C’est notre troisième dimension. Les politiques qui construisent en termes de constructions sociales ce moment sont d’essence libérales et plus exactement « laissez fairistes » selon le mot d’un économiste libéral. Concrètement elles se sont traduites par des politiques agressives de déréglementation, privatisation, libéralisation. Philosophiquement, elles priorisent l’initiative et la liberté individuelle sur l’action publique (There is no such thing as a society) et renvoient l’individu a ses seuls talents, capacités, prévoyance. Au plan strictement économique, elles militent de façon fondamentaliste pour une sainte trinité : la liberté de circulation des capitaux, des marchandises, de l’investissement. Cette trinité a son église : l’OMC, ses officiants, le Fmi, l’OCDE, son enfant de chœur : la Banque mondiale. Les gouvernements nationaux, déstabilisés par les processus agressifs mis en œuvre par les Etats-Unis (Télécoms, aviation, autoroutes de l’information), suivent de plus ou moins bon gré.

Enfin, il ne s’agit pas simplement d’un continuité historique. L’histoire de l’humanité n’est que l’histoire de la mondialisation, c’est à dire de la découverte par l’humanité elle même de son ampleur et de sa diversité. Mais contrairement a la phase d’expansion coloniale par exemple, cette phase est celle d’une globalisation uniformisante, abandonnée à l’initiative des acteurs du marché : Mnc’s, marchés financiers, fonds de pensions, hedge funds, etc

Une mondialisation inégalitaire
C’est bien cette mondialisation là qui se construit sous nos yeux et celle là seule que nous dénonçons comme une imposture dangereuse. Une imposture parce que contrairement a ce que l’étiquette annonce, elle laisse sur le bas coté du développement la majeure partie de l’humanité. La politique de la dette et des plans d’ajustement, les directives du G7 puis du G8, le monétarisme et l’austérité ne font en effet que renforcer les inégalités au plan mondial. Chaque année, le rapport sur le développement humain dresse le bilan terrible de ces inégalités. Depuis que les marchés financiers ont été libérés, elles ont explosé et se sont diversifiées. Les écarts de revenus entre pays se creusent ; les inégalités domestiques au sein des pays de l’Ocde également ; la Suède, la grande Bretagne et les Etats-Unis enregistrent les dégradations les plus importantes. Le nombre de familles vivant en de ça du seuil de pauvreté explose ; l’exclusion a explosé ainsi que les salariés pauvres… En contrepartie, la concentration des richesses est inimaginable.

Quelques chiffres :
De 94 à 98, la valeur nette cumulée des biens des 200 personnes les plus riches de la planète est passée de 440 milliards de dollars à plus de 1000 milliards EN 98, les patrimoines des trois personnes les plus riches du monde dépassaient le PIB des 48 pays les moins avancés. La moitié de l’humanité vit avec un revenu en dessous de deux dollars par jour. L’accès a l’eau potable, une alimentation suffisante, l’accès aux médicaments existants restent pour une majeure partie de l’humanité un inaccessible conte de fées. Et les flux financiers sont toujours majoritairement du Sud vers le Nord. Ces inégalités préexistaient à la mondialisation libérale. Mais celle-ci les a aggravé en mondialisant les économies, en manipulant les termes de l’échange, en endettant les plus pauvres, en appauvrissant les pays qui commençaient à sortir la tête de l’eau (Tigres et dragons) ; elle a miné les politiques d’aide et d’investissement, voir l’Afrique noire. Aujourd’hui elle théorise ses inégalités comme une incitation au développement. Elle est de fait, excluante et exclusive, incapable de relever les grands défis de l’humanité tels que la faim, la santé, l’éducation et la formation, la paix. Alors que les libéraux en avaient fait la promesse, c’est tout le contraire qui s’est produit.

Ce n’est donc pas la mondialisation en général qui est prise en ligne de mire, mais une mondialisation particulière, la mondialisation libérale. En ce sens, Attac n’est pas antimondialiste mais « réformiste », au sens ou il s’agit de peser sur les politiques et les processus de globalisation des économies, afin d’en inverser les logiques sociales, économiques, culturelles et politiques. Pour Attac, ce n’est pas le multilatéralisme – tout relatif - de l’Omc qui est critiqué mais ses fondements libéraux. Ce n’est pas le principe de l’investissement extérieur qui est combattu mais ses prétentions hégémoniques ; ce ne sont pas les mouvements de capitaux qui sont stigmatisés mais leur moteur d’hyper rentabilité. De même Attac estime urgent d’apporter des réponses réellement mondialistes. La taxe Tobin se veut un impôt mondial ; de même, il faut une organisation mondiale du commerce qui permette aux pays du sud de respirer, qui vise à protéger les richesses essentielles – c’est à dire celles qui n’ont justement pas de prix – d’un impensé global de marchandisation. Oui, il faut que les capitaux circulent ; mais au service de l’investissement productif, d’éducation, de santé, du développement durable.

C’est à partir de ces critiques et aspirations qu’on comprend le mouvement critique tel qu’il émerge à Seattle.

De quel mouvement s’agit-il ?
La folie de Midas est double : elle participe d’une obsession d’appropriation qui provoque une minéralisation globale dont l’homme Midas finit par être victime. Au-delà des formes, des apparences, ce mouvement est d’abord une protestation humaniste contre l’hégémonie des critères financiers. Il enracine et valide cette conviction dans des campagnes mondiales qui tendent à leur opposer le » développement durable, l’annulation de la dette, l’interdiction des mines anti personnels, le commerce équitable, l’interdiction du travail des enfants, du travail servile, des mobilisations des femmes contre la misère et la violence, du droit de viv re des communautés indigènes, de la santé des consommateurs contre la mal bouffe, du droit de la propriété intellectuelle et du refus du brevetage du vivant. Autant de combats attentifs a la valeur de la vie, de l’individu dans sa composante culturelle, humaine. Il se manifeste autour des grandes réunions internationales du G7, de la Banque et du Fmi, puis des accords de libre échange… Ses acteurs sont essentiellement associatifs, souvent spécialisés sur des enjeux transverses mais spécifiques : défense du consommateur, protection d’espèces animales ou de biotopes, défense de populations (indigènes, femmes), annulation de la dette, commerce équitable, associations de développement, accès à l’eau, aux médicaments… La création de l’Omc et la volonté d’accélérer l’intégration mondiales des procédures commerciales, crée paradoxalement les conditions d’un élargissement de ce premier cercle aux poids lourds que constituent les organisations syndicales. Un moment dérouté, voire méfiant, par l’émergence de ce champ hors entreprise, le mouvement syndical en saisit rapidement les enjeux économiques et sociaux en termes de concurrence, d’emploi, de solidarité. Même si c’est avec de grandes inégalités, il s’implique donc dans ce processus d’action, à partir de préoccupations qui lui sont propres.

La « surprise » de Seattle n’en est donc une que pour les observateurs inattentifs ; elle est préparée en fait par la circulation d’un texte sur internet qui fait office a la fois de charte revendicative et de programme d’action. Le modèle appliqué ici est celui là même qui a réussi à faire échouer la négociation de Paris sur l’Accord multilatéral sur l’investissement, modèle dit de Dracula : exposition à la lumière des enjeux de négociation. Plus de quinze cents associations et organisations syndicales souscrivent à ce texte et savent donc sur quelles bases elles se retrouvent à Seattle.

La diversité que cela recouvre sera noté par tous les observateurs, c’est la fameuse « alliance des sidérurgistes et des « hommes papillons », tant décriée au lendemain des manifestations comme « hétérogène ». Mais cette hétérogénéité est revendiquée par ce « mouvement » comme le signe même de sa représentativité (le monde n’est pas homogène, plusieurs mondes sont possibles), de sa nature démocratique (le débat est mené, dessine une convergence mais dont la mise en œuvre n’étouffe personne), de sa capacité à porter des alternatives (les problèmes sont a la fois trop globaux et trop complexes pour se voir appliqués des solutions ou des potions ready made ).

Au lendemain de Seattle, l’évidence libérale est bousculée ; ses outils largement délégitimés et la question d’une alternative est posée non pas à ses architectes mais à ceux qui en contestent la légitimité. Depuis, le mouvement critique de la mondialisation a marqué de nombreux points. I a imposé ses problématiques dans le débat. La taxation de la spéculation est aujourd’hui un scénario présent dans toutes les discussions internationales ; personne ne défend plus le système de la dette, et plus important encore, il a réhabilité l’espoir, sans lequel aucune construction de progrès n’est possible. Qualifié à ses débuts de bande de zozos, il constitue aujourd’hui une force politique mondiale avec laquelle il faut compter et ses thématiques sont reprises, jusque et y compris par des Etats et des personnalités politiques éminentes comme le Président de la République française. Dans certains dossiers , ce sont ses vues qui ont prévalu, comme pour les médicaments génériques. Pour autant, il reste marginalisé et le cas échéant soumis a la répression et a la criminalisation, comme à Gênes. Ce paradoxe est une des formes de la crise de la sphère politique, incapable jusqu’à présent d’organiser le dialogue en des termes satisfaisants, c’est à dire permettant de déboucher sur de nouveaux compromis sociaux correspondant à notre époque historique, celle de la mondialisation.

S’appuyant sur cet échec démocratique, la plupart des gouvernants et des commentateurs s’en prennent au mouvement critique et le somment de produire des alternatives, clés en mains. Dans le même temps, ils passent leurs intentions au crible d’une critique plus polémique que fondée. Ils se voient taxés d’être régressifs au plan économique (relocalistes), réactionnaires au plan politique (car dépréciant le multilatéralisme), simplistes au plan idéologique (les marchés étant un nouveau bouc émissaire), stériles enfin car incapables de formuler précisément des alternatives. L’accusation de fondamentalisme n’est pas loin. Elle resurgira de façon régulière, plus particulièrement après les attentats terroristes du 11 septembre.

Toute rupture critique est-elle un fondamentalisme ?
Le succès d’Attac lui confère des responsabilités qui se lisent dans les attentes de la société à son égard, doublées d’interrogations, voire d’interpellations.

Au premier rang desquelles on retrouve le procès d’éternité fait à l’utopie comme tentation globalitaire et « dévoreuse d’hommes ». Dans la lignée de la réflexion popularisée par François Furet sur la révolution de 1789, tout projet de changement devient suspect de visées totalitaires ; dans ce cadre, le discours stigmatisant d’Attac sur « la dictature des marchés » est assimilé à une chasse aux sorcières, une désignation de boucs émissaires de type populiste, nourrissant des discours exclusifs et d’extrême droite. Au lendemain du 11 septembre, cette accusation ira au bout de sa logique en formulant de façon claire un lien direct entre la mise en cause du libéralisme et l’agression terroriste contre les Twin towers (« on commence par démonter un Mac Do et on finit par poser des bombes »…) Au-delà de son caractère odieux, ce type d’amalgame vise évidemment à désarmer toute velléité de rupture avec « l’ordre des choses » et à ramener à des marges toujours plus étroites l’expression de la contestation de cet ordre.

Il serait évidemment tentant d’y répondre en soulignant le caractère profondément injuste de l’ordre en question, en revenant sur les inégalités qu’il génère, les drames qu’il entretient, les dangers qu’il accumule. Mais cela serait insuffisant, tant il est vrai qu’à un mauvais ordre du monde, on peut toujours substituer un ordre pire.

Ce n’est donc pas dans les turpitudes du système tel qu’il est qu’il faut chercher à légitimer les acteurs critiques tels Attac mais dans l’analyse des valeurs qu’ils portent et dans les pratiques qu’ils développent au service de leur projet de rupture, sachant que ni les premiers ni les secondes n’échappent sui generis aux dérives possibles des jeux du pouvoir et de sa conquête.

Un nouvel humanisme
Les mobilisations démocratiques qui se renforcent et s’étoffent depuis Seattle n’ont jamais fait couler une seule goutte de sang ; elles expriment des valeurs internationalistes, la conviction que la démocratie globale doit l’emporter sur la globalisation financière. Plus profondément, ces mobilisations sont attentives à la vie, attentives aux problèmes d’environnement, soucieuses de ne pas voir le vivant se minéraliser, devenir marchandise. On est donc ici aux antipodes des cultes mortifères du terrorisme, de la hiérarchisation raciale, de l’exclusion religieuse quels qu’ils soient ; aux antipodes de toute haine, identitaire ou autre.

En ce sens, le mouvement critique de la mondialisation libérale s’affirme bel et bien comme héritier de l’héritier de la pensée humaniste, autant qu’un nouvel humanisme. Nouveau non pas tant en ce qu’il en renouvellerait profondément les termes mais en ce qu’il l’inscrit comme alternative dans l’espace monde défini par le libéralisme. Egalement en ce qu’il affronte les défis existentiels que l’humanité se pose a elle-même au travers de la menace de guerre mais aussi des vertiges techno scientifiques qui menacent l’espèce, sous forme de fabrication de chimères par exemple. C’est cette dimension humaniste qu’exprime le mot d’ordre ancien « Le monde n’est pas à vendre » : de fait, la phase actuelle du capitalisme atteint une phase nouvelle, qui est bien celle de la marchandisation non pas de l’homme – celle là est aussi vieille que le monde), mais du vivant, par la brevetisation, qui rend propriétaire telle multinationale qui aura « découvert » une molécule, ou le génome, par la manipulation génétique, qui dépossède l’agriculteur de ses graines. Où l’on retrouve le roi Midas… En lui opposant le mot d’ordre« Un autre monde est possible », Attac propose en fait de « remettre l’économie au service de l’homme et non pas l’homme au service de l’économie. »

Combiner l’utopie et le projet
S’inscrivant dans un courant de critique de la « pensée experte » et de la « pensée unique », il leur oppose l’évidence de la raison et des pratiques sociales. De ce point de vue, si ce mouvement se nourrit d’utopie (« un autre monde… »), il n’est pas utopique (« est possible ! » dans la mesure où il s’appuie moins sur un pré projet idéologique (socialisme, communisme, mutualisme, relocalisme, écologisme…), que sur « l’addition » des expériences de luttes sociales, nationales, bref sur le conflit démocratique, addition qualifiée « d’archipel des résistances » et appelée a se transformer en « continent » par un travail continuel de « maillage » des acteurs, des préoccupations, des campagnes. Le changement n’est donc pas renvoyé à un hypothétique lendemain chantant, à une post prise du pouvoir, mais se construit dans la tentative d’abolition quotidienne du « réel ». Sans « grand projet » clé en main, Attac n’est pas sans projets.

Je le répète, ces projets n’ont évidemment rien de solutions de prêt à porter. Parmi elles, on retiendra celles qui visent à un nouvel ordre financier : annulation de la dette, réorientation des politiques de la banque, interdiction des paradis fiscaux ; des orientations sociales en considérant que le travail est au centre de la construction sociale, et que ses fruits doivent s’inscrire dans une construction collective solidaire, ce qui implique une répartition des richesses plus juste. Au plan alimentaire, en réaffirmant le droit à l’autosuffisance alimentaire. Au plan commercial en rééquilbrant les termes de l’échange en faveur des pays du sud et en acceptant le fait que certains secteurs doivent être hors secteur marchand. Au plan culturel, par le respect et la promotion des échanges et des diversités, dans tous les domaines.

Conclusion
D’une façon plus philosophique, Attac considère que mondialiser les problématiques passe par une redistribution égale des richesses, de nouvelles régulations internationales, la construction de contre pouvoirs internationaux a la loi des marchés et des hégémonies. Cela entraîne de réaffirmer des droits et des valeurs. Droit à la démocratie, au développement, à l’éducation et à la santé, à la sécurité collective. Valeurs de liberté, en affirmant qu’on ne saurait la cantonner à la seule circulation des marchandises ; le onde des hommes, les hommes ont le droit de l’arpenter, de le découvrir. Valeurs d’égalité – notamment dans la sphère sociale, celle-là même ou les inégalités sont les plus effroyables et les plus dynamiques - et de fraternité, au sens d’un lien indissoluble entre les divers constituants de l’humanité. On mesure à cet énoncé qu’il s’agit bien là d’un tout autre monde, d’une toute autre mondialisation. Utopique ? Cela dépendra sans doute des efforts que nous saurons, les uns et les autres, déployer et faire converger ; mais en tout état de cause, au vu de l’état du monde, sa construction apparaît comme une ardente obligation humaine.

http://www.france.attac.org/spip.php?article1398