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ALTERDEMOCRATIE / AUTRE DEMOCRATIE : LE TRAJET ET LE BUT. C Delarue

mercredi 25 novembre 2009, par Amitié entre les peuples

AUTRE DEMOCRATIE : LE TRAJET ET LE BUT.

Conférence débat ATTAC Grand Ouest autour du volet « Démocratie » du Manifeste d’ATTAC.

par Christian DELARUE - 2007.

Le groupe « démocratie » d’ATTAC a fournie un travail varié tant sur les processus de démocratisation que sur la « démocratie réellement existante », ses limites et même ses régressions. Des éléments de « rupture franche » en vue d’une « autre démocratie » ont été dégagés. C’est dans cette compréhension des ruptures pour une alterdémocratie que s’inscrit les développements qui suivent. Les thèmes de la démocratie dans l’entreprise, de la démocratie en Europe - ce que je nomme « gouvernance européenne » - et la réforme de l’ONU sont exclus de cette introduction.

* Préliminaire spécifique : Altermondialisme et altermondialisation.

Tout d’abord il convient d’avoir à l’esprit que l’altermondialisme signifie deux choses qui vont ensemble mais qu’il faut distinguer : d’une part le but qui est un autre monde, une autre Europe, une autre France et d’autre part les processus sociaux concrets convergents vers cette perspective que l’on nomme altermondialisation. Evoquer continuellement le processus - l’altermondialisation - sans dire le but - l’autre monde- c’est ce que j’ai nommé ailleurs mouvementisme. Le mouvementisme qui lutte en oubliant le but et les ruptures nécessaires pour y accéder n’est pas l’altermondialisme. L’altermondialisme ne forme pas un programme stratégique élaboré « par en haut » et mis en application par un parti discipliné à cette fin mais un projet non exhaustif, « non bouclé », construit collectivement « en avançant » par l’action et le débat. C’est là sans doute le fruit de la crise du mouvement ouvrier international dont ATTAC est l’avatar.

S’agissant de notre thème, que j’ai appelé alterdémocratie ou « autre démocratie », il constitue le but recherché et la démocratisation n’est que le processus qui conduit à cette autre démocratie citoyenne et populaire. Cela doit être clair, notamment au regard de la « généralisation de l’intervention citoyenne » évoquée par le Manifeste qui relève du moyen à proposer sans évoquer le but. Cette généralisation de l’intervention citoyenne mérite d’être précisée en notant bien qu’elle implique des changements structurels profonds, une révolution multiforme.

Sur ce point, pour construire un autre monde, le Manifeste d’ATTAC propose de « scier les principaux piliers du néolibéralisme » ; ce qui signifie d’abord rompre avec trois logiques profondes du capitalisme que sont la financiarisation du monde, l’appropriation privée des moyens de production (sans la supprimer partout), la distribution des biens et services par le marché nécessairement sélective et inégalitaire car fonction de la demande solvable. Il ne s’agit pas de supprimer totalement le marché mais de réduire sa place et son influence qui place, via la concurrence généralisée et la « main invisible » du marché, les forces du profit avant tout et notamment des firmes multinationales au lieu et place d’un espace de décision démocratique pour le peuple et les citoyens ordinaires. L’alterdémocratie suppose aussi cette appropriation sociale.

Mais cela signifie aussi rupture avec les institutions politiques et administratives qui reproduisent le mode dominant de gestion-distribution du pouvoir et des pouvoirs. De nombreux changements à engager concernent les institutions du pouvoir d’Etat, du pouvoir décentralisé, du pouvoir répressif pénal et policier, du pouvoir d’influence idéologique médiatique.

I - LA DEMOCRATIE VERITABLE, c’est le pouvoir populaire, tout le pouvoir au peuple !

C’est là une « accroche » qui part d’un idéal démocratique, d’une compréhension quasiment utopique de la démocratie. Histoire de voir le chemin à parcourir et de rester tendu par la perspective pleinement démocratique et non par l’aménagement marginal de l’existant. Le trajet relève de la démocratisation le but est l’autre démocratie.

Le terme de démocratie a connu plusieurs définitions et s’est vu accompagné d’adjectifs divers venant préciser le type de démocratie évoqué. A s’en tenir à la racine, démocratie signifie pouvoir du peuple. Une définition forte qui oblige à engager une réflexion à la fois sur le pouvoir et sur le peuple.

* LE POUVOIR matérialisé par la capacité de décision et donc d’imprimer un choix d’orientation se manifeste dans les sociétés modernes au sein de deux grandes sphères distinctes mlême s’il y a interpénétration : le pouvoir d’Etat et les pouvoirs dans la société civile. A ce stade je dirais qu’on ne saurait l’envisager que d’un bout, soit du seul côté de la société civile, soit du côté de l’Etat. Par ailleurs on se trouve devant deux gros monstres problématiques - la nature de l’Etat et la division Etat/société civile qui ne vont pas être abordé ce jour et qui pourrait donner lieu à une formation plus pointue.

* Le PEUPLE est le sujet collectif de la démocratie. Les altermondialistes évoquent aussi complémentairement d’autres sujets collectifs : multitudes, masses, société civile, mais aussi « couches populaires » (qui ne comprend dans une société de classes que les catégories sociales les plus basses : ouvriers et employés par exemple). Le terme peuple ne figure pas dans le dictionnaire Alter. Une première grande division distingue le peuple ethnos - aspects ethniques et culturels - du peuple demos - aspects sociaux et démocratiques . Patrick TORT inscrit le peuple dans un rapport social dirigeant / dirigé, qui est plus large (car non réduit à la sphère étatique) que le rapport plus classique entre l’élite des gouvernants et la masse populaire gouvernée. Pour les altermondialistes, le peuple est sur un territoire donné l’ensemble de la population résidente y compris celle d’origine étrangère qui n’est pas considérée aujourd’hui comme citoyenne. Dans cette perspective théorique on attire l’attention sur le fait que la classe sociale dominante est à la fois au-dessus du peuple et dans le peuple . Elle est à la fois citoyenne - au sens restreint de la participation aux élections - et en forte capacité de peser sur l’orientation d’un Etat, sur l’économie du pays. C’est le mérite de la science politique d’avoir dévoilé l’importance des groupes de pression. A ce titre, on soulignera que la force du MEDEF est sans commune mesure de celle des syndicats de salariés. Il y a aussi l’importance des réseaux relationnels qui fait que la bourgeoisie est un groupe humain à part, « une section de peuple », la seule vraie classe dit Monique PINCON-CHARLOT.

II - LA DEMOCRATIE LIBERALE

A - Une « démocratie » très restreinte !

Si l’idéal démocratique recoupe la formule de A Lincoln du « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » alors il est aisé de remarquer que notre démocratie actuelle en est loin, très loin. Pourtant la formule figure dans la Constitution française de 1958 .
Nous vivons dans une démocratie « peau de chagrin », très restreinte voire rabougrie tant dans le temps que dans son espace d’exercice.

* ESPACE : Le domaine d’exercice privilégié est celui de la démocratie représentative qui consiste à élire des représentants dans le champ politique. Le champ d’intervention citoyenne est donc circonscrit. Les modalités de ce choix sont de plus très encadrées par un dispositif complexe celui des partis politiques et des grands appareils d’influence idéologiques qui réduisent de milles façons la portée du geste démocratique.

* TEMPS : Quant au temps démocratique, il est ridicule faible au regard du temps travaillé et du temps de récupération de la force de travail comme du temps consacré à la consommation marchande. Le temps aliéné et exploité est largement supérieur au temps démocratique formé par le temps de l’information et du débat en plus du geste démocratique proprement dit . La démocratie est de fait confisquée par une minorité qui gère le processus démocratique en le mettant sous tutelle ainsi que le dit le Manifeste. Ces propos amène à dire qu’il s’agit d’une « démocratie bourgeoise », c’est à dire bénéficiant à une classe, à une oligarchie . Mais il faut dire aussi dans la foulée que la démocratie libérale existante est une longue conquête ouvrière . C’est le mouvement ouvrier et le mouvement féministe qui a élargi la citoyenneté au-delà de la figure initiale du propriétaire .

Cette caractéristique particulière permet d’affirmer que la démocratie existante est à la fois manipulation de l’opinion et point d’appui pour le changement . Elle est donc par nature conflictuelle (cf contribution « Démocratie et pouvoir »). Il ne s’agit donc pas seulement de critiquer une « démocratie formelle » pour la faiblesse de ce qu’elle affiche dans ses textes fondamentaux, bien que ce soit nécessaire. Il s’agit aussi de critiquer les processus d’appropriation du fait démocratique par des couches sociales précises, élites politiques, élites médiatiques, dirigeants économiques le tout sur fond de crise sociale qui accentue la dépossession populaire.

Pour sortir de ce type de démocratie confisquée par une minorité - qui est plus une classe possédante qu’une aristocratie (des meilleurs) - il nous faut maintenant dessiner à grand traits cette autre démocratie et faire des propositions qui organisent une transition vers elle.

Auparavant un détour critique s’impose par l’explicitation 1 de la démocratie représentative et 2 de la démocratie participative.

B - La démocratie représentative : conceptions et critiques

Elle n’est pas à rattacher exclusivement à la démocratie libérale. La République sociale et même la République socialiste en use. La démocratie représentative se conçoit sous deux formes (cf diaporama sur le site attac 35) dont l’une est meilleure que l’autre mais même dans ce cas nous sommes encore dans un cadre restreint .

http://www.local.attac.org/35/Diaporama-propositions-sur-la.html

Les avatars modernes de la démocratie représentative :

Face aux critiques scientifiques de la représentation et au discours sur la « crise de la représentation » deux axes de réforme sont apparus : l’un par le bas plaide pour la gouvernance, l’autre par le haut fait oeuvre d’inventivité via la démocratie participative.

a) La gouvernance néolibérale tend à substituer à la démocratie représentative une institutionnalisation de lieux de décisions ou interviennent des experts, des élus (qui ne sont pas le cadre de leur mandat direct), des réprésentants de la société civile qui sont des patrons, des syndicalistes, des représentants religieux, des associatifs. L’intégration des délégués syndicaux dans ces instances notamment au niveau européen est un danger pour les syndicats, d’autant que sévit parallèlement partout dans le monde une forte répression contre les syndicalistes de terrain.

b) La démocratie participative se conçoit à côté de la démocratie représentative pour l’améliorer . Elle vise à soumettre aux débats des citoyens des dossiers qui ne le sont guère. Quelle est sa nature ? Béquille complémentaire de la démocratie représentative ? ou point d’appui pour une transition ? La démocratie participative est l’objet d’un enjeux : soit elle ne reste qu’un complément - de surcroît aisément manipulé par les élus - de la démocratie représentative, soit elle subvertie son cadre et permet un dépassement vers autre chose. La démocratie participative s’inscrit alors dans un cadre subversif global plus vaste de démocratisation générale de la société. J’ai tendance à penser ce processus comme l’aboutissement d’un mouvement de contestation sociale qui débute « en contre » d’abord puis peu à peu s’émancipe et tend à vouloir prendre en main son destin dans tous les champs sociaux. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

III - QUID D’UNE AUTRE DEMOCRATIE ? tout autre chose que ce que nous connaissons !

Les choix démocratiques peuvent porter non seulement sur des individus titulaires de mandats mais sur des stratégies d’investissement productif au niveau national ou régional. Modifier la nature des mandats et élargir le champ de l’intervention d’une part à la détermination de la stratégie de l’entreprise (ce qui ne signifie donc pas la fin des gestionnaires) et d’autre part aux procédés de planification d’un alterdéveloppement (principalement producteur de valeur d’usage et moins de valeur d’échange) constitue deux ruptures franches avec la « démocratie bourgeoise » . On remarquera alors par rapport aux passages du Manifeste qu’il ne s’agit pas simplement de reconquérir les pouvoirs conquis jadis puis perdu avec la gouvernance néolibérale, un peu comme si un âge d’or démocratique avait précédemment existé. Il ne s’agit pas plus de se réapproprier un passé que le peuple n’a jamais conservé hors des rares et brèves périodes révolutionnaires.

La démocratie dans l’entreprise et la démocratie des choix de production planifié suppose un haut niveau d’auto-organisation du salariat, principal acteur de l’abolition du rapport social capital/travail.

Christian DELARUE est membre

 du groupe national « Démocratie » d’ATTAC

 du CA d’ATTAC France et délégué du MRAP membre fondateur d’ATTAC ;

Version revue en 2009