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AFRIQUE / Hécatombe chez les prépuces - A Fischetti Charlie Hebdo

dimanche 11 mars 2012, par Amitié entre les peuples

AFRIQUE / Hécatombe chez les prépuces

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Mis en ligne le jeudi 21 juillet 2011

Plusieurs pays africains sont en train de développer des campagnes de circoncision à grande échelle. Certains y voient la panacée pour lutter contre le sida. Pour d’autres — mais qui peinent à se faire entendre —, ce n’est qu’un leurre, et de surcroît dangereux.

Tous les jours, des dizaines d’Africains disent adieu à leur prépuce. Pas par religion ou tradition, mais dans l’espoir d’être protégés contre le sida. Ils se rendent dans un centre médicalisé (quand ce n’est pas chez le boucher), et, en une dizaine de minutes, hop ! c’est fait. Ils sont déjà des dizaines de milliers à avoir franchi le pas, au Kenya, en Ouganda, au Zimbabwe… Et ce n’est que le début.
L’Afrique du Sud compte circoncire 2,5 millions d’hommes d’ici à 2014. Elle vient même de lancer des compagnes de circoncision des détenus dans les prisons. Les volontaires seraient tellement nombreux que le ministre de la Santé de la province du KwaZulu-Natal se déclare « débordé ».
Encore mieux, toujours en Afrique du Sud. En guise de promotion de la circoncision, les organisateurs de la traditionnelle « Cérémonie des premiers fruits », qui s’est déroulée au mois de décembre, ont décidé de n’accepter que les hommes circoncis à la fête ! Je n’ai pas réussi à savoir si les 10000 participants ont vraiment montré leur bite à l’entrée.

 Latex et bistouri

Tout a commencé en 2008, après que des études ont conclu que la circoncision réduisait de moitié les risques de contamination par le VIH. En première ligne de ces travaux, le chercheur de l’Inserm Bertran Auvert. Scientifiquement, le phénomène s’explique par le fait que le prépuce contient des cellules qui servent de porte d’entrée au virus. Supprimez le prépuce, vous réduisez les risques de transmission. Depuis ces résultats, les campagnes de circoncision en Afrique ont obtenu de nombreux soutiens, qui vont de l’Organisation mondiale de la santé à la Fondation Bill Gates, en passant par des organisations israéliennes de promotion de la circoncision… Si la circoncision réduit vraiment les risques de contamination, rien à redire. Le problème, c’est que ça devient moins sûr dès qu’on creuse un peu.
Pour commencer, il faut préciser que la circoncision masculine ne protège absolument pas les femmes contre le sida. Ce qui relativise déjà son impact. Pour ce qui est des hommes, personne ne conteste la division par deux des risques de contamination. Mais, et c’est important : à court terme. Ce qui est contesté, c’est l’efficacité à long terme de la circoncision. Pour prendre une image, imaginez la roulette russe. Si vous mettez deux balles dans le barillet au lieu de quatre, vous avez deux fois moins de chances de mourir en appuyant une fois sur la gâchette. Mais si vous tirez sans cesse à longueur de journée, vous finirez par prendre une balle. En langage plus scientifique : une réduction des risques à court terme devient inefficace à long terme, au fur et à mesure qu’augmente l’exposition au risque. D’ailleurs, plusieurs recherches ont montré qu’il n’y a pas moins de sida dans les pays où les hommes sont traditionnellement circoncis que dans ceux où ils ne le sont pas (en mettant de côté les mœurs : le sida voyage moins dans les pays musulmans, où les braguettes sont fermées à double tour, mais ce n’est pas grâce à la circoncision).

 Circoncision : une capote percée

Surtout, la circoncision brouille le message sur la capote. La circoncision est efficace à 50%, la capote à 100%. Dans les pays qui circoncisent, les médecins doivent donc dire : « Faites-vous circoncire, mais mettez quand même un préservatif. » Vous croyez que les types vont faire ça ? Évidemment, non. S’ils optent pour le coup de bistouri, c’est parce qu’ils se croient protégés à faible coût, pas pour acheter des capotes hors de prix (dans beaucoup de pays africains, une boîte coûte une journée de salaire — et encore, pour ceux qui travaillent).
Quelques voix s’élèvent donc contre les campagnes de circoncision massive. Pas en France, certes. Mais aux États-Unis, on trouve des associations de médecins opposés à la circoncision1. En Afrique du Sud, le combat est mené par l’organisation Nocir. Pour son codirecteur, Shelton Kaye, la circoncision n’est que poudre aux yeux servant à « montrer que quelque chose est fait pour stopper le sida ». Il a même écrit une lettre ouverte au département de la santé de l’État du KwaZulu-Natal pour expliquer que « tout ce qui affaiblit le message sur le port du préservatif devrait être fortement découragé ». Mais qui écoute Shelton Kaye ? En Afrique du Sud comme ailleurs, quasiment personne.
S’engager dans des campagnes de circoncision à grande échelle revient pourtant — de fait — à abandonner la seule vraie méthode efficace : la diffusion massive de capotes gratuites. Mais il est vrai que ça coûte plus cher.

Antonio Fischetti
Article paru dans Charlie Hebdo n°969