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AFPS / La troisième Intifada ? Uri Avnery
dimanche 12 mai 2013, par
La troisième Intifada ?
Uri Avnery, dimanche 3 mars 2013
Est-ce la troisième intifada ? Cette question a été soulevée cette semaine par un certain nombre de spécialistes israéliens de la sécurité. Et pas seulement par eux – leurs collègues palestiniens sont presque aussi perplexes.
Dans toute la Cisjordanie, de jeunes Palestiniens ont lancé des pierres contre des soldats israéliens. L’ensemble des 4.500 Palestiniens détenus dans des prisons israéliennes ont pris part à une grève de la faim de trois jours.
La raison immédiate a été la mort d’un jeune homme palestinien au cours d’un interrogatoire par le Shin Bet. L’autopsie n’a révélé aucune cause de mort. Il ne s’agissait pas d’une crise cardiaque, comme prétendu d’abord (et automatiquement) par les autorités israélienne et leurs laquais, les soi-disant “correspondants militaires”. Alors s’agissait-il de torture comme le pensent pratiquement tous les Palestiniens ?
Puis il y eut les quatre prisonniers depuis déjà 150 jours en grève de la faim (atténuée par des ingestions forcées). Comme chaque famille palestinienne a en ce moment – ou a eu dans le passé – au moins un membre en prison, cela produit beaucoup de passion.
Alors s’agit-il bien de la troisième intifada ?
LES INCERTITUDES des spécialistes de la sécurité tiennent au fait que tant la première que la seconde intifada ont éclaté de façon inattendue. Les dirigeants israéliens comme palestiniens ont été pris de court.
La surprise israélienne fut particulièrement – disons, surprenante. La Cisjordanie et la bande de Gaza étaient, et sont encore, pleines d’informateurs israéliens. Des décennies d’occupation ont permis aux Services de Sécurité d’en recruter des milliers par corruption ou chantage. Pourquoi n’ont-ils pas réussi à savoir ?
Les dirigeants palestiniens, alors à Tunis, étaient eux aussi dans l’ignorance. Il fallut plusieurs jours à Yasser Arafat pour réaliser ce qui se passait et glorifier les “Enfants des pierre”.
La surprise tenait au fait que les deux intifadas furent complètement spontanées. Personne ne les avait préparées. C’est pourquoi aucun informateur ne pouvait avertir ses correspondants.
L’élément déclencheur de la première intifada fut un accident de la route. En décembre 1987, un chauffeur israélien avait tué plusieurs travailleurs palestiniens près de Gaza. Il en résulta une pagaille monstre. La seconde fut déclenchée par une provocation israélienne délibérée après l’échec de la Conférence de Camp David en 2000.
L’armée israélienne fut totalement prise au dépourvu par la première intifada. Le ministre de la Défense Yitzhak Rabin eut cette exclamation célèbre “Brisez-leur les os !” que certains officiers prirent à la lettre et exécutèrent consciencieusement. Quantité de bras et de jambes furent cassés à coups de crosse.
Bien que la seconde intifada fût également inattendue, l’armée était cette fois préparée à toute éventualité. Les troupes avaient été entraînées. Il n’y eut cette fois pas d’os brisés. Au lieu de cela, des tireurs d’élite avaient été placés auprès des officiers commandants d’unité. Lorsqu’une manifestation non-violente s’avançait, l’officier désignait le meneur et le tireur d’élite le tuait. Très rapidement le soulèvement non-violent devint très violent.
Je ne connais pas les plans de l’armée pour la troisième intifada. Mais on peut être sûr que même si elle démarre comme une protestation de masse non-violente, cela ne durera pas longtemps.
IL Y A DEUX SEMAINES, la chaîne 10 israélienne a présenté un documentaire sur la manipulation de la deuxième intifada par Ariel Sharon.
Elle commença lorsque le Premier ministre Ehoud Barak permit au chef de l’opposition Sharon de visiter le Mont du Temple, accompagné de centaines de policiers. Comme Sharon était un athée mangeur de porc, il n’y avait aucune raison religieuse à la visite. C’était une provocation, purement et simplement.
Lorsque Sharon s’est approché des sanctuaires musulmans, il fut accueilli à coups de pierres. La police tua les lanceurs de pierres en tirant à balles réelles. Et c’est alors que la seconde intifada s’est mise en route.
Arafat, dans sa lointaine Tunis, n’y était pour rien. Mais une fois l’intifadacommencée, il s’y rallia. Les cadres du Fatah local en prirent la direction.
Peu de temps après, Sharon est arrivé au pouvoir. Il a fait tout ce qui lui était possible pour alimenter le feu. Dans le documentaire, ses plus proches collaborateurs sont enfin interviewés et ils révèlent que Sharon avait fait cela tout à fait délibérément.
Il avait pour objectif de provoquer un soulèvement général, lui donnant un motif légitime de reconquérir la Cisjordanie, après qu’une partie eut été rétrocédée à l’Autorité palestinienne par les accords d’Oslo. Et pourtant, un grand nombre d’attentats suicides et d’autres violences fournissaient la légitimité nationale et internationale nécessaire pour l’Opération Bouclier de Défense (ou « Rempart ») par laquelle les troupes israéliennes investirent de nouveau toutes les villes de Cisjordanie pour y répandre la mort et la destruction. En particulier, les bureaux de l’Autorité palestinienne furent systématiquement saccagés, y compris les ministères de l’Education et des services sociaux. Arafat fut encerclé et isolé dans la Mouqata’ah (enceinte) de Ramallah, et maintenu virtuellement prisonnier pendant des années, jusqu’à son assassinat.
Dans le film, les conseillers ont admis volontiers que Sharon n’envisageait même pas une initiative politique pour mettre fin à l’intifada – son seul objectif étant de vaincre la résistance palestinienne par la force. Pendant l’intifada4.944 Palestiniens furent tués, contre 1.011 Israéliens. (Au cours de la précédente intifada, 1.593 Palestiniens et 84 Israéliens avaient trouvé la mort.)
Les Israéliens pensent que les méthodes brutales de Sharon ont été une grande réusssite. La seconde intifada s’est effilochée.
Y AURA-T-IL une troisième intifada ? Si oui, quand ? A-t-elle déjà commencé ou les récents événements n’ont-ils été qu’un sorte de répétition générale ?
Personne ne le sait, encore moins nos forces de sécurité. Il n’y a aucune information fiable de la part de nos agents. Encore une fois tout est spontané.
Une chose est certaine : Mahmoud Abbas, l’héritier d’Arafat, en a très peur. Il a attendu quelques jours, et puis, une fois sûr qu’il ne s’agissait pas d’un soulèvement général, il a donné l’ordre à sa police formée par les Américains d’intervenir pour mettre fin aux manifestations.
Bien plus, il a publiquement condamné les manifestations et accusé Benjamin Nétanyahou de les avoir délibérément fomentées.
L’une des causes de ce soupçon tenait au fait que vendredi la police israélienne n’avait pas interdit à de jeunes Palestiniens l’accès au Mont du Temple (“Haram al-Sharif”), comme elle le fait fréquemment quand il y a la moindre présomption d’agitation.
J’ai soumis la question à un cercle d’amis : en admettant un instant qu’Abbas soit dans le vrai, quel aurait pu être la motivation de Nétanyahou ?
L’un d’eux a répondu : il craint que Barak Obama, lors de sa prochaine visite, n’exige la reprise du “processus de paix”. Nétanyahou lui dira que, du fait de la nouvelle intifada, c’est impossible.
Un autre a avancé : Nétanyahou dira au Président qu’Abbas a perdu son autorité et qu’il n’est donc pas un partenaire crédible.
Et un autre encore :Nétanyahou va dire à l’opinion publique israélienne que nous sommes face à une situation critique, qu’il nous faut donc constituer immédiatement un gouvernement d’unité nationale. Tous les partis sionistes doivent être incités par leurs électeurs à s’y rallier.
Et ainsi de suite.
QUOI QU’IL EN SOIT, la question pertinente est de savoir si un soulèvement spontané est en vue.
Franchement, je n’en sais rien. Je doute que quiconque le sache.
L’absence de toute véritable initiative de paix rend une nouvelle intifada probable à un moment ou à un autre. Combien de temps peut se poursuivre une occupation dure sans être sérieusement contestée ?
D’un autre côté, il ne semble pas que la grande masse du peuple palestinien soit mentalement prête à se battre. Dans les territoires occupés, une nouvelle bourgeoisie est apparue qui a beaucoup à perdre. Sous les auspices des États-Unis, le Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, a réussi à stimuler une certaine forme d’économie, dans laquelle beaucoup prospèrent.
La perspective d’un nouveau cycle de violence ne séduit pas ces gens là, pas plus qu’elle n’a d’attrait pour les gens pauvres déjà totalement occupés à assurer leur survie quotidienne. Pour amener ces gens à se soulever, il vous faut un événement extrêmement provocateur. Cela peut arriver demain matin, ou d’ici des semaines ou des mois, ou pas du tout.
Abbas accuse le Hamas de fomenter de l’agitation en Cisjordanie gouvernée par le Fatah tandis que le Hamas lui-même, dans le même temps, respecte le cessez-le-feu dans son propre fief, la Bande de Gaza. En réalité, chacun des deux régimes, dans sa propre partie de la Palestine, a intérêt au calme tout en accusant l’autre de collaborer avec l’occupation.
(Il y a un siècle et demi, Karl Marx dénonçait les efforts de son adversaire socialiste, Ferdinand Lassalle, pour créer des coopératives de travailleurs. Marx soutenait que, dès lors qu’ils auraient quelque chose à perdre, les travailleurs ne se révolteraient plus. On prête à Lénine d’avoir dit que, si vous voulez une révolution, “Les pires choses sont ce qu’il y a de mieux”.)
PLUS IL Y A de gens des deux bords à parler de la troisième intifada, moins elle a de chances de se produire. Comme avaient coutume de dire les Allemands, les révolutions annoncées ne se produisent pas.
Mais s’il n’y a aucune fin de l’occupation en vue, la troisième intifada éclatera un jour, de façon tout à fait soudaine, lorsque personne n’en aura parlé, alors que chacun, des deux côtés, pensait à autre chose.
[Traduit de l’anglais « The Third Intifada ? » pour l’AFPS : FL]