Accueil > Altermondialisme > Altermondialisme / Internationalisme > Critiques, résistances et perspectives stratégiques > A propos de Le prophète et le prolétariat de Chris Hartman - C Delarue

A propos de Le prophète et le prolétariat de Chris Hartman - C Delarue

dimanche 19 février 2017, par Amitié entre les peuples

A propos de Le prophète et le prolétariat de Chris Hartman

Contre l’islamocampisme, combat des intégrismes religieux !

http://tintinrevolution.free.fr/fr/harmanprophete.html

Chris Hartman dans « Le prophète et le prolétariat » (1994) pointe deux attitudes des divers partis dont les gauches marxistes à l’égard des mouvements religieux qui perdurent après les indépendances.

Certains dit-il " semblent s’inspirer d’une société ancienne moins libérale, qui contraint les femmes à l’isolement (sexoséparatisme - CD dixit), utilise la terreur pour réprimer la liberté de pensée et menace ceux qui défient ses décrets des châtiments les plus barbares. Dans des pays comme l’Egypte et l’Algérie, les libéraux se rangent désormais du côté de l’Etat, qui les a persécutés et emprisonnés par le passé, dans la guerre qu’il mène contre les partis islamistes. Mais les libéraux ne sont pas les seuls à avoir été plongés dans le désarroi par la montée de l’islamisme. C’est également le cas de la gauche. Celle-ci ne sait pas comment réagir face à ce qu’elle considère comme une doctrine obscurantiste, soutenue par des forces traditionnellement réactionnaires et jouissant d’un succès certain parmi les couches les plus pauvres de la société. Il en découle deux approches opposées.

1 - La première est de considérer l’islamisme comme la Réaction Incarnée, comme une forme de fascisme. Cette position fut notamment adoptée après la révolution en Iran par l’universitaire britannique Fred Halliday, qui se réclamait de la gauche à l’époque, qui donnait au régime iranien le nom d’islam à visage fasciste ”2. Une grande partie de la gauche iranienne adopta cette approche après la consolidation du régime Khomeyni en 1981-1982, approche que reprend aujourd’hui la gauche en Egypte et en Algérie. Ainsi, par exemple, un groupe marxiste révolutionnaire algérien soutient l’idée que les principes, l’idéologie et l’action politique du FIS “ sont comparables à ceux du Front National en France ” et qu’il s’agit d’un courant fasciste ”3.
La conclusion pratique à laquelle mène facilement une telle analyse est la construction d’alliances politiques visant à empêcher la progression des fascistes à tout prix. Ainsi Halliday concluait que la gauche en Iran avait tort de ne pas s’allier à la “ bourgeoisie libérale ” entre 1979 et 1981 pour s’opposer “ aux idées et à la politique réactionnaires de Khomeyni ”4. Aujourd’hui en Egypte, la gauche, influencée par la tradition communiste dominante, soutient de fait l’Etat dans sa guerre contre les islamistes.

2 - L’approche opposée est de considérer les mouvements islamistes comme des mouvements “ progressistes ” et “ anti-impérialistes ” de défense des opprimés. Cette position fut adoptée par la majeure partie de la gauche iranienne dans la phase initiale de la révolution de 1979 : le Toudeh, parti influencé par l’Union soviétique, ainsi qu’une grande partie des Feddayin, organisation guérillériste, et les Moudjahidin du peuple, islamistes de gauche, qualifiaient tous les forces qui soutenaient Khomeyni de “ petite bourgeoisie progressiste ”. La conclusion de cette approche était qu’il fallait accorder à Khomeyni un soutien quasi-inconditionnel5. Un quart de siècle auparavant,les communistes égyptiens avaient adopté momentanément cette position à l’égard des Frères musulmans, les enjoignant de s’allier à eux dans “ une lutte commune contre la “dictature fasciste” de Nasser et ses “alliés anglais et américains” ”6.

3 - Je veux démontrer que ces deux positions sont fausses. Elles ne parviennent ni à identifier le caractère de classe de l’islamisme moderne, ni à définir ses rapports avec le capital, l’Etat et l’impérialisme.

Commentaire : Ma position est aussi de considérer que ses deux positions sont fausses car campiste et en « tout blanc ou tout noir » (binarisme), sans chercher à distinguer ce qui est relativement progressiste chez les musulmans et ce qui est nettement réactionnaire et indéfendable.
Mais ma position est différente de Chris Hartman dans la mesure ou le classisme (rapports de classe mais aussi impérialisme) n’est pas pour moi le seul critère du progressisme et de l’émancipation. On ne saurait oublier les luttes féministes et les luttes antiracistes mais sans soutien aux intégrismes religieux.

Dans le chapitre suivant : islam, religion idéologie il écrit :

Les institutions religieuses, avec leurs couches de prêtres et de professeurs, apparaissent dans une société donnée et sont en interaction avec cette société. Elles ne peuvent se maintenir au fil des changements de la société qu’à condition de trouver des moyens de changer la base même qui les soutient. Ainsi, par exemple, l’une des plus importantes institutions religieuses au monde, l’Eglise catholique romaine, qui vit le jour à la fin de l’antiquité et survécut en s’adaptant tout d’abord à la société féodale pendant un millénaire, puis en s’adaptant non sans mal à la société capitaliste qui succéda au féodalisme, a dû pour cela changer une grande partie du contenu de ses propres enseignements.

Commentaire : Là on l’impression que c’est grâce à un effort d’adaptation qui vient d’elle-même certes face au réel qui bouge (matérialisme réduit) mais il ne dit pas que ce réel a été fait de luttes (la lutte est une activité collective et donc une force matérielle), de luttes opposées pour certains à la religion assimilée à l’obscurantisme, pour d’autres à ce que la religion a de plus réactionnaire et donc à l’intégrisme catholique et à son influence au-delà de ceux qui se réclamaient de l’intransigeantisme.

CH poursuit : Les gens ont toujours su donner des interprétations différentes à leurs idées religieuses, en fonction de leur propre situation matérielle, de leurs relations avec d’autres gens et des conflits dans lesquels ils se trouvaient impliqués. L’histoire foisonne d’exemples de personnes qui professent des croyances religieuses presque identiques et qu’on retrouve dans des camps opposés lors des grands conflits sociaux.

Commentaire : Oui ce qui importe ce sont les effets des interprétations religieuses, autrement dit les pratiques. Certaines pratiques sont ouvertes tolérantes et progressistes ; d’autres ultra-conservatrices et réactionnaires et pas qu’au plan social, au plan sociétal aussi, autrement dit les moeurs, le domaine-clé pour juger les religions. Elles ont durablement défendues le patriarcat, l’inégalité hommes-femmes sous des noms divers, dont celui de « complémentarité » . Aller défendre le nudisme chez les intégristes religieux et vous verrez les réponses !

Plus loin - ci-dessous - il note la ségrégation des sexes ou le sexoséparatisme sans expliquer en quoi c’est réactionnaire , en quoi cela est profondément insupportable sauf à ces musulmans qui ne sont pas tous les musulmans mais des intégristes ! Il évoque aussi les fondamentalistes.

“ Nous, musulmans, nous croyons avec force que la forme la plus grave de violence qu’on nous fait n’est pas la violence physique, car nous sommes prêts [...] C’est seulement la violence que représente le défi lancé aux sentiments de la communauté musulmane par l’imposition d’une législation diabolique, au lieu de la charia [...] Existe-t-il une violence plus grande que celle qui consiste à répandre et à encourager ce que Dieu a interdit ? On crée des entreprises vinicoles, oeuvre du démon, et les maisons de passe sont protégées par les policiers ! [...] Peut-on concevoir violence plus grande que celle de cette femme qui brûle son foulard en place publique, aux yeux de tous, en disant que l’actuel code de la famille pénalise la femme, et trouve des efféminés, des demi-hommes ou des transsexuels pour la soutenir dans son égarement [...] [Est-ce de la violence que] d’exiger que la femme demeure chez elle, dans une atmosphère de chasteté, de réserve et d’humilité, et qu’elle n’en sorte que dans les cas de nécessité définis par le Législateur ? [...], que d’exiger la ségrégation des sexes parmi les élèves et les enseignants et l’absence de cette mixité puante, cause de la violence sexuelle [...] ”13.

Je passe sur les ambiguïtés du réactionnaire qui mélange du retour en arrière avec du maintien du présent pour éviter de qualifier des pratiques détestables !

CH indique : « Lorsque nous sommes dans le même camp que les islamistes, une de nos tâches est de polémiquer avec fermeté avec eux, de leur opposer notre alternative - et pas seulement sur l’attitude de leurs organisations envers les femmes et les minorités mais aussi sur la question fondamentale, à savoir, avons-nous besoin de la charité des riches ou de renverser et détruire les rapports de classe existants ».

« Par le passé, la gauche a commis deux erreurs face aux islamistes. La première a été de les considérer comme fascistes, avec lesquels rien de commun n’était possible. La seconde a été de les considérer comme des “ progressistes ” qu’il ne fallait pas critiquer. »

Commentaire : Qu’ils ne soient pas fascistes n’empêchent nullement qu’ils apparaissent comme non désirés ! Et qu’en conséquence les alliances doivent être strictement soumises au programme d’égalité hommes-femmes et de liberté des femmes, sauf à penser que le trajet vers le socialisme doit passer par le retrait de la cause féministe . Ce qui s’est fait plus d’une fois !

Au total, il faut critiquer les islamistes pro-charia et tous les intégrismes religieux qu’ils soient de l’islam ou d’autres religions. Et pour le reste on peut marché séparément le même jour contre un même objectif !

Des gauchistes (ou non) préfèrent par contre soutenir l’islamisme en s’abstenant de toute critique ! Jamais une seule critique du sexoséparatisme (voir le contraire sous seksoséparatisme) ni d’autre chose de réactionnaire. On a parfaitement le droit de critiquer ces « bénis oui-oui » de l’islam trop souvent réactionnaire.

Par contre, on doit savoir reconnaître les femmes et les hommes musulmans progressistes qui combattent tout à la fois le capitalisme (classisme) et le capital-patriarcat et plus encore l’hyperpatriarcat des intégristes. Cet hyperpatriarcat ne se résume pas au sexoséparatisme (réclusion à la maison et mise sous hypetextile) bien que ce ne soit pas une mince oppression ; il va plus loin en termes de législation infériorisante sévère et constante des femmes.

Christian Delarue